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The Batman : polar poisseux et bouffée d'air frais pour le Chevalier Noir

The Batman : polar poisseux et bouffée d'air frais pour le Chevalier Noir

ReviewCinéma
On a aimé• Un vrai polar plus qu'un film de super-héros
• Zoë Kravitz en Selina Kyle
• L'intensité du regard de Pattinson
• Plein d'efforts dans la réalisation
• Un superbe travail de photo' sur les couleurs et les ombres
• Sait se montrer économe
• Paul Dano et Colin Farrell superbes
• Cette bande-son, dites
• C'est bien une proposition d'auteur sur une licence ultra-populaire...
On a moins aimé• Oui, il y a des longueurs
• Un Batman qui pêche un peu sur les combats à mains nues
• ... même si la fin vient nous rappeler que c'est aussi un film de gros studios
Notre note

Un parcours du combattant, c'est bien ce qu'a été la nouvelle aventure du Chevalier Noir au cinéma pour voir le jour. Projet né au coeur de la gestation d'un univers partagé mené par Zack Snyder, au départ devant être écrit et réalisé par Ben Affleck, qui était alors l'interprète du Croisé à la Cape dans ce qu'on appelait le "DCEU", le film a subi coup sur coup la gestion (ou plutôt, la non gestion) infernale d'un studio qui n'assumait plus la direction du réalisateur, et le départ progressif puis définitif du Batfleck du projet. Alors que tout prend l'eau et que la décision, chez Warner Bros., est donnée d'arrêter de vouloir faire de l'univers partagé à tout prix, le réalisateur Matt Reeves est embauché pour reprendre les commandes du film, et tout reprend à zéro. Un scénario revu de fond en comble pour s'orienter d'avantage dans un récit policier, un nouvel acteur (Robert Pattinson) pour donner ses traits à Bruce Wayne, et un casting quatre étoiles (Jeffrey WrightZoë KravitzPaul DanoColin Farrell) qui n'aura pas manqué de faire grincer comme à chaque fois quelques voix conservatrices dans le milieu de la pop culture. 

Un décalage de sortie lié à la pandémie de coronavirus venant repousser le film de plusieurs mois supplémentaires, et au final, The Batman est désormais prêt à se montrer à son public, avec une durée colossale de 2h55 - ce qui nous fait dire que définitivement, la direction de Warner Bros. et ses envies de films de moins de 2h30 pour avoir plus de séances par jour sont désormais bien loin. D'autant plus que l'entité DC Films a su prouver en quelques années se montrer bien plus intéressante lorsqu'elle laissait faire ses réalisateurs et réalisatrices, en témoigne des films aussi variés que The Suicide SquadJoker ou Birds of Prey (voire même Shazam!) qui, toute appréciation qualitative mise de côté, on chacun eu envie d'apporter un petit quelque chose au modèle hyper "tous publics" auquel on accole trop souvent l'étiquette en ce qui concerne les films de super-héros. The Batman de Matt Reeves arrive-t-il à sortir son épingle du jeu ? Oui, sans aucun doute. Est-il le film ultime sur le Chevalier Noir ? Peut-être pas. Mais l'expérience vue au cinéma ne nous donne qu'envie d'encourager, toujours plus, les studios à laisser les créatifs poser leurs pattes sur ces univers, plutôt que de vouloir s'enfermer dans des cahiers des charges et contraintes propres aux univers partagés. Explications.

Noir, c'est noir

Dans Gotham City, cela fait maintenant une paire d'années que les criminels de Gotham City réfléchissent à deux fois avant de commettre leurs méfaits. Du moins sont-ils prévenus : dans le ciel pluvieux, si le signal d'un chauve-souris se met à illuminer le ciel, mieux vaut décamper. C'est que Batman est dans le coin. S'il est communément admis que le symbole de la Chauve Souris est là pour instiller la peur dans le coeur des criminels, l'ouverture de The Batman sera là pour vous le montrer. Dès son introduction, Matt Reeves donne le ton de ce que sera son film. L'image est volontairement sombre, et Batman est là pour l'utiliser à sa guise, comme une créature qui se tapit et qui ne se montre qu'au dernier moment. Comme dans un film d'horreur. Malgré son début de carrière dans cet univers, et une apparence physique peut-être moins imposante que ce qu'on a pu déjà avoir, le Batman de Reeves (incarné par un Pattinson au regard fou) sait s'imposer à l'image. Méticuleux, préparé mais faillible, violent et sec quand il s'agit de frapper, souvent silencieux et maussade, ce Chevalier Noir séduit via son interprétation, et l'introduction qui lui est faite nous fait dire immédiatement que The Batman va nous emmener dans un paysage différent des précédents films.


Sur la caractérisation, déjà, le choix de Matt Reeves d'avoir un Batman à ses débuts est un bon pari à deux égards. D'une part, on s'épargne d'avoir une nouvelle origin story alors que le personnage a déjà été largement présenté sur le grand écran. Ce n'est pas que le meurtre des Wayne ne sera jamais abordé, mais le réalisateur peut s'épargner quelques lieux communs avec ce Batman déjà en activité. Assez rapidement dans le film, on fait comprendre que lui et James Gordon (Jeffrey Wright) opèrent depuis quelques temps ensemble, que la police et les citoyens de Gotham City ne savent pas trop quoi penser de ce personnage inquiétant, et que certains criminels ont encore du mal à le prendre très au sérieux (à leurs dépends, évidemment). Mais en étant placé à ce stade de sa carrière, on peut aussi comprendre un choix d'interprétation de Robert Pattinson, qui marque très peu la différence entre son Bruce Wayne et son Batman

Les deux sont taiseux, ont un regard sourd, empli de tristesse de de colère à la fois. Les détracteurs du comédien, qui en sont encore restés à Twilight, sauront à juste titre s'amuser dans leurs critiques puisque oui, ce Bruce Wayne a des allures d'emo adolescent assez loin de l'image du playboy qu'on lui connaît. Justement : encore à ses débuts, il est justifié d'avoir un Bruce qui ne peut être que le produit d'une enfance qu'on a brisée, et que seule la colère - ou sinon : la vengeance, comme c'est explicitement dit, jusqu'à être le vrai surnom du justicier - peut encore sauver. Chacun pourra se faire son avis sur cette question, mais elle résulte d'un choix affirmé, comme beaucoup d'autres décisions prises, qui forgent le caractère du film, et sa qualité globale.


Sur l'intrigue, mettons les choses simplement : un mystérieux tueur en série s'en prend à des hommes politiques dans tout Gotham City, en laissant volontairement au Batman des indices qui, malgré leurs résolutions, ne vont pas forcément l'empêcher de mener à bien ses prochains méfaits. Le Riddler très froid et méthodique campé par Paul Dano, qu'on pourrait retrouver dans un film de Fincher, est lui aussi une bonne surprise. On ne doutait pas qu'avec son physique et connaissant son jeu dans de précédents longs métrages, il n'aurait aucun mal à mettre mal à l'aise. C'est peut être d'ailleurs le seul acteur du lot, dans un casting quasi irréprochable sinon, qui en fait un peu trop sur certaines mimiques, alors qu'il est aisé de comprendre que ce Riddler n'est pas une personne fréquentable. Mais sa diction et son phrasé, en face d'un Robert Pattinson au silence lourd et au regard perçant, donne lieu à un face à face qui est l'un des meilleurs moments du film, la tension étant littéralement véhiculée par les yeux du Chevalier Noir, à mesure que ceux-ci s'assombrissent. 

L'enquête suit son cours et donne à The Batman son cachet de polar très noir, aux ambiances urbaines, et se déroulant sous une pluie battante quasi continue. Les amateurs de comics pourront aisément voir quels récits ont participé à forger le noyau du film, avec des inspirations classiques évidentes qui vont piocher des éléments de Year OneSelina's Big Score ou The Long Halloween, sans qu'une intrigue particulière (sauf sur la dernière partie) soit forcément inspiration directe. On retrouve même quelques pistes tirées de publication de DC Comics beaucoup plus récentes (telles que Zero Year et une autre dont on taira ici le nom), ainsi qu'une intrigue générale qui aime à explorer les figures du passé et de l'Histoire de Gotham City, comme ont pu le faire un Gates of Gotham, voire même le jeu Batman de Telltale Games qui s'était donné un malin plaisir à écorner quelques illustres figures de cet univers. Chez Matt Reeves, les zones d'ombres sont aussi nombreuses dans l'image qu'au sens figuré pour les personnages, et on se plait à rester dans cette ambiance volontairement noire.


Le film profite de ses personnages, assez nombreux au demeurants, pour les développer dans ses sous intrigues. Le milieu mafieux est exploré avec le Penguin (Colin Farrell, décidément bluffant et méconnaissable avec son maquillage) et Carmine Falcone (délicieux John Turturro) tandis qu'une bonne part du film nous permet aussi de passer du temps en compagnie de Selina Kyle. Qu'on se le dise, l'interprétation de Zoë Kravitz est formidable elle aussi, toute la dramaturgie et le mystère de l'héroïne passant dans une gestuelle et des regards travaillés. L'alchimie entre l'actrice et son partenaire masqué fonctionne, et permet de faire passer quelques moments de romance qui pourraient sembler un peu désuets sans cette complicité ou cette intensité. On pourrait d'ailleurs même trouver qu'au final cette Catwoman n'est pas autant exploitée qu'elle pourrait l'être - de quoi potentiellement valider un spin-off sur cette version de l'héroïne ? La demande publique devrait être là.


On mentionnait en début d'article l'utilisation de l'obscurité pour l'introduction de Batman, mais de façon plus générale, l'esthétique de The Batman est certainement le point le plus travaillé du film, et qui devrait mettre tout le monde d'accord. Matt Reeves multiplie les efforts de cadrages pour qu'on ne s'ennuie jamais avec ce qu'on a, et livrer quelques plans proprement fabuleux, mais aussi quelques grands moments de bravoure dans un film pourtant assez économes sur ses scènes d'action - car on le répète, il s'agit avant tout d'une enquête criminelle plus que d'un récit de super-héros. La photographie de Greig Fraser est elle aussi absolument remarquable, particulièrement dans cette utilisation des couleurs et d'un rouge prédominant, que l'on a largement pu constater sur la plupart des supports promotionnelles. Surtout, c'est l'usage de l'obscurité à des fins de mise en scène qui fascine, comme lorsque Reeves filme la première apparition de la Batmobile, en décalque de celle du Chevalier Noir. Le véhicule lui même devient alors une créature de film d'horreur. Plus généralement, le film est donc très agréable à l'oeil, et le fait, simplement, d'avoir une photographie lui permet de se valoriser vis à vis de quantité d'autres productions.

On pourra en parallèle faire un reproche dans la mise en scène de Matt Reeves, ou plutôt dans sa gestion du rythme, car oui le film est assez long, et pourrait gagner quelques minutes sans que rien ne change. Le réalisateur aime parfois prendre son temps à filmer des actions qui pourraient être plus rapides ; on passe aussi pas mal d'instants à simplement voir un Batman mutique scruter une scène où simplement laisser ses émotions parler au spectateur par le seul regard. L'ensemble fonctionne malgré tout, car tous ces aspects participent à la construction d'une ambiance très particulière, qui forgent à The Batman ce qui peut manquer à bien d'autres films : une personnalité. Imparfaite, peut-être, mais bien présente. Car on peut aussi trouver que Pattinson manque de présence physique et que les combats au corps à corps ne bénéficient pas du même soin ou de la même vitalité que, disons, une certaine scène de hangar dans un précédent opus. Ce Chevalier Noir est d'ailleurs un poil paradoxal dans sa capacité à pouvoir encaisser des tonnes de balles tout en étant mis à mal par le corps à corps. Ce qui ne manquera pas d'être soulevé par les fans les plus pointilleux - et ils n'auront pas tort.


Un autre point qu'il faudra absolument souligner, c'est le fantastique travail de Michael Giacchino sur la bande-son. Loin de ses compositions passe partout pour blockbuster super-héroïque calibré (qui ont le mérite d'accompagner des images, mais ne servent pas à grand chose d'autre), l'OST a des thèmes reconnaissables et qui marquent. La "marche impériale" dédiée à Batman est imposante dans sa lourdeur et la montée de son intensité rythmique, mais celui composé pour Selina Kyle, et ses quelques variations, est un pur joyau. Un air triste au violon, une touche jazzy avec la contrebasse, et une mélodie qui reste longtemps dans les oreilles. Un plaisir à réécouter chez soi, et qui donne littéralement quelques frissons (si ce n'est quelques larmes aux yeux pour les plus mélomanes) au cours du film.

On appréciera également tout l'univers que The Batman fait vivre en se plaisant à être dans un ensemble de poche, sans multiplier les clins d'oeils à outrance, même à son propre univers. Les fans de Batman reconnaitront ce qu'il y a à voir, le film ne s'éparpillant pas dans ce genre de fan service, afin que l'on puisse se concentrer sur ce que Matt Reeves a à nous dire, et à nous montrer. C'est d'ailleurs dans cet aspect qu'une seule scène, qui vient radicalement trancher avec le reste du long métrage, déçoit autant qu'elle dénote, et vient rappeler que, malgré toutes ses volontés d'être un polar et un "film d'auteur", The Batman n'en reste pas moins, également, le produit d'un gros studio. Bien qu'elle soit parfaitement justifiée d'un point de vue narratif, la conclusion qui amène sans aucune fenêtre de doute possible à une suite surprend un peu aussi, alors que le film aurait pu très bien en avoir une sans l'appeler aussi directement. Mais dans l'ensemble, par ici, on trouve que ces points de détails, et ces critiques tout à fait justifiées, ne gâchent pas l'immense plaisir qu'a été cette expérience au global.


Vous connaissez en effet sûrement nos positions sur les adaptations de comics, et les films mettant en scène des super-héros de façon générale, qui manquent à notre sens cruellement de prises de risque et simplement de créativité visuelle à l'heure où surtout, semblent désormais prédominer la simple notion de divertissement et celle de fan service (et encore, pas celle liée aux comics format papier). Dès lors, on ne peut que saluer ce qu'est The Batman, bien plus proche d'une "vraie" proposition de cinéma, quitte à se mettre une partie du public à dos. On préfèrera largement un film qui veut faire des choix et les assume et divise (et on pense que ce film va diviser le public) plutôt qu'un crowd pleaser que tout le monde oublie en deux semaines, même s'il fait gagner un paquet de pognon au studio. Matt Reeves tient dans cet aspect le bon bout par tous ces choix. Très polar, très terre à terre (sans le réalisme hyper technologique d'un Nolan), marqué et marquant par son ambiance poisseuse, The Batman convainc, donc, sur la base de sa proposition.

On partait pour mettre quatre étoiles mais la réflexion étayée (à deux reprises) au cours de la rédaction nous poussent à lever la notre d'un cran, à titre de mentions "encouragements" pour Warner Bros. Le projet est parti de très, très loin, et le résultat se hisse très haut dans le rang des adaptations de comics de super-héros. Par son approche qui lorgne du côté du polar et du film noir, par son esthétisme abouti, un casting qui ne dénote pas une seule fois, une bande son formidable, et des choix de caractérisation qui, certes sont discutables, mais restent cohérents dans l'ensemble du projet, The Batman montre qu'on peut travailler sur une personnage d'une grosse licence tout en ayant une proposition d'auteur, et ce avec un gros budget (ce qui n'était pas le cas de Joker). C'est cela qu'il faut souligner : The Batman a ses défauts (trop long, économe sur le spectacle, quelques restes obligatoires de cahiers des charges) et des partis pris qui vont entraîner bien des discussions - et c'est précisément de cela qu'il s'agit. On va parler de The Batman, de l'interprétation de Pattinson, des choix artistiques, de ses rebondissements, de son atmosphère : on va parler de The Batman en tant que proposition artistique, en tant que film, et pas simplement comme un produit de commande qui, tout divertissant qu'il puisse être, n'est qu'une pierre de plus dans un long escalier que tout le monde peut emprunter. C'est ce genre d'effort que l'on veut voir plus souvent. The Batman nous montre que c'est possible. Aux studios de suivre ce chemin.

Arno Kikoo
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