Après un bilan sur le crossover Green Lantern: Rise of the Third Army en début de semaine, je vais me concentrer aujourd'hui sur celui qui vient de se terminer : Death of the Family. Je sais, j'ai mis Rotworld de côté mais c'est parce que sa fin m'a laissé un arrière-goût amer et que je préfère prendre encore un peu de distance avant d'en parler.
Après les débuts souvent acclamés de Scott Snyder et Greg Capullo sur Batman, et le fameux Court of the Owls / Night of the Owls, il était temps de voir si la suite était du même accabit . Pour beaucoup ce "second" arc consacré au retour du Joker allait aiguiser le jugement à porter sur Scott Snyder. En effet, vous avez pu voir ici et à peu près partout un engouement pour son travail ces deux dernières années, et certaines voix se sont élevées pour dire qu'on en faisait parfois (peut-être) trop. A partir de là chacun pourrait rester sur ses positions et se dire d'un côté "Ils critiquent parce que c'est cool de critiquer un truc acclamé par tous" et de l'autre "ils acclament parce que tout le monde acclame". Ce n'est pas forcément la position la plus intelligente et avec Death Of The Family j'ai décidé de remettre en cause Scott Snyder, peut-être justement à cause de ma déception sur la partie Rotworld de Swamp Thing.
Alors au final, cet arc vaut-il tout le bruit qui a été fait autour ? Une nouvelle fois je pense que le public sera divisé. C'est d'ailleurs étonnant de voir que Batman #17 a été critiqué par beaucoup de lecteurs sur Internet, alors que la plupart des gros sites de review lui ont mis la note maximale. Ne verrait-on pas là le symptôme du critique qui veut montrer qu'il a mieux compris que le public lambda ? C'est ce que j'ai pensé avant de le lire et de conclure qu'en fin de compte, un peu comme pour Lost, l'effet de ce final dépend totalement de ce que le lecteur attendait du crossover. Et on peut aisément comprendre les déceptions.
Replaçons donc les choses dans leur contexte. Scott Snyder a décidé que son second gros arc des New 52 se concentrerait sur le Joker. Pour ça, il avait besoin que le reste des auteurs laisse le personnage tranquille pendant un moment. Et c'est ainsi que dans Detective Comics #1, Tony Daniel faisait disparaître le Joker dans uncliffhanger qui nous montrait son visage arraché. Un an plus tard il est de retour et vient terroriser Gotham City. Mais son comportement semble avoir changé...
Le Joker revient et commence très fort en attaquant le commissariat du G.C.P.D. A partir de là, il se met à reproduire ses premières exactions dans l'objectif d'attirer Batman, pour finalement lui avouer son objectif : détruire la Bat-Family qui selon lui affaiblit le Chevalier Noir, son "Roi", celui avec qui il joue au chat et à la (chauve)-souris depuis le début. Quant à sa façon de faire, elle est étonnamment méthodique et calculée. Alors le Joker a-t-il vraiment changé ?
Si l'on se rend bien compte d'une chose pendant cet arc, c'est que le Joker de Scott Snyder est bien loin du Joker que vous aviez pu découvrir dans la série animée de votre jeunesse. Froid et sadique, il maîtrise avec perfection l'horreur, et sait où taper pour faire mal. Ainsi il nous offre quelques scènes d'une cruauté sans nom, dont une tapisserie d'être humains encore vivant rappelant les films les plus malsains qui soient. Si Batman est un personnage très populaire auprès du public, DC Comics accepte ici de ne pas le rendre lisible par tous, et c'est un bon point. Espérons juste qu'ils n'en abusent pas. Et le Joker ira-t-il jusqu'à commettre l'irréparable avec la Bat-Family ?
L'un des éléments au centre du récit est la connaissance que le Joker semble avoir des acolytes de Batman. On ne sait jamais trop s'il connaît réellement leur identité ou s'il joue de coups de chance, mais il s'en prend systématiquement à ceux qui travaillent ou ont travaillé avec notre héros. Et après avoir déjà tué un Robin il y a bien longtemps, on attendait impatiemment de voir ce qu'il allait faire pour priver Batman de cette famille qui le retient. Le tout donne des tie-ins sensiblement plus intéressants que sur Night of the Owls, à la différence qu'ils s'étendent ici sur plus d'un numéro, et que le lecteur peut s'y perdre.
Car l'un des éléments les plus perturbants ici est la chronologie. Le Joker parvient a torturer et capturer chacun des membres de la Bat-Family dans sa série respective. Il semble tout le temps présent partout, mais comment fait-il ? On est habitués aux éléments temporels un peu abusés des comic books, mais ici ça semble réellement dur de tout imbriquer dans l'histoire. Mais passons, puisque ce n'est pas là-dessus que nous allons juger cet arc.
La question reste donc de savoir si Snyder remplit son contrat. Tout ce déchaînement d'horreur amène-t-il sur une fin cataclysmique ? La famille est-elle détruite ? Qui va y laisser sa peau ?
A l'inverse de ses arcs précédents, il n'y a pas de gros mystère au centre de l'histoire. Le seul qui vient s'y insérer concerne la relation ambigüe entre Batman et le Joker. Ce dernier suggère que la famille n'est pas au courant de tout, et qu'elle a été trahie par celui qu'elle place sur un piédestal. Si une partie du mystère est révélé pendant le run (le Joker est supposé avoir accédé à la Batcave et connaître l'identité de chacun), c'est réellement Batman #17 qui vient éclairer le tout, et marquer le destin de chacun.
Il va être dur de ne pas tout spoiler pour ceux qui n'auraient pas tout lu, mais en conclusion tout ceci n'était qu'une vaste blague : il n'y a aucune conséquence directe sur les membres de la Bat-family, tout n'a servi qu'à instaurer le doute et à briser la confiance de chacun envers Batman. Je ne dis pas qu'il y a des pistes à explorer ou qu'il n'y a pas de grosses révélations impactantes, mais pas celles attendus.
La blague est double car en plus de celle infligée par le Joker à la Bat-Family, il y a celle de Scott Snyder envers le lecteur : tout ce à quoi vous vous attendiez n'a pas lieu, mais pourtant le résultat escompté est là, Batman se retrouve isolé.
Doit-on voir ici un coup de génie ou une grosse arnaque ? Je pense honnêtement qu'on est en droit d'y voir les deux.
Ramener le Joker à son état de psychopathe plus tenté par l'idée de jouer une blague à Batman que par celle d'éliminer ses acolytes, et transformer le tout en méta-blague envers le lectorat, ce n'est selon moi pas un coup de génie, mais tout de même plutôt intelligent. Je l'ai apprécié comme j'ai apprécié la fin de Lost. Mais on peut aussi le voir d'une autre façon.
L'auteur fait presque une promesse à son lectorat en le lançant sur des pistes qui n'aboutiront finalement pas. Et ce ne serait pas un problème de passer l'éponge si l'histoire n'avait pas été étalée sur tant de numéros. D'autant que certains éléments du numéro 17 apparaissent plus comme de la facilité pour la suite que comme un vrai coup de génie.
Ça semble un peu malhonnête de ma part de ne pas trop me mouiller et de vous laisser décider (la note ici correspond nettement à mon avis mais je ne connais même pas l'avis des autres membres de la rédac'), mais c'est juste qu'ici je pense sincèrement qu'il y a autant de choses à aimer qu'à regretter de cet arc, et que c'est selon la face du comic que vous préférerez mettre en avant que vous ferez votre choix.
On se retrouve devant un paradoxe avec cet arc, car si Court of the Owls avait une ampleur certaine, on en voit pour le moment peu de conséquences, et c'est ici le contraire : l'arc en lui-même, à l'exception de certains faits marquants, a moins d'envergure que ce qu'on attendait, mais devrait avoir des conséquences bien plus sévères. Reste à espérer que les auteurs des séries secondaires prennent bien tout cela en compte dans le comportement de leurs personnages. Ce n'est donc pas réellement sur cet arc que l'on jugera Scott Snyder, mais sur le prochain qui devrait ramener le Riddler sur le devant de la scène.
S'il y a bien un côté cependant que l'on ne peut nier, c'est le talent de Greg Capullo qui nous a une nouvelle fois subjugués par ses dessins sur la série principale. On espère qu'il restera encore très longtemps sur le titre en reprenant son souffle de temps en temps grâce aux fill-ins, à commencer par le mois prochain avec l'intérim de luxe d'Andy Kubert !