Avant que Superman ait des parents grâce aux Kent, avant même qu'il soit conçu par ses géniteurs kryptoniens, il eut deux pères. Aucun rapport avec le "Mariage pour tous" (à l'époque, aux Etats-Unis, il en était difficilement question), mais une vraie filiation avec le génie créatif. Un scénariste et un dessinateur, réunis par une passion commune et un sens des réalités un peu tronqué. Rien n'annonçait qu'ils créeraient l'un des personnages les plus connus et les rentables du monde. Bien au contraire puisqu'ils ne semblaient pas avoir les bonnes cartes en main. Et pourtant...
Vous vous souvenez de ce générique génial qui débutait à chaque épisode d'Amicalement Vôtre ? Cette musique géniale qui se déroulait tandis que l'on assistait à l'enfance et l'adolescence des deux protagonistes. C'est un peu de ça qu'il s'agit ici, deux existences qui se déroulent tranquillement avant que le destin les poussent l'une vers l'autre, comme une évidence.
Tout commence peu de temps après l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand. Alors que l'Europe s'apprête à s'embraser, le 10 Juillet 1914 à Toronto, Joseph Shuster pousse ses premiers cris. Fils d'immigrants juifs, son père vient des Pays-Bas et sa mère d'Ukraine, il ne nait pas avec une cuillère d'argent dans la bouche. Si bien qu'alors qu'il n'a pas encore l'âge de rentrer au collège, il va aider sa famille en travaillant au Toronto Daily Star. Il s'affaire alors dans l'agitation de ce grand journal, dans une ambiance survoltée et un rédacteur en chef qu'on n'imagine pas si éloigné de Perry White.
Cette fourmilière survoltée marquera profondément le jeune Joe. Mais c'est surtout les pages de comics strips qui vont le toucher. Ces histoires d'aventures un peu délirante feront leur chemin dans le jeune esprit du garçon, si bien qu'il se mettra alors à dessiner lui-même en rentrant chez lui, exerçant déjà son talent naissant. Mais pour cela, il est obligé de subtiliser des feuilles au journal, où il utilise les versos encore blancs. Alors qu'il a dix ans, toute la famille déménage à Cleveland, dans l'Ohio.
Cleveland justement, où quelques années plus tôt, le 17 Octobre 1914, était né Jerome Siegel. Ce fils lui aussi d'immigrés juifs, mais Lituaniens cette fois-ci. Encore une fois, c'est dans un milieu qui ne roule pas sur l'or que vient au monde le futur scénariste. Son père pourtant est un entrepreneur, il se débrouille pour ouvrir son propre atelier de peinture d'enseignes. Mitchell (sans doute pas son prénom de naissance) va d'ailleurs pousser les inclinations artistiques de son fils. Ce dernier suit fort bien les conseils de son père. En grand fan de cinéma et de comics, particulièrement ceux qui traitent de science-fiction, il va rapidement tenter d'écrire ses propres histoires. Un drame interviendra cependant dans cette enfance, qui si elle n'était pas aisée sera toujours évoquée par Siegel comme heureuse. Son héros de père mourra lors d'un cambriolage de sa boutique, alors qu'il est encore qu'au collège. Cela aura sans doute une incidence majeure sur le sens de justice du jeune garçon.
Plus tard, il entrera au Lycée de Glenville. Il réalisera alors de nombreuses histoires fantastiques et de science-fiction pour le fanzine de son établissement scolaire. Une de ses histoires les plus appréciées est une parodie de Tarzan, le destin est déjà en marche. D'autant plus qu'il va alors se lier d'amitié avec l'un de ses camarades, Joe Shuster. Les deux sentiront l'alchimie opérer entre eux, et se mettront à créer intensément plusieurs pages de comics. La petite histoire rencontre la grande Histoire.
Chapitre suivant >Et la lumière fût !Désormais, le duo ne se lâche plus, et écume les éditeurs telle une paire indissociable. Ils obtiendront en 1935 leur premier contrat, avec la National Allied Publications qui deviendra quelques années plus tard DC Comics. Pour le moment, ce n'est pas ce géant de l'édition, mais l'un des nombreux éditeurs qui sortent des histoires d'aventures dont est friande la jeunesse de l'époque. C'est ainsi que Shuster et Siegel prennent en main New Fun à son sixième numéro. Ils y racontent une histoire du mousquetaire Henri Duval, qui correspond à ces récits de cape et d'épée qui obtiennent beaucoup de succès entre les deux Guerres.
Ils vont aussi créer dans ce numéro Doctor Occult. Leur première création n'est pas anodine puisqu'elle sera le premier personnage que l'on retrouvera dans l'univers DC. Il est d'ailleurs toujours présent aujourd'hui puisqu'on peut retrouver ce détective du surnaturel dans les pages de Justice League Dark. Pour un coup d'essai, c'est plutôt bien joué. Ils continueront avec ce personnage jusqu'au numéro 32, en 1938. Ils reviendront bien plus tard sur ce titre, en 1945, quand ils seront au faîte de leur succès, pour y introduire Superboy.
Mais nous n'en sommes pas encore là. Avant d'obtenir leur premier travail professionnel, les deux compères avaient créé en 1933, The Superman, un vilain chauve (tient donc) télépathe, qui était apparu dans un fanzine de SF que publiait Jerry Siegel. Ils reprendront totalement leur concept pour en faire ce héros inspiré par Hercule, les récits de science-fictions qu'adoraient les deux amis et leur propre qualité d'immigrants, avec l'embryon graphique de ce qu'il est aujourd'hui. Ils réaliseront en une nuit leur toute première histoire. Il la proposeront à Consolidated Book Publishing, qui leur enverra une lettre d'encouragement mais aussi de refus. Une décision désastreuse, d'autant plus que suite à cette lettre, Joe Shuster de dépit jeta au feu tout ce qu'ils avaient réalisé jusque là. Jerry Siegel réussira cependant à sauver la couverture.
Entretemps, ils réalisèrent Detective Comics #1 où ils créèrent Slam Bradley. Ce nouveau comics, toujours publié par National Allied Publications attira l'attention de Vin Sullivan, l'un des éditeurs de la maison. Il cherchait alors à lancer une nouvelle revue, Action Comics, et voulait trouver une histoire à intégrer au premier numéro. C'est alors qu'il approcha le duo, qui lui proposa son histoire avec Superman. Intéressé, Sullivan tenta l'aventure. Il fut bien inspiré puisque le succès fut colossal, près d'un million et demi d'exemplaires furent écoulés. Tout cela alors que le duo avait cédé son histoire à la National pour un contrat qui ferait bondir tous les auteurs d'aujourd'hui. Ils avaient cédé les droits du personnage ainsi que tout le matériel des numéros à venir pour seulement 130$. Ils continuèrent avec ce régime jusqu'en 1946, prenant le temps au passage de créer le personnage du Spectre dans les pages de More Fun Comics.
Mais au bout de dix ans, ils se dirent qu'ils s'étaient bien assez fait exploiter et décidèrent de quitter DC Comics pour rejoindre Vin Sullivan qui avait entretemps créé Magazine Enterprises. Ils poursuivirent leur ancien employeur pour récupérer les droits de leurs personnages. Mais ils furent déboutés et la maison d'édition de Sullivan n'eût pas le succès escompté.
Fâchés contre DC Comics, Joe Shuster et Jerry Siegel vont amorcer une traversée du désert. Il faut comprendre qu'à l'époque, les auteurs importent peu aux yeux du public. Et qu'ils ne sont quasiment pas protégés par la loi américaine. Si bien qu'ils perdirent tous leurs droits sur leur personnage, qui a largement contribué à faire de DC Comics l'une des plus grosses maisons d'édition de comics.
L'expérience Magazine Enterprises ayant tournée court, les deux créateurs vont se retrouver presque dépouillés de tout. On pense que Joe Shuster ira dessiner de nombreux strips à droite à gauche, pour obtenir de quoi vivre. Il se peut même qu'il illustra un comic fétichiste sado-masochiste, si l'on en croit une étude qui compara son style à celui de ces comics qui se vendaient sous le manteau. Pourtant, pour Jerry Siegel, c'est presque pire puisqu'il va revenir la queue entre les jambes chez DC Comics. Il écrira alors des histoires de Superman sous un pseudonyme pendant que Mort Weisinger, cet éditeur pourtant si respecté connaissait parfaitement l'auteur derrière le pseudo. En 1967, ils tentèrent un nouveau recourt judiciaire, duquel ils furent encore déboutés.
Si bien que Siegel alla chez la concurrence, en écrivant quelques histoires de la Torche Humaine pour Marvel, ainsi que sur Angel des X-Men. Mais rien de tout cela n'eut beaucoup de succès et il fit alors le tour des différentes maisons d'édition. Il passa d'Archie Comics à Western Publishing en passant par Charlton Comics. Il alla jusqu'à travailler pour Mondadori Editore, qui publiait Disney en Italie.
Malheureusement, il ne fut pas le plus mal loti du duo. En effet, Joe Shuster multiplia les tentatives pour rester dans l'industrie des comics. Mais sa vue commençait de plus en plus à décroître et il ne trouva plus de travail. Il fut alors obligé de devenir livreur. L'ironie du sort, c'est que l'un de ses colis l'emmena dans les bureaux de DC Comics. Très certainement dû au fait de sa frustration accumulée, il provoqua logiquement un esclandre. Le président le fit venir, lui donna 100 dollars et lui dit de s'acheter un nouveau manteau et de trouver un nouveau boulot.
On a du mal à concevoir comment furent traités ces deux hommes qui avaient tant contribué à la légende de DC Comics, qui ont créé le super-héros le plus connu de part le monde. Mais ils obtinrent enfin gain de cause en 1975 quand Siegel, que rejoignit ensuite un Shuster quasiment aveugle, lança une campagne publique pour montrer comment DC les avaient traités. Ce n'est pas pour rien qu'ils attaquèrent à ce moment-là. Car le film Superman était près d'arriver sur les écrans, et la Warner pour éviter toute mauvaise publicité débouta le contrat qu'ils avaient signé plus de trente ans auparavant et leur alloua une pension annuelle de 20.000$ et une mutuelle. De plus, il fut décidé que leurs noms apparaitraient sur chaque oeuvre qui mettrait en scène Superman, ce qui fut effectif dès Superman #302 en 1976.
Cependant, la vanité de DC Comics ne semblait pas avoir de limites. Ainsi, en 1985, à la suite de Crisis On Infinite Earths, et avant que John Byrne donne un nouveau départ à Superman avec Man of Steel, l'éditeur Julius Schwartz proposa à Jerry Siegel d'imaginer la fin du dernier Fils de Krypton. On imagine aisément qu'il ne mit pas longtemps à décliner l'offre. Si bien que c'est Alan Moore qui se retrouvera à tête de ce projet (on en rediscute maintenant du respect des auteurs M. Moore ?) dans ce qui donnera Whatever Happened To The Man Of Tomorrow ?.
Joe Shuster mourut en 1992. Aveugle, il ne revint jamais dans l'industrie des comics. Cependant, celle-ci décida de l'honorer, lui et son camarade de toujours Jerry Siegel, l'année de sa mort avec une entrée au Will Eisner Comic Book Hall of Fame, et un an plus tard une entrée au Jack Kirby Hall of Fame. Jerry Siegel ne survécut pas longtemps à son ami et nous quitta en 1996.
Ils furent parmi les plus grands créateurs de leur temps, et si la reconnaissance fut tardive, vous ne pourrez pas manquer leurs noms quand ils défileront en lettres géantes au début de Man of Steel. Car c'est peut-être la plus grande récompense des créateurs, de vivre éternellement au travers de leur création qui continuera à inspirer et à montrer la voie.
Vous vous souvenez de ce générique génial qui débutait à chaque épisode d'Amicalement Vôtre ? Cette musique géniale qui se déroulait tandis que l'on assistait à l'enfance et l'adolescence des deux protagonistes. C'est un peu de ça qu'il s'agit ici, deux existences qui se déroulent tranquillement avant que le destin les poussent l'une vers l'autre, comme une évidence.
Tout commence peu de temps après l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand. Alors que l'Europe s'apprête à s'embraser, le 10 Juillet 1914 à Toronto, Joseph Shuster pousse ses premiers cris. Fils d'immigrants juifs, son père vient des Pays-Bas et sa mère d'Ukraine, il ne nait pas avec une cuillère d'argent dans la bouche. Si bien qu'alors qu'il n'a pas encore l'âge de rentrer au collège, il va aider sa famille en travaillant au Toronto Daily Star. Il s'affaire alors dans l'agitation de ce grand journal, dans une ambiance survoltée et un rédacteur en chef qu'on n'imagine pas si éloigné de Perry White.
Cette fourmilière survoltée marquera profondément le jeune Joe. Mais c'est surtout les pages de comics strips qui vont le toucher. Ces histoires d'aventures un peu délirante feront leur chemin dans le jeune esprit du garçon, si bien qu'il se mettra alors à dessiner lui-même en rentrant chez lui, exerçant déjà son talent naissant. Mais pour cela, il est obligé de subtiliser des feuilles au journal, où il utilise les versos encore blancs. Alors qu'il a dix ans, toute la famille déménage à Cleveland, dans l'Ohio.
Cleveland justement, où quelques années plus tôt, le 17 Octobre 1914, était né Jerome Siegel. Ce fils lui aussi d'immigrés juifs, mais Lituaniens cette fois-ci. Encore une fois, c'est dans un milieu qui ne roule pas sur l'or que vient au monde le futur scénariste. Son père pourtant est un entrepreneur, il se débrouille pour ouvrir son propre atelier de peinture d'enseignes. Mitchell (sans doute pas son prénom de naissance) va d'ailleurs pousser les inclinations artistiques de son fils. Ce dernier suit fort bien les conseils de son père. En grand fan de cinéma et de comics, particulièrement ceux qui traitent de science-fiction, il va rapidement tenter d'écrire ses propres histoires. Un drame interviendra cependant dans cette enfance, qui si elle n'était pas aisée sera toujours évoquée par Siegel comme heureuse. Son héros de père mourra lors d'un cambriolage de sa boutique, alors qu'il est encore qu'au collège. Cela aura sans doute une incidence majeure sur le sens de justice du jeune garçon.
Plus tard, il entrera au Lycée de Glenville. Il réalisera alors de nombreuses histoires fantastiques et de science-fiction pour le fanzine de son établissement scolaire. Une de ses histoires les plus appréciées est une parodie de Tarzan, le destin est déjà en marche. D'autant plus qu'il va alors se lier d'amitié avec l'un de ses camarades, Joe Shuster. Les deux sentiront l'alchimie opérer entre eux, et se mettront à créer intensément plusieurs pages de comics. La petite histoire rencontre la grande Histoire.
Chapitre suivant >Et la lumière fût !