Certains diront qu’il est un peu tôt pour considérer Scott Pilgrim comme un
classique. D’autres diront que même dans
dix ans, ce ne sera toujours pas mérité. La saga de Bryan Lee O’Malley a en
effet ses détracteurs, ceux qui n’y ont trouvé que médiocrité, dessins bâclés et lieux communs.
Mais elle a également des cohortes de fans : ceux-là y voient le genre
d’histoire qui marque et un humour non moins appréciable. Est-ce que cela
suffit pour en faire un classique ? C’est à vous de voir.
Si vous vous laissez prendre par les petites touches d’universalité, les
éclairs de génie parsemés ici et là par O’Malley dans les 6 tomes de sa saga,
ou bien par le charme de ses personnages, il y a fort à parier que vous me rejoindrez
dans les rangs des convaincus.
Scott Pilgrim a 23 ans. Il est Canadien. C’est un sacré looser, aussi. Scott n’a rien d’autre à faire de ses journées que d’aller jouer avec son (mauvais) groupe, les Sex Bo-Bomb, jusqu’au moment où il tombe amoureux d’une certaine Ramona Flowers, une fille “avec les cheveux comme ça”. Il faut dire que Ramona l’obsède : la jeune livreuse d'amazon.ca utilise un passage situé dans les rêves de Scott pour voyager plus vite. Si si, c’est très clair, si vous ne connaissez pas le principe c’est juste que vous n’êtes pas Américain.
Alors voilà, Scott est amoureux. Sauf qu’il sort déjà avec Knives. Une
lycéenne, complètement folle de lui, tellement folle qu’elle le trouve même
talentueux. Et c’est beaucoup dire.
Ce postulat vous permet déjà de cerner l’idée générale derrière Scott
Pilgrim : il s‘agit d’une forme de roman initiatique, une suite de péripéties
qui confronteront notre héros à divers choix et questions existentielles, des
épreuves qui vont faire grandir ce grand dadais pour un peu qu’il fasse enfin « ce
qu’il faut ».
Si l’idée de lire une aventure initiatique cocasse à l’humour un peu potache ne vous branche pas, peut-être serez-vous plus sensible à l’autre calvaire de notre ami Scott : les 7 exs maléfiques de Ramona.
On ne sort pas avec Miss Flowers impunément. Si Scott veut garder sa belle,
il lui faudra combattre les 7 derniers petits amis de la demoiselle. Il est
alors tout à fait possible de voir là une analogie, un commentaire sur la
difficulté que peut représenter le passé de ceux que nous rencontrons. Nous
pourrions disserter sur la symbolique du combat de Scott, de la place de Knives
dans tout cela, et du rôle presque exclusivement spectateur de Ramona, alors
que son prétendant se fait quand même sévèrement casser la tronche.
Mais nous ne le ferons pas. Scott Pilgrim n’est pas un comics où l’auteur
vous met le nez dans sa réflexion, vous force à aller chercher le sens des
symboles pour que vous y trouviez une seconde lecture. C’est un grand
divertissement, avec un coté potache, mais surtout avec une bonne grosse dose
de pop culture, de clins d’œil aux comics, aux mangas, aux jeux-vidéos et au
branleur cool qu’on a presque tous envie d’être. L’idée n’est donc pas de
sur-analyser les choses, mais de les ressentir et de s’y retrouver. Y compris dans les combats plus ou moins
ridicules, dont un contre un végétalien, qui est forcément doté de
super-pouvoirs, après être allé à l’école des végétaliens.
Ce qui fait le succès de Scott Pilgrim, c’est bien sa faculté de vous
concerner l’air de rien. Vous rigolez aux commentaires déplacés du colocataire
gay super-cool de Scott, Wallace, mais vous vous mettez aussi à sa place quand
il doit gérer sa vie sentimentale (ou pas hein, c’est qu’il a du succès le Wallace) avec un boulet d’assisté comme coloc’.
Toutes ces petites scénettes dont on peut tirer la moelle, la saveur deScott Pilgrim, s’imbriquent pour faire une petite histoire qui ne raconte rien
de bien important, un peu comme la balade d’un Holden Caulfield à New York dans
l’Attrape Cœurs. Et comme on a tous un peu de Caulfield, nous avons tous un peu
de Pilgrim.
Il y a donc une raison pour laquelle les six tomes de Bryan Lee O’Malley
ont donné naissance à un film et un jeu vidéo, non content de séduire à la
pelle dans sa version papier. Scott Pilgrim vous parle et vous motive même,
sans rien vous demander en retour. On retrouve l’envie de jouer de la guitare,
de tomber amoureux, d’avoir des emmerdes même, juste pour avoir l’occasion de
s’en sortir, et d’avoir la classe.