Evan Dorkin (Milk & Cheese, Dork) et Jill Thompson (Wonder Woman, Sandman) m’ont forcé ! Ils ont lâché les chiens. Et même le chat. Ils ne m’ont pas laissé le choix. Je suis d’ordinaire réticent à accorder la note de 5/5 à un titre, surtout deux fois en si peu de temps (voir la récente chronique de Ragemoor). Après tout, des classiques il n’en sort pas toutes les semaines, ni même tous les mois, et un « fanboyisme » excessif enlève tout intérêt à une critique. Mais un « simple » 4,5/5 n’aurait pas fait justice à Beasts Of Burden : Neighborhood Watch. Car ce petit recueil regroupant trois histoires courtes publiées dans les anthologies Dark Horse Presents (#4, 6 et 8) a tout pour lui, et même plus.
Who let the dogs out ?
Beasts Of Burden, c’est l’histoire des protecteurs de la petite ville de Burden Hill. Nos héros la défendent contre toutes sortes de menaces surnaturelles, qu’il s’agisse de zombies, sorcières et autres monstres divers. Oh et j’oubliais : les héros en question sont des chiens (et un chat). Ace,Pug, Whitey, Rex, Jack et The Orphan (pitié ne me demandez pas les races, je n’y connais rien). Beasts Of Burden se classe donc dans la catégorie des comics avec des animaux parlant. Mais à l’instar d’Usagi Yojimbo, n’allez surtout pas croire que ça veuille dire « réservé aux enfants ».
Le duo Evan Dorkin/Jill Thompson a en effet un don pour écrire des histoires mêlant inventivité, poésie, horreur, humour et action. Et ils ont créé un univers riche, développant leur « mythologie » version quadrupède (le Black Dog, le Great Dog au paradis, les Wise Dogs…). On avait pu le constater tant dans les divers Dark Horse Book Of… où sont nés les protecteurs à quatre pattes de Burden Hill, puis dans la mini qui leur avait été consacrée. Et les trois histoires de ce Neighborood Watch viennent le confirmer.
Every dog has its day
Dans Food Run, The Orphan (le chat) et Rex essaient d’arrêter un gobelin voleur de poulets. De la course poursuite au final, tout est hilarant, digne des cartoons de Tex Avery. Et le rappel douloureux (pour Rex) que nos héros évoluent dans le monde des humains est étonnamment émouvant. Pour Story Time le Wise Dog (membre d’un ordre canin de sages veillant en secret sur le monde, et dont nos héros sont les apprentis) raconte l’histoire du chevalierAlric et de son héroïque chien Bitan, luttant contre un Basilisk. C’est épique en diable, digne d’une vraie légende. Et la chute de l’ « histoire cadre » (le Wise Dog raconte ça pour décourager des chiots de suivre nos héros lors de leurs patrouilles) est encore une fois très drôle.
Mais c’est The View From The Hill qui a pour moi fait passer ce titre de génial à parfait. Alertée par The Orphan, la petite bande tombe sur un troupeau de moutons apparemment égaré et protégé par un chien franchement pas commode. Et Jack s’évanouira rien qu’en les voyant. Ce qui suivra sera une simple conversation, dont je ne peux révéler la teneur sans déflorer l’intrigue. Disons seulement que c’est incroyablement poignant pour quelque chose d’apparemment si anodin. Et je vous garantis que la dernière page, révélant ce qui a tant choqué Jack, vous fera frissonner.
Ce dernier point nous amène naturellement à parler des superbes peintures de Jill Thompson. Ses aquarelles sont à tomber par terre. Son graphisme représente le parfait équilibre entre réalisme et des expressions cartoony pour les museaux de tous ces chers quadrupèdes. Comprenez-moi bien : bien que n’étant absolument pas anthropomorphisés, ces animaux n’auraient pas pu paraître plus humains. Ajoutez à cela une utilisation remarquablement intelligente des couleurs (le passage au gris quand un humain intervient pour ne citer que ça), et vous réaliserez que Jill Thompson fait partie des très grandes. Et cette dernière page…
Beasts Of Burden : Neighborhood Watch fait donc partie de ces titres qui vous prennent par surprise. Parce qu’on se doute que ça va être bon, mais pas à ce point. Parce qu’entre deux éclats de rire on se retrouve la gorge nouée, ou frissonnant de terreur. Parce qu’on oublie qu’on est face à des chiens (et un chat), pour n’admirer que des héros. Parce que la magie opère et qu’une fois le volume refermé on reste songeur un moment, avant de vouloir le relire. Et pour toutes ces raisons, il ne pouvait recevoir rien de moins que la note suprême.