Figure de proue de la bande-dessinée underground aux Etats-Unis, l'artiste Steve Clay Wilson s'est éteint il y a quelques jours dans sa maison de San Francisco. Il était âgé de soixante-dix neuf ans. Auteur plus extrême que certains de ses camarades de la révolution Zap Comix, Wilson abandonne à la postérité toute une série de bizarreries dans le répertoire de la violence ou de l'érotisme gras (avec quelques hectolitres d'hémoglobine à l'encre noire), et quelques illustrations de bouquins pour enfants.
S. Clay Wilson, 1941-2021
Né le 25 juillet 1941 dans le Nebraska, Steve Clay Wilson découvre la bande-dessinée dès l'enfance avec fascicules de la société EC Comics, spécialistes de l'horreur graphique avant l'apparition des premiers organes de censure aux Etats-Unis. Après avoir enchaîné les petits boulots et traîné quelques années sur les bancs de l'université, l'artiste fait ses débuts dans les colonnes du journal The Screw avant de devenir un contributeur régulier pour le magazine de poésie Grist. Son personnage vedette, le Checkered Demon, un diablotin en pantalon à carreaux, y fera sa première apparition en 1966.
Un portfolio sous le bras, Wilson immigre en Californie où il fera la connaissance d'un certain Robert Crumb. L'artiste s'embarque dans l'aventure Zap Comix, série pionnière de l'underground considérée comme le point de départ du mouvement de contre-culture des comics au moment où les revues mainstream s'étaient interdit d'évoquer une large variété de sujets. Wilson fera date dans les pages de Zap Comix pour ses excès : amateur d'une violence plus extrême que beaucoup de ses collègues, l'auteur instille ses obsessions pour le crasseux, de scènes de sexe crues aux explosions de cervelles détaillées qui lui vaudront le surnom de "côté obscur des années soixante", un psychédélique plus noir et chaotique que les autres contributeurs de Zap. Ses personnages, Captain Pissgums, Star-Eyed Stella et le Checkered Demon, deviendront des invités réguliers dans la série de Robert Crumb.
Wilson poursuivra ses méfaits dans d'autres parutions plus tardives : Yellow Dog, Arcade avec Art Spiegelman et Weirdo dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix, avant de bifurquer vers l'illustration de livres pour enfants, principalement pour les contes des frères Grimm et Andersen. Il dira, plus tard, que cette envie de dessiner des histoires destinées aux plus jeunes était ce qui l'avait motivé, au départ, à devenir artiste professionnel, avant de "commencer à prendre du LSD et de partir vers un autre genre de dessins". Reconnu par William S. Burroughs, grand ami de Spain Rodriguez et admis au Will Eisner Hall of Fame en 1992, Steve Clay Wilson entamera une petite retraite après la fin des années 2000.
Ses dernières années furent particulièrement difficiles : en 2008, l'artiste est retrouvé inconscient entre deux voitures dans les rues de San Francisco, revenu d'une visite chez un ami proche. Si les circonstances de sa blessure resteront encore floues jusqu'à aujourd'hui, Wilson ne se remettra jamais réellement de ce traumatisme cérébral. Incapable de dessiner, incapable de tenir une conversation, le bonhomme souffrira de ce handicap pendant le restant de sa vie, enchaînant les ennuis de santé et nécessitant des soins spéciaux. Il disparaîtra peu à peu de la scène publique après son accident.
Une épaisse intégrale des travaux de S. Clay Wilson est disponible chez Fantagraphics, The Mythology of S. Clay Wilson, avec quantité de témoignages sur la vie et le parcours du géant.