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Édito #78 : Marvel par Netflix, exercice de style ou moule à tout faire ?

Édito #78 : Marvel par Netflix, exercice de style ou moule à tout faire ?

chronique

Ce week-end, le cœur de la New York Comic Con a battu au rythme des séries Marvel de Netflix, qui ont raflé l'attention de tous les médias passionnés, comme nous, par les comics. Il faut dire qu'une semaine après la diffusion de Luke Cage, la plateforme de streaming nous a offert une annonce officielle pour la série Punisher, un premier trailer pour Iron Fist et un vilain pour The Defenders en la personne de Sigourney Weaver. L'occasion parfaite pour faire un petit point sur la formule Marvel selon Netflix.

Car il s'agit bien d'une formule. Après deux saisons de Daredevil, une pour Jessica Jones, une autre pour Luke Cage et même un trailer d'Iron Fist, difficile de prétendre le contraire. Maintenant, "formule" n'est pas forcément un vilain mot et on peut observer les séries Marvel de Netflix sous plusieurs angles. C'est d'ailleurs tout l'objet de ce bref édito. Et on doit vous avouer qu'en un peu plus d'un an - la première saison de Daredevil était sortie en avril 2015 - beaucoup de choses ont changé. En découvrant les premiers épisodes de la série de Drew Goddard et Steven DeKnight, on se demandait si Marvel Studios n'avait pas trouvé la soupape créative (et marketing) qui lui manquait : plus de temps d'écran, plus de libertés dans le ton et le style, plus de contenu adulte, bref, tout ce qui manquait aux films du Marvel Cinematic Universe, qu'on les aime ou non.


Mais en octobre 2016, le constat est tout autre. Beaucoup plus amer, celui-ci aurait tendance à nous faire dire que Marvel a troqué une formule pour une autre. Sa recette fonctionne, elle permet même d'obtenir une vraie cohérence visuelle voire artistique, plus globalement, mais elle finit par ennuyer quand elle est répétée à outrance. Or, si on rapporte ce fonctionnement au temps d'écran, il est normal de voir ce qui semble être une (large) partie du public déjà lassé par les séries de Netflix : 13 heures de contenu par saison, soit l'équivalent de six films Marvel Studios (en gros) ont tôt fait d'assommer. Surtout quand on sait que Daredevil, Jessica Jones ou Luke Cage sont des personnages qui sont consommés en binge watching. Un phénomène que Netflix et Marvel voient encore d'un œil tendre, mais qui finit peut-être par leur jouer des tours. Pour ce qui est de ma propre expérience, par exemple, j'aurais tendance à dire que seules les deux saisons de Daredevil se laissent apprécier à cette vitesse.

I don't flirt, I just say what I want

Tout simplement parce que Daredevil est - sans manque de respect à l'égard de Jewel et Power Man - un personnage plus dense, riche du passage de grands auteurs (Miller, Brubaker, Bendis) et d'un univers plus vaste (du Caïd à La Main en passant par Bullseye). C'est certain, étirer des personnages qui n'ont pas la même résonance à l'échelle de l'histoire des comics au même format peut conduire à de vraies déceptions. Qui n'aurait pas aimé une série plus anthologique dans la lignée d'Alias pour Jessica Jones ? Qui n'aurait pas voulu d'une série plus musicale et plus directe pour Luke Cage ? Ce problème de longueur est d'ailleurs ironique, puisque Netflix est justement une plateforme connue pour banquer sur des thèmes et des formats rejetés par la télévision et le câble américain. Et autant, si on comprend l'intérêt pour la marque Marvel d'avoir une cohérence bétonnée (même nombre d'épisodes, même ton, même checkpoints narratifs), quand on voit à quoi ressemble l'univers partagé formé par les films Marvel et leurs séries Netflix, on se demande à quoi peut servir une structure aussi rigide. Parce qu'après tout, des références pas chères au "monstre vert" ou au "type au marteau", Agents of S.H.I.E.LD. peut tout aussi bien les faire.

Et à ce stade de la lecture, j'imagine que les amoureux ou les convaincus des séries Netflix de Marvel me prennent pour le dernier des haters. C'est pourquoi il est temps de renverser la vapeur. Si, en tant que séries, les projets Marvel de Netflix ont du mal à me convaincre dans leur intégralité, ils ont réussis là où le cinéma de Marvel ont échoué. J'ai enfin le Daredevil dont je rêvais. J'ai enfin une adaptation assez réussie d'Alias, parmi mes récits (de Brian Michael Bendis) favoris chez Marvel. Je me suis attaché à tout un tas de personnages, de Karen Page au détective Scarfe. Et surtout, je peux enfin compter sur des vilains solides - insérez ici une blague sur Age of Ultron. Donc n'allez pas croire que je déteste les séries Marvel de Netflix. Bien au contraire, je les apprécie, comme projet global. J'essaie juste de comprendre là où ça coince.

I just want to make my city a better place

Assurément, il y a un premier problème qui est purement industriel : la promesse d'un univers partagé de Marvel sur les écrans est (presque) un mensonge. Depuis que Marvel Studios a été placé sous le contrôle direct de Walt Disney Studios, ses relations avec Marvel Television, qui, elle, ne rend pas de compte à Disney, sont plus complexes que jamais. C'est pourquoi il faut (pour le moment) tirer un trait sur toute apparition des personnages de Studios chez Netflix et vice-versa. Mais est-ce que cela excuse la formule de Marvel Television sur les séries Netflix ? Pas vraiment. Maintenant, tant qu'on est dans l'aspect industriel des choses, rappelons aussi que Daredevil, Jessica Jones, Luke Cage, Iron Fist et même The Defenders (qui ne fera toutefois que huit épisodes) ont été lancés en production simultanément, ce qui explique sans doute la rigidité de leurs formules et la récurrence de leurs concepts.

Mais à la rigueur, on pourrait voir ces fameux concepts comme un joli exercice de style. Comme Marvel Studios a inventé une formule qui n'existait pas à Hollywood, la mise en production des quatre séries Marvel de Netflix est une initiative unique et potentiellement bluffante, artistiquement parlant. Il y a d'ailleurs un vrai parallèle à faire entre les Marvel Colors (Daredevil Yellow, Spider-Man Blue, Hulk Grey et Captain America White, dans une moindre mesure) du scénariste Jeph Loeb et les séries Marvel de Netflix, pour lesquelles il office comme producteur, consultant créatif et bien sûr président de Marvel Television. Or, d'une manière assez amusante, les quatre séries possèdent des identités visuelles alignées sur une couleur et un ton, une ambiance assez similaire d'un show à l'autre. Un peu comme les comics de Loeb qui partaient du sens des couleurs pour nous plonger dans une histoire toujours aligné sur le même ton (nostalgique en l'occurrence) de quatre des plus grands héros Marvel. A ce titre, les séries Netflix seraient peut-être, avec un peu de recul, un joli tour de force, et une proposition artistique qui imposer le respect, bien qu'elles passent par un certain nombre de checkpoints pour se solidifier. 

Forward, always...

Certes, ces héros en devenir, leurs bastons dans des couloirs et leur éclairage aux ampoules colorées ont tendance à se répéter, voire à tourner en rond, en témoigne le traitement du concept de "vigilante" dans trois des quatre séries de Netflix. Mais avec un peu de chance, la structure rigide qui les lie les unes aux autres pourrait se révéler bénéfique sur le long terme, là où elle aurait tendance à nous lasser à l'heure où j'écris ces lignes. Le long-terme n'est d'ailleurs plus si loin, puisque The Defenders et ses épisodes moins nombreux partent en production le mois prochain, alors que la série Punisher, décalée, pourrait profiter des erreurs commises par ses grandes sœurs, puisqu'elle est déjà en tournage. C'est en acceptant de terminer l'exercice de style et en rompant la structure commune aux séries Marvel de Netflix que la plateforme pourrait nous mettre sur le cul le temps d'un crossover à une échelle encore inédite pour le petit écran - ce n'est pas Legends of Tomorrow qui viendra rivaliser avec la promesse annoncée. Moralité, on espère ne pas se tromper en prophétisant que les défauts de Daredevil, Jessica Jones, Luke Cage et potentiellement Iron Fist serviront les futures qualités de The Defenders et de la série Punisher. A suivre dès l'année prochaine sur Netflix et en binge-watching, dans tous les cas.

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