Dix ans. C'est le temps qu'il faudra aux fans des comics Locke and Key, de Joe Hill et Gabriel Rodriguez, pour enfin pouvoir découvrir leur adaptation au format télévisé. Prévu au départ pour être une série sur la Fox, une trilogie de films, ensuite une série sur Hulu, c'est au final sur la plateforme Netflix que Locke and Key a pu trouver refuge. La haute qualité du matériel de base, disponible sous nos latitudes depuis de nombreuses années (et réédité récemment chez HiComics), ainsi que les attentes démultipliées par la production chaotique du projet, sauront-elles retrouver honneur et justice avec la série Netflix ? Réponse d'emblée : pas vraiment. On vous explique pourquoi.
Au lancement de la série, les choses commencent bien. La famille Locke est endeuillée par le décès de Rendell, le paternel, et sa femme Nina décide d'aller se réfugier avec ses trois enfants (Tyler, Kinsey et Bode) dans la demeure familiale de Keyhouse, située dans la ville de Matheson. Au-delà de ce premier changement avec les comics (la ville porte le nom de Lovecraft, mais Matheson se rapporte également à un auteur de science-fiction et d'épouvante ; l'esprit est donc conservé), le démarrage de Locke & Key suit bien le matériel de base. Arrivés à Keyhouse, la fratrie, et surtout le curieux Bode, commencent à trouver de curieuses clés, qui permettent bien plus que d'ouvrir de simples portes. Le plaisir du spectateur résidera essentiellement à découvrir, avec les jeunes héros, les capacités de ces clés, qui ouvrent en réalité le passage vers un monde de magie et de merveilles. Ceci n'est évidemment pas sans risques, puisqu'une étrange personne, du nom de Dodge, souhaite également accéder à ces clés, pour un motif qui semble malveillant.
On soulignera d'entrée de jeu le soin apporté aux décors et en particulier à Keyhouse, qu'on pourrait qualifier de personnage au vu de son importance pour la série. La demeure est au dehors fidèle à l'architecture donnée par Gabriel Rodriguez, et l'on se plait à se perdre dans les nombreuses pièces, soignées, et à aller chercher des clés dans les coins les plus incongrus. Si les lieux extérieurs restent plus banals (notamment le lycée de Matheson), un soin est aussi accordé à une certaine grotte, un lieu que les fans des comics reconnaîtront immédiatement. L'esthétique générale se veut plutôt soignée, les clés ressemblent vraiment à ce que Hill et Rodriguez ont imaginé, la série se permettant là aussi quelques libertés, en remplaçant certaines clés des comics par d'autres (aux propriétés similaires) ou en allant carrément en inventer. Tout est une question de choix, compréhensibles puisque nécessaires dès lors qu'on parle d'adaptation, et qui permettent ici à Locke and Key de façonner son histoire avec les moyens du bord.
Sur le plan visuel également, la série ne déçoit pas, compte tenu de ce que l'on trouve dans les pages de bande-dessinées. Au delà des décors et accessoires, la série s'en sort plutôt bien pour rendre compte des pouvoirs des clés. On appréciera d'autant plus le choix artistique opéré pour mettre en scène l'utilisation de la Head Key (Clé de Tête), qui permet de conserver l'idée initiale de ses capacités en s'adaptant aux codes de la narration télévisuelle. Il s'agit certainement de la décision la plus engagée. Du reste, de ce que la série décide d'aller utiliser, piochant allègrement dans les quatre premier tomes de la série (sur un total de six), il n'en ressort rien de particulièrement criard. Locke and Key est donc plutôt jolie à regarder, et ce n'est donc clairement pas l'esthétique qui est à blâmer.
Le premier problème vient du casting, qui n'est simplement pas à la hauteur de ses personnages, et dont certains souffrent en plus de sérieux problèmes d'écriture. Tout mignon qu'il est, le jeune Jackson Robert Scott (Bode Locke) n'arrive pas à insuffler une quelconque crédibilité à ses lignes, encore moins d'émotions ; un dommage non négligeable pour un personnage aussi crucial. Des films récents ont pourtant montré que de jeunes acteurs sont capables de prouesses (Looper, Room, Umbrella Academy, tiens, ou encore le récent Jojo Rabbit), c'est donc soit que Scott n'est pas encore assez bon, ou que la direction ne l'a pas bien formé. A côté, Connor Jessup (Tyler) a un regard vide tout au long de la série et empêche de croire à l'évolution de son héros. Si Emilia Jones (Kinsey) a certainement le travail le plus soigné et le plus intéressant au long de la série, sa performance ne dénote pas particulièrement - elle reste correcte, et pâtit du niveau général plus que moyen. En vérité, la seule réussite nous vient de Leysla De Oliveira, qui campe une Dodge crédible pour la majeure partie de la série, d'autant qu'elle ressemble à une vraie copie conforme de sa contrepartie comics.
L'ensemble du casting secondaire est bien moins reluisant : Bill Heck (Rendell Locke) n'inspire aucune émotion en pâle copie de Keanu Reeves TV, les amis lycéens des Locke souffrent à la fois d'un jeu franchement moyen autant que d'une caractérisation remplie de poncifs (la garce très jolie, le club de nerds à lunettes, etc...). La palme de la catastrophe revenant à Darby Stanchfield, horrible incarnation d'une Nina Locke aux fraises, à laquelle la série tente de donner beaucoup trop d'importance (peut-être pour garder un lien d'identification avec le public le plus adulte) qu'elle ne le devrait, et passant complètement à côté de sa personnalité. Ce qui nous amènera à parler du second problème de Locke and Key : sa tonalité d'ensemble.
Au delà des clés et des pouvoirs, ce qui fait le charme de Locke and Key tient dans la maturité de son propos, dans les éléments d'horreur qui sont très poussés (les vilains de l'histoire sont de vrais vilains, qui n'hésitent jamais dans leurs actes), et dans ses personnages bardés de fêlures. La série aborde évidemment les questions de regrets, de culpabilité liés à la mort de Rendell, elle explore les fameuses thématiques de secrets familiaux bien gardés à découvrir, et la force des liens d'une même famille. Mais l'ensemble est édulcoré, tant sur le plan visuel que dans l'ambiance générale. A viser un public "13+", Locke and Key perd une énorme partie de ce qui fait sa force et son intérêt. On ne retrouve pas les fêlures qui font la force de la fratrie Locke. On ne retrouve pas l'horreur qui fait que l'on craindrait pour eux. On ne retrouve pas tous ces ados un peu paumés qui apportent une réelle plus value dans le contexte lycéen. La détresse de Nina n'est pas perceptible. Le trauma initial des Locke (et notamment ce qu'a vécu Kinsey) est à peine touché du doigt. Il en devient donc impossible de réellement s'attacher à cet ensemble.
De plus, certains choix de Locke and Key sont on ne peut plus dommageables. Bien sûr qu'il faut étayer des trames narratives, rajouter des morceaux de vie au lycée - à ce titre, encore une fois, seule l'évolution de Kinsey, notamment sur ses relations amoureuses, apporte un réel intérêt. Le côté "nerds fans de film d'horreur" permet surtout de jouer à placer quelques références - un côté dédicace à Joe Hill, fils de Stephen King, de la même façon que Stranger Things référence les années '80 à tout va. Mais il n'apporte rien d'intéressant. Locke and Key manque de sa noirceur, de ses personnages cassés, de son horreur crue, et finit par nous perdre complètement dans ses deux derniers épisodes. Si les précédents se regardent avec un ennui présent, mais acceptable, la fin envoie voler beaucoup trop de choses en même temps, et se permet un twist des plus ridicules - qui outre s'éloigner complètement du matériel initial, implique des erreurs narratives on ne peut plus grossières. Une conclusion vraiment terrible quand on avait envie de laisser une chance à la série.
On sait bien que toute adaptation ne peut être fidèle à 100% à son matériel originel. A imaginer que Locke and Key satisfera ceux qui n'ont pas lu la BD, parce que l'idée de base reste une bonne idée, et qu'on peut se contenter de ce que la série propose, les lecteurs qui connaissent la qualité des comics de Hill et Rodriguez ne pourront qu'être déçus. Bien sûr, il faut faire des choix et des concessions. A titre d'exemple, The Boys fait aussi beaucoup d'écarts avec son matériel de base, mais en conserve l'idée et l'esprit. On avait déjà observé une certaine paresse de Netflix vis-à-vis d'une adaptation comme Umbrella Academy, mais cette dernière compensait avec un casting qui se reposait sur quelques très bonnes performances. Locke and Key n'a hélas pas ça, et la trahison à l'essence des comics s'en fait trop ressentir. Un cruel constat quand on se dit que pourtant, tout était écrit et qu'il n'y avait qu'à monter le projet tel quel. Mais à vouloir faire une série "grand public" accessible aux plus jeunes, Netflix fait trop de concessions pour qu'on ait réellement envie de s'investir dans une seconde saison.
Après dix ans d'attente, les fans de Locke and Key pouvaient espérer de Netflix une adaptation à la hauteur des excellents comics de Joe Hill et Gabriel Rodriguez. Si l'idée de base est bien exploitée, que l'ensemble est plutôt joli et qu'on a au moins une actrice vraiment douée, le reste est hélas trop bancal pour convaincre. Acteurs très inégaux, concessions sur l'horrifique pour garder une simple touche de magie tous publics, mais surtout une profondeur et une noirceur, pour les personnages et l'ambiance, qui enlève tout ce qui fait la force de l'oeuvre originelle. En ajoutant à cela une conclusion bâclée et un twist affreusement mal ficelé, on se désole de n'obtenir qu'une série très moyenne en comparaison de ce qui aurait été possible. Les non-lecteurs sauront peut-être s'en satisfaire, mais ici, on sait ce qui était réalisable, et comme pour Umbrella Academy, on regrette que Netflix ne soit pas plus exigeant, sûrement pas envie de plaire au plus grand nombre. Il va falloir sérieusement redresser la barre pour la saison 2.
Du reste, encore une fois, Locke and Key est une excellente série papier, et on ne saura que vous conseiller d'investir plutôt dans les six tomes disponibles en VF, plutôt que de consacrer votre temps à son adaptation qui ne fait qu'effleurer son essence, son âme, et ses ambitions.