Héroïne historique, immense figure des publications DC, Wonder Woman méritait son propre film et c'est désormais chose faite. Et ce qu'on tend à vendre comme l'énième film de super-héros d'une période ultra chargée, le dernier né des laboratoires Warner avec les sous-entendus que ça suscite - passage supposément final de Charles Roven à la production - cumulait un intéressant mélange de préjugés et d'attentes. Pour les déçus de Batman V Superman et Suicide Squad, pour ceux qui espèrent un DC mieux maîtrisé à l'écran, pour ceux qui souhaitent voir les femmes prendre une place égale aux hommes dans le cinéma grand public de divertissement. Dans la critique, le film semble bien accueilli, et à défaut d'être le Logan de Warner Bros., le premier constat à tirer lors de l'après-séance est simple : il y a du mieux, mais ce n'est toujours pas à la hauteur de nos attentes.
— CRITIQUE GARANTIE SANS SPOILERS —
Après le départ de Michelle McLaren (et avec elle de son postulat "à la Braveheart"), on imaginait un studio craintif désireux de présenter un métrage calibré et le film va directement là où l'attend. S'empilent le long de la première heure tous les codes d'une origin story classique, presque redondante dans les archives déjà bien chargées du genre, d'un divertissement cadencé selon un modèle de scénario évident mais efficace à défaut d'être original : on isole aisément une intro' gavée de dialogues utiles d'exposition, un coeur de film bourré de péripéties parfois longuet et un troisième acte explosif qui fera débat. L'école la plus conventionnelle d'Hollywood présente ainsi une Diana "sans risques", avec malgré tout çà et là quelques originalités bienvenues : un message féministe (qu'on aimerait plus appuyé), un propos sur la Guerre qui transcende une ou deux fois sa prévisible conclusion, et des accents de fidélité aux comics qui percent derrière cette grosse réécriture simpliste du mythe. L'ensemble applique une certaine économie de moyens avant le troisième acte, ça bastonne assez peu et presque pour le meilleur, puisqu'on apprend à suivre un personnage et son raisonnement - problématique.
Le film ne bouscule pas son spectateur. Pris par la main du début à la fin, celui-ci découvre ainsi la civilisation de Themyscira, ruelles vides de ruines en décor réel et fonds verts denses en plans panoramiques lointains, puis l'Angleterre, et l'Europe en conflit. Visuellement le film varie entre sa photographie saturée sur l'île des Amazones et un gris bleuté de film de Guerre pas follement original, avec une cinématographie de l'action évidemment récupérée de l'ex mentor du DCEU. Ça dégueule de ralentis, de plans artificiels "volontairement" visibles - Jenkins arrive là aussi à dépasser ce statut de faiseuse à quelques occasions (pas forcément les plus visibles en bande-annonces) pour offrir quelques moments dynamiques réussis où Diana trouve sa propre scénographie de combat. Là dessus, on passe, l'effort est fait mais une fois encore, le film va où on l'attend.
Le problème se pose surtout sur le troisième acte, où on reconnaît tout des tics du studio, depuis un boss de fin ridiculement placé en justification du cahier des charges, et une conclusion qui manque presque de péter le quatrième mur pour embrasser une bonne fois pour toutes la fameuse "formule Marvel Studios". On allait difficilement y échapper, mais avec sa conclusion le film sent bon l'inspiration d'une recette qui marche (ou ne marche pas), l'abandon définitif de l'héritage de Christopher Nolan - on se tape des vilains qui rient avec l'air machiavélique, une gestion de la relation amoureuse plutôt anticipée, et un supporting cast qui peine à trouver son temps d'écran dans l'ombre de Gal Gadot et Chris Pine - et ce malgré tout notre amour pour l'ami Taghmaoui. Mention spéciale à l'interprète de Steve Trevor d'ailleurs, qui trouve plusieurs moments réussis dans sa palette (en dehors des moments d'humour lourdingues où le champ-contrechamp s'épanouit avec une mollesse bien crasseuse, vous apprécierez). Derrière, le film assume un propos plus direct que l'Hydra à la place des Nazis, quoi que les raccourcis historiques et mythologiques grossiers sont parfois malvenus, avec une petite ouverture sur la fin (difficile de trop en dire sans vous divulgâcher la surprise).
C'est un peu là tout le problème : Wonder Woman est un film presque bon. Divertissement honnête qui assume sa formule et qui va presque chercher dans le pulp à deux trois moments, avec une envie d'aller un peu plus loin (sur la Guerre ou sur l'Homme). Les dents de la scie Hollywoodienne oscillent entre des scènes réussies et un forcing sur la facilité à expédier tout un tas de problèmes. L'introduction va trop vite, le film ralentit quand il devrait accélérer (moment Pretty Woman oblige), et s'effondre sur les dernières minutes à travers un vilain random prétexte à un combat final qui ne remet toujours pas la barre au niveau de Man of Steel. L'ensemble, fort de ses moments marquants, annule l'effet Thor et vient chatouiller le Captain America avec moins d'Amblin et plus de Soldats Inconnus. Gadot est à l'image du film : mauvaise au départ, elle trouve plus de sens dans l'Europe en Guerre et dans quelques scènes comiques bien interprétées.
Vis a vis du DCEU, Wonder Woman a le défaut de sa qualité principale : c'est un stand-alone, qui ne cherche pas à installer de suite ou de se placer quelque part dans le grand plan de Warner. Problème : il devient donc dispensable, et perd en hauteur sur l'échelle des attentes. Son boulot se résume donc à rattraper Suicide Squad, rattraper une performance mitigée par BvS et éventuellement caler un creux de blockbuster sur le moment. Le film fait plaisir aux fans, avec sa mémoire sélective de continuité, sans être autre chose qu'un énième divertissement sympa, qui cherche trop la recette pour bouger les lignes. En ça, les déçus des précédents trouveront ça meilleur, et ceux qui avaient aimé n'ont aucune raison de s'arrêter - le meilleur des mondes, et une base pour lancer un personnage qui méritait son film (mais qui méritait surtout bien mieux).
Wonder Woman fait le job, c'est peut-être tout ce qu'on pouvait lui demander. A l'échelle de son personnage, le film est décevant, résumé simpliste de grands runs excellents, mais à l'échelle de la gestion Charles Roven/Kevin Tsujihara, il rebondit sur des échecs d'une autre ampleur qui justifient qu'on en soit plutôt satisfait. Immense cahier des charges où percent deux trois idées, petite surprise à plein de moments plutôt agréables, l'ensemble se sauve pour ses réussites et s'accepte par ses défauts. On dit adieu à un producteur controversé, en espérant que le film déverrouillera l'existence filmique d'autres super-héroïnes, voire plus simplement, de voir la femme plus présente au sommet de l'affiche de films à gros budget.