Les blagues les plus courtes sont les meilleures, disent certains. Dans le registre des adaptations super-héroïques, l'adage n'est pas forcément des plus respectés. En particulier vis-à-vis du film Justice League de Zack Snyder et Joss Whedon, dont on fêtait dans la journée d'hier les deux ans de sa sortie au cinéma.
La question du parcours de production de Justice League, des ingérences de Warner Bros. au départ de Zack Snyder en passant par une histoire de moustache, est désormais bien connue. Il y a déjà deux ans, on vous faisait un dossier récapitulatif pour comprendre comment une accumulation de faits auront mené à l'échec (à la fois critique et commercial) d'un film qui avait été pensé pour être le challenger aux Avengers du studio d'en face. Par la suite, de nombreuses voix parmi le fandom, régulièrement alimentées par les publications de Zack Snyder sur son réseau social Vero, et par des déclarations de tiers (on comptera surtout l'acteur Jason Momoa et le storyboarder de Justice League, Jay Oliva), auront demandé à voir une Snyder Cut de Justice League - comprendre la version du film telle qu'originellement pensée par le réalisateur, avant que Warner n'intervienne dans le processus, et avant les modifications apportées par la venue de Whedon sur le film.
There is a Snyder cut. WB will release it if there’s money is to be made. Look at all of the “directors and extended” cuts of films that didn’t make a billion dollars. Hell WB is one of the leading studios who puts out multiple editions of the SAME film. https://t.co/86AdZO0TcD
— Jay Oliva (@jayoliva1) August 13, 2018
Un mouvement unifié sous la bannière et le hashtag #ReleaseTheSnyderCut sera né des suites de la frustration d'une partie du fandom de ne pas avoir vu le film Justice League que Snyder et Warner avaient promis, et qui aura été perpétuellement relancé à différentes occasions. Outre un activisme important sur les réseaux sociaux, les nombreuses images de behind the scenes, concept arts ou photos tirées de scènes coupées postées par Zack Snyder, c'est aussi de façon bien réelle que le mouvement se sera manifesté.
Des collectes de fonds auront été régulièrement organisées, ce afin de promouvoir le hahstag au moment des grandes messes de la culture populaire que sont par exemple la San Diego Comic Con ou la New York Comic Con. On aura par exemple pu apercevoir des affichages publicitaires en bonne et due forme, voire même une banderole tractée par un avion dans le ciel de San Diego.
Someone hired a plane to fly over #SDCC with a banner urging DC to release the Snyder cut of Justice League pic.twitter.com/MqKPh161B4
— Patrick Shanley (@pshanley88) July 19, 2019
I'm honored to have such amazing fans. #afsphttps://t.co/KFCJ7V4Q6S
— Zack Snyder (@ZackSnyder) October 12, 2019
Là où beaucoup auront vu #ReleaseTheSnyderCut comme un appel désespéré de fans un peu trop en colère, ou qui auront pris beaucoup trop personnellement le sort de ce qui ne reste au final qu'un film, il conviendra de voir quelques côtés positifs à cette histoire. D'une part, il est vrai que l'histoire de la production de Justice League reste un cas fascinant d'ingérence et de problèmes de coordination entre un studio et son (ses) réalisateur(s). D'autre part, une bonne partie des fonds recueillis par les fans les plus motivés auront été reversés à l'American Foundation for Suicide Prevention, de façon à ce que le drame qui a touché la fille adoptive de Zack Snyder puisse être évité pour d'autres personnes en difficulté - à cette cause noble, il n'y aura rien à redire.
A côté, le mouvement aura aussi eu des conséquences néfastes, parce qu'il traîne avec lui une toxicité importante du fandom, avec ce que l'on connaît de harcèlement sur les réseaux sociaux - qui aura par exemple poussé Diane Nelson, ancienne présidente de DC Comics, à quitter quelques temps la plateforme Twitter.
Arrive alors novembre 2019. Deux ans après la sortie du film aux Etats-Unis, et alors que #ReleaseTheSnyderCut n'était alimenté que par une partie du fandom, toujours aussi passionnée, mais bien moins visible qu'auparavant, le mouvement reprend une vigueur phénoménale. En cause ? Deux tweets de la part de Ben Affleck (Batman) et Gal Gadot (Wonder Woman) repris par le réalisateur Zack Snyder, qui communique pour la première fois publiquement sur cette fameuse Snyder Cut sur les réseaux sociaux. De quoi mettre rallumer un feu qui ne s'est jamais réellement éteint.
This ancient Amazonian can’t be wrong. #releasethesnydercut https://t.co/XBdaE1ynkL
— Zack Snyder (@ZackSnyder) November 17, 2019
Neither can Batman. #releasethesnydercut https://t.co/3Y0FxTy5Qp
— Zack Snyder (@ZackSnyder) November 17, 2019
Two Years. #releasethesnydercut pic.twitter.com/0hxRdzsH4b
— Ray Fisher (@rehsifyar) November 17, 2019
De nombreuses autres personnalités manifestent alors leur soutien au hashtag - dont on ne sait réellement s'il a été relancé que comme un clin d'oeil pour cet anniversaire de la part des stars de Justice League, ou s'il témoigne d'une réelle volonté de voir cette supposée version du film, alors qu'au cours des deux dernières années, personne n'en aura parlé - si ce n'est Henry Cavill, qui rappelait que même une Snyder Cut ne pourrait rattraper de nombreux défauts du film.
Batman has always spoken for justice. #ReleaseTheSnyderCut https://t.co/mLx8avsfAc
— David Ayer (@DavidAyerMovies) November 17, 2019
En sus des personnes concernées, on rapporte les soutiens plus ou moins direct de Diane Nelson, de l'acteur Yayha Abdul-Mateen II (qui joue Black Manta dans Aquaman), de Dave Bautista, voire du réalisateur Damon Lindelof (Watchmen), qui déclare sur Instagram "Je ne dis pas que l'ai vu, mais si JE L'AVAIS VU, j'apporterai tout mon soutien sans équivoque aux forces de Release The Snyder Cut". Si nos confrères américains sont depuis déchaînés pour faire un article pour chaque personnalité ayant apporté son soutien (notez qu'on entend par là des posts, tweets et retweets) au hashtag, les observations sont une fois de plus très marquées : d'une part, beaucoup croient que *quelque chose* se préparerait du côté de Warner Bros., comme une sortie potentielle d'une Snyder Cut de Justice League sur HBO Max (sans se rendre compte forcément du cynisme de la manoeuvre de Warner dans ce cas).
Les fans les plus impliqués crient victoire pour ce qui serait une reconnaissance de l'existence de cette Snyder Cut, les tweets des acteurs servant de preuve ultime de la validité et légitimité du mouvement. Quand ceux que le hashtag ne faisait plus rire depuis bien longtemps seront consternés de voir cette histoire reprendre de plus belle, en dépit d'un certain bon sens - ce qui est l'approche de notre édito.
A l'été 2018 déjà, le Wall Street Journal publiait un article qui expliquait que Warner Bros. n'avait aucune intention, et n'en avais jamais eu, de sortir une quelconque Snyder Cut de Justice League - sachant que par ce terme il faudrait bien aussi savoir de quoi on parle. Parce que l'on parle d'un film qui aurait un montage bien différent de celui proposé par Warner, avec notamment l'introduction d'Iris West (Kiersey Clemons) et surtout celle de Darkseid, qui amènerait vers un second film qui, aujourd'hui, ne verra jamais le jour (puisque Ben Affleck et Henry Cavill ne reprendront pas leurs rôles pour le futur de DC au cinéma). Le film alternerait donc avec les prises terminées de Snyder et un grand nombre de scènes enlevées, certaines étant finalisées, d'autres pour lesquelles les effets spéciaux ne seraient pas complets, et d'autres qui en seraient encore à l'état de storyboard.
Il va sans dire qu'une telle version peut techniquement exister et qu'il y aurait un intérêt certain à la découvrir, plutôt pour faire un jeu des sept différences avec le montage cinéma qui a été gardé. Plusieurs personnes comme Jason Momoa ou Jay Oliva affirment par ailleurs avoir vu cette Snyder Cut, sans qu'il soit possible de vérifier ces dires - puisqu'il paraît impossible que Warner Bros. ait d'eux mêmes montré cette supposée version aux personnes en question, et que Zack Snyder n'a a priori pas accès à tout son matériel depuis chez lui. La Snyder Cut fait donc pour toutes ces raisons partie d'une forme de légende urbaine moderne, ou personne ne peut avoir le dernier mot puisqu'il n'est pas possible de prouver l'existence ou non du film. Qui, on le rappelle encore une fois, ne ressemblerait en aucun cas à un produit véritablement fini.
On imagine mal Warner Bros., qui pendant deux ans aura gardé publiquement le silence, revienne sur ses pas pour proposer une telle Snyder Cut. Parce qu'on voit mal un studio d'une telle importance proposer un produit non fini, qui serait un aveu d'échec frontal encore plus cuisant que celui pris au box office par le film. Parce que tout montre que le studio a fait son maximum pour oublier la période Snyder de ce qui était appelé "DCEU" par les fans et les médias, sans que Warner n'ait jamais repris cette appellation officiellement (bien contents d'avoir une marque qu'ils n'ont pas eu à désavouer). Le recast de Batman, le succès de Joker, la mise en place des Birds of Prey, le caractère stand alone des Wonder Woman ou Aquaman : tout pointe vers cette orientation Worlds of DC (emphase sur le "s") qui vise à faire des films sans vouloir les connecter, et n'appelle donc pas à la réunion chorale par la suite.
Warner n'a donc aucun intérêt à plier face aux exigences de ce qui reste une minorité (visible et vocale) du fandom, face à une majorité du grand public qui a déjà oublié Justice League et qui n'irait donc pas dépenser ses sous là dedans - ce qui reste le nerf de la guerre. Personne ne semble se rendre compte, après avoir laissé la "colère" des fans remuer pendant deux ans, du cynisme que Warner Bros. aurait à proposer une Snyder Cut et faire payer une nouvelle fois les spectateurs. Pire encore: en l'agitant comme une carotte pour pousser, par exemple, les gens à s'abonner à HBO Max - ou à DC Universe tant qu'à faire. On parle toujours d'un studio qui n'aura pas osé financer à 100% un film à 55 millions de dollars (Joker). Le budget pour finaliser une Snyder Cut serait bien plus ample, et il n'y aurait aucune possibilité de réaliser des bénéfices dessus.
Regardons les faits : en deux ans, les seuls médias qui ont appuyé une "potentielle sortie" de la Snyder Cut sont des organes dont le manque de sérieux a été à maintes reprises avéré. Qu'il s'agisse de sites de clickbaits avérés comme We Got This Covered, GeeksWorldWide, Revenge of the Fans (dont la création a été motivée par la Snyder Cut) - des noms que les auditeurs de The Pulse auront reconnus - ou par des "scoopers" à la DanielRPK, tous auront profité de la passion du fandom pour faire leur beurre sur cette histoire, sans que rien ne bouge. A côté, même des sites enclins au sensationnalisme comme CBR ou Comicbook.com n'auront, malgré leurs relais de certains autre médias, jamais appuyé dans le sens d'une sortie. Aucun des médias US sérieux tels que le Hollywood Reporter, Variety ou Deadline, le Wall Sreet Journal, voire TheWrap, n'auront écrit un article allant dans ce sens. Aujourd'hui encore, même Comicbook.com écrit que Warner n'a toujours aucune intention de sortir une Snyder Cut. A croire que l'histoire est vouée à ce répéter, puisque ce sont ces mêmes médias qui ont parlé des mois du départ de Ben Affleck, quand bien même une partie du fandom affirmait que la chose était impossible.
Edit 16h27 : le Hollywood Reporter réaffirme une fois de plus que Warner n'a aucun plan de sortir une Snyder Cut.
On peut comprendre qu'avec le côté passionné du fandom, il suffise de peu pour remettre le feu aux poudres concernant cette histoire de Snyder Cut. Il faudrait chercher à comprendre pourquoi Ben Affleck et Gal Gadot ont agi de la sorte, s'il ne s'agissait pas que d'un simple clin d'oeil au film pour l'anniversaire des deux ans de sortie, ou pour soutenir un réalisateur avec qui ils auront connu une période de production et de tournage compliquée. L'un dans l'autre, nul ne semble avoir de réel capacité à faire levier sur Warner Bros. (même si certains veulent faire croire qu'un Tom Holland seul est capable de faire plier Disney et Sony Pictures à la fois), que les autres acteurs/réalisateurs n'ont pas plus de poids non plus et que Diane Nelson ne fait plus partie de l'équipe. Reste un mouvement qui est aujourd'hui encore bien vivace, sans qu'on arrive à imaginer qu'un jour leurs attentes et revendications puisse être obtenues.
L'illustration de cet article est un fan-poster réalisé par l'artiste BossLogic, à retrouver en galerie ci-dessous.
