Les comics. Quel mot étrange. Quel monde étrange. Où un hercule en collants bleus et slip rouge fend les cieux. Où des orphelins se déguisent en chauve-souris ou en homme araignée pour combattre le crime. On y trouve une amazone qui joue du lasso, un scientifique introverti qui se transforme en monstre vert énervé ou encore un canadien caractériel et griffu. Et dire que tout a commencé avec un gamin en chemise de nuit jaune…
Les comics, ou comic books, pour les Américains ça signifie tout simplement la bande dessinée. De Superman à Tintin en passant par Naruto, tous sont des comics pour eux. Cependant, au sens où on l’entend habituellement, le mot comics désigne plus spécifiquement la bande dessinée Américaine, qu’on distingue de la BD (européenne) et des Mangas (Japonais). Les premiers comics remontent à la fin du XIXème siècle, avec The Yellow Kid in McFadden's Flats (1897) qui réimprimait sous forme de magazines des épisodes du comics strip Hogan’s Alley mettant en scène le fameux gamin en chemise de nuit jaune. Bien d’autres suivirent, surtout dans les années 30. Il s’agissait essentiellement de récits comiques (d’où le nom de comic books, et le surnom de funny books), de westerns ou d’histoires d’aventure. C’est en 1938, avec la création d’un certain Kryptonien, que l’histoire des comics va réellement débuter.
Un jour de juin 1938, Action Comics #1, publié par DC comics, débarque sur les étals des marchands de journaux pour la modique somme de 10 cents. C’est la première apparition de Superman, personnage créé par deux amis, Jerry Siegel et Joe Shuster. Extra-terrestre seul survivant de sa planète disparue, il porte un costume aux couleurs vives, a des pouvoirs extraordinaires et les utilise pour combattre le crime. Il est le premier super-héros au monde et le succès sera aussi immédiat que colossal. Action Comics se vend à des millions d’exemplaires. Un an après, DC réussit un second coup de maître avec Detective Comics #27, la première apparition de Batman.. Les éditeurs concurrents ne sont pas en reste et veulent tous leur part du gâteau : bien d’autres super-héros sont créés dont Captain America chez Timely Comics (futur Marvel). La seconde guerre mondiale contribuera grandement à la popularité de ces personnages, qui combattent les ennemis des Etats-Unis.
Après guerre, un autre éditeur fait beaucoup parler : EC Comics. Il se spécialise à partir des années 50 dans les polars et histoires d’horreurs d’une rare violence. Le succès est là aussi considérable au point qu’EC devient le numéro un de l’industrie. Il réussit même à attirer un public plus adulte, alors que les comics étaient à l’époque exclusivement destinés aux jeunes adolescents.
Hélas, cet âge d’or ne durera pas. Cela principalement à cause d’un homme, le docteur Frederic Wertham. Ce psychiatre publie en 1954 Seduction Of The Innocents, un pamphlet extrêmement virulent contre les comics qu’il rend responsables de la délinquance des jeunes, de l’homosexualité et du communisme. Son ouvrage fait grand bruit. Le spectre de la censure étatique qui plane alors sur la toute jeune industrie des comics incite ses acteurs à prendre les devants en créant leur propre code d’autocensure : le Comic Code. La conséquence est la disparition de tous les polars et titres d’horreur.
A cela s’ajoute un constant déclin de la popularité des super-héros après guerre (seuls Superman et Batman y résisteront) entraînant la disparition de nombreux titres. C’est de cette triste manière que le Golden Age s'achève.
Symboliquement, on considère que le Silver Age commence en octobre 1956 avec Showcase #4. C’est dans ce numéro qu’apparaît une nouvelle version de Flash, un super-héros DC créé durant leGolden Age et dont la série avait été annulée. De l’original il ne garde que le nom de code et les pouvoirs (courir vite). Pour tout le reste, il s’agit d’un nouveau personnage nommé Barry Allen. Ce nouveau départ sera l’origine de la renaissance des super-héros, qui redeviennent populaires. Ainsi DC relancera des nouvelles versions de tous ses personnages les plus populaires (Wonder Woman, Green Lantern…) dont la plupart ont encore leur propre série aujourd’hui.
Mais le véritable renouveau viendra d’ailleurs. De chez Timely Comics précisément, rebaptisé Marvel Comics, et de deux génies à l’imagination aussi extraordinaire que leur talent : Stan Lee et Jack Kirby. En novembre 1961, le duo lance Fantastic Four #1 et c’est une révolution. Les quatre héros sont aux antipodes des codes des super-héros. Nos héros se disputent entre eux et ont des problèmes qui n’ont parfois rien à voir avec le fait de sauver le monde, comme payer leur loyer. Bref ils ont leurs défauts et sont fondamentalement humains. Ce principe de « héros imparfaits » seradécliné dans toutes les créations du duo Lee / Kirby (Hulk, Thor, les X-Men…) et ne sera jamais aussi bien exploité que chez Spider-Man (pour le coup créé par Lee et Steve Ditko).
Le Silver Age c’est aussi l’époque où les comics s’intéressent au monde réel pour la première fois depuis la guerre. Racisme, drogue, politique sont autant de thèmes abordés par les auteurs, qui n’hésitent pas à l’occasion à s’affranchir du Comic Code pour pouvoir raconter leurs histoires. Cela y compris dans des séries majeures comme Amazing Spider-Man. Un autre aspect de cette prise de conscience sociale des comics est la naissance des comics underground (ou comix) avec Zap Comix #1 de Robert Crumb. Trash, provocateurs, ces comics sont tirés à très peu d’exemplaires et abordent sexe, politique et drogue d’une manière qui n’a rien à voir avec ce qu’on peut voir dans la production grand public. Ici aucun tabou n’est de mise.
Bref, les comics mûrissent et on voit l’aboutissement de cette
évolution avec l’âge suivant.
Les comics avaient déjà commencé à perdre de leur innocence au Silver Age en se penchant sur les maux de la société. Mais c’est durant le Bronze Age qu’ils lui diront définitivement adieu. On peut symboliquement faire démarrer cette époque en Mars 1973 avec la mort de Gwen Stacy, la petite amie de Spider-Man, dans les pages d’Amazing Spider-Man #121. Ce fut la première mort réellement marquante d’un personnage important d’une série (par opposition à des morts qui sont des ficelles scénaristiques comme celles des parents de Batman ou de l’oncle de Spider-Man, des personnages qu’on a vu uniquement dans le numéro où ils disparaissent). L’histoire déchaîne les passions chez les lecteurs. Bien d’autres morts suivront : Jean Grey dans Uncanny X-Men, Elektra dans Daredevil, Robin dans Batman… Plus que des astuces commerciales, ces histoires sont le symbole de l’entrée des comics dans l’âge adulte. Ils n’hésitent plus à être sérieux, voire tragiques. Cette nouvelle maturité permettra l’apparition d’histoires plus fouillées, plus riches, dont bon nombre deviendront des classiques incontournables tels que Watchmen par Alan Moore, ou The Dark Knight Returns et Daredevil Born Again par Frank Miller.
Le Bronze Age sera aussi une période faste pour un titre qui peinait durant le Silver Age : Uncanny X-Men. Sous la houlette de Chris Claremont et John Byrne les mutants atteindront les sommets en termes de popularité avec une nouvelle équipe très internationale incluant le Canadien Wolverine. Le duo offre ses lettres de noblesse à la série en multipliant les histoires qui deviennent des références comme la Saga du Phoenix Noir. Le même John Byrne sera l’artisan du reboot de Superman quelques années plus tard avec The Man Of Steel.
L’époque voit aussi l’apparition d’un phénomène qui est à la fois l’un
des plus grands attraits et des pires repoussoirs du monde des comics : le
méga crossover. Il était déjà arrivé que des personnages de séries
différentes (voir d’univers différents) se croisent dans les pages d’un même
titre. Mais avec Secret Wars #1 en
1984, Marvel passe au niveau supérieur en créant une mini-série impliquant tous
ses personnages. Le succès commercial est au rendez vous et en mars 1985 DC
lance sa réponse : Crisis On
Infinite Earths (qui aura en plus pour objectif de remettre de l’ordre dans
la continuité de l’univers). Les crossovers deviendront une habitude et
seront annoncés avec force battage médiatique à chaque fois, tendance qui
perdure encore aujourd’hui.
Cette dernière période est la moins bien définie. Il n’existe en effet pas de réel consensus quant à son début, ni même quant à son nom. La seule certitude est qu’on a quitté le Bronze Age. Symboliquement, Comicsblog a donc décidé de fixer le début du Modern Age à la naissance d’Image Comics, en raison de son impact sur l’industrie des Comics.
En 1992, sept artistes superstars décident de claquer la porte de Marvel pour fonder leur propre maison d’édition. Les meneurs de cette fronde sont Rob Liefeld, Todd McFarlane, Jim Lee et Marc Silvestri. La raison de leurs départs : ils en ont assez de voir Marvel gagner des millions grâce à leur travail et de ne toucher que des miettes. Alors ils lancent Image Comics pour y créer leurs personnages creator-owned, c'est-à-dire dont les droits appartiendront en intégralité à leurs créateurs. Ils rencontreront un succès incroyable, dépassant leurs attentes les plus folles.
La raison pour laquelle la création d’Image a été un évènement si marquant dépasse son succès commercial. L’éditeur a en effet incarné à la perfection toutes les tendances de l’industrie des comics dans le Modern Age. D’abord dans les années 90, où les artistes sont les rois. Ce sont leurs noms qui font vendre. Les scénarios sont par contre souvent des histoires simplettes de super-héros débordant de testostérone, d’antihéros torturés et violents ou de bad girls hyper sexy. C’est l’héritage du Bronze Age perverti. L’autre tendance majeure de la décennie, c’est la collection. Le marché des comics connaît un boom et le comic devient un objet précieux. Les variant covers se multiplient à outrance et s’échangent pour des sommes folles (jusqu’à des centaines de dollars). Du côté des deux gros éditeur, Marvel et DC, on surfe sur la vague mais comme en réaction à la prise de pouvoir des créateurs chez Image, les éditeurs encadrent de plus en plus fermement les auteurs.
Cependant cette période où l’argent coule à flots ne dure pas. Un effondrement aussi dramatique que soudain du lectorat entraîne une crise pour l’industrie qui se retrouve saturée. Les ventes s’effondrent..
Mais durant les années 2000, les comics sortent la tête de l’eau en se renouvelant. L’accent est de nouveau mis sur les scénarios et plus seulement sur les dessins. Une nouvelle génération d’auteurs émerge (Brian Michael Bendis, Ed Brubaker, Mark Millar…) et de véritables passionnés prennent les rennes de Marvel et DC (respectivement Joe Quesada et Dan Didio). On laisse les mains plus libres aux créateurs et l’archaïque Comic Code est enfin abandonné. Les comics envahissent aussi la culture « grand public » par le biais du cinéma, avec une pléthore d’adaptations à succès. Ainsi une nouvelle ère de créativité et de popularité naît des cendres des années 90, et dure encore aujourd’hui. Jusqu’au prochain âge…