Oeuvre atypique dans le catalogue d'Urban Comics, un condensé des préjugés que l'on peut avoir sur la ligne Vertigo, intellectualiste, au dessin particulier et une narration qui a en horreur la linéarité, cet ouvrage pourrait de prime abord rebuter le lecteur qui vient chercher dans les comics ou la bande-dessinée en général un simple moyen d'évasion. Mais on ne le répètera jamais assez, il ne faut pas se fier aux préjugés.
"Cela m'a pris si longtemps pour le découvrir/..."
Les frères jumeaux Fabio Moon et Gabriel Ba ont eu envie de transmettre au travers de cette histoire une partie de leur vision du monde, habitués au monde coloré des super-héros où le merveilleux est devenu banal, ils ont ici pris une approche totalement opposée. C'est le monde réel et totalement banal qui se découvre un aspect merveilleux si on sait le regarder.
Le personnage dont on découvre la vie, Bras de Oliva Domingos, est un fil conducteur sur un questionnement perpétuel, comment s'intégrer au monde tout en poursuivant ses rêves, comment se définir en tant qu'individu à part entière tout en conservant l'héritage de ses parents, pourquoi l'amour ne suffit pas pour vivre avec une personne. Ce ne sont là que quelques-unes des questions posées tout au long des différents chapitres qui traversent les différents âges de Bras.
Mais ce n'est pas verbeux et ronflant de philosophie de comptoir, appuyé sur un dessin impressionniste et terriblement pertinent, le récit observe plus qu'il ne commente, se développant de manière sensible autour de son sujet, sans le suivre de manière chronologique, mais par petites touches éparses qui mises bout à bout permettent d'avoir une vue d'ensemble et qui se joignent dans deux derniers chapitres poignants de justesse et de profondeur.
".../Et je l'ai découvert"
Mais le thème le plus récurrent et central de cette histoire est sans doute le questionnement sur la vie et la mort, une dichotomie qui traverse les dix chapitres de ce recueil. Les auteurs ayant décidé de montrer toute la complexité de notre relation avec ses deux états qui sont inextricablement liés.
Et là où on aurait pu craindre encore une fois un développement à grand renfort de pathos ou de phrases bien tournées, toutes prêtes à être reproduites dans un agenda de collégienne, les réponses ne sont apportées que par le lecteur, chaque personnage n'ayant pas la vérité universelle mais celle qu'il entrevoit de son champ de vision personnel. D'ailleurs, Bras est sans doute par sa position de Rêveur celui qui permet le mieux de saisir l'ensemble de la question.
Car ici, le lecteur, à travers les vies et les morts du héros principal est un spectateur de la vision éclairante du protagoniste, dont plusieurs métaphores nous font comprendre son rôle de visionnaire dans ce récit. Mais encore une fois, le scénario préfère jouer sur la corde de l'émotion plutôt que du développement de thésard prêt à montrer au monde entier à quel point il est plus intelligent, voguant de la tristesse au sourire, parfois même trop émotionnel, trop intense pour le lire d'une traite.
Une aventure dans la vie d'un rêveur donc. Les deux frères jumeaux nous offrent un voyage dans leur bulle pleine de douceur où la réalité s'invite toujours de la manière la plus cruelle qui soit mais qui nous apprend sans désespoir ni cynisme que vivre, c'est mourir un peu tous les jours.
