Après les déconvenues survenues sur les titres Superman, avec un Andy Diggle qui claque la porte au bout d'un numéro et Scott Lobdell qui ne trouve pas son public entre autres, il était vital pour DC Comics de se parer d'une série qui redonne de sa superbe à l'Homme de Demain avec la sortie de Man of Steel sur tous les écrans autour du monde. Ils ont donc confié les clefs d'un tout nouveau titre à deux de ses artistes stars et croisé les doigts très forts.
La mission de Scott Snyder n'est donc pas simple, surtout que son dernier passage sur le Kryptonien n'avait pas marqué notre mémoire. Flashpoint : Superman étant assez médiocre, mais il faut reconnaître qu'il ne partait pas avec les bonnes cartes en main sur le coup. Il lui fallait trouver un angle d'attaque sur Superman qui puisse attirer de nouveaux lecteurs, tout en écrivant une histoire qui s'inscrive dans la continuité actuelle de DC Comics. De ce côté-là, rien à redire. C'est un vrai interlude hollywoodien que le scénariste nous offre ici. De grosses explosions (cela s'ouvre même sur la plus grosse d'entre toute), de la tôle froissée à foison, celle d'un satellite tant qu'à faire, et un Superman tout en puissance et splendeur. Remercions Jim Lee d'ailleurs puisqu'il semble vouloir mettre un point d'honneur à donner à son personnage la dimension majestueuse qu'il lui incombe. Quitte à faire des erreurs anatomiques exprès pour amplifier cette posture, comme ce que pourrait faire Travis Charest. Et tant qu'à faire, faisons voyager l'Homme d'Acier, de l'espace aux fonds sous-marins, tout ça dans un seul numéro. Qu'on se le dise, Snyder a respecté à la lettre son cahier des charges en donnant le ton de la série.
Ce travail fait, Scott Snyder va démontrer qu'il est plus qu'un écrivaillon. Il fait ce que l'on lui demande, mais apporte sa touche personnelle. Ici, c'est son obsession pour ces menaces apocryphes qui ressurgissent du passé qu'il met en exergue encore une fois, et c'est encore mieux si elles s'inscrivent dans le cadre d'un groupe secret. Comme avec ce club de ventes aux enchères d'objets ayant appartenu à des surhumains dans Detective Comics, ou avec évidemment la Cour des Hiboux qu'il a popularisé dans les pages de Batman. Là où avec le Chevalier Noir, il peut faire appel à l'histoire ténébreuse et presque mystique de Gotham City, avec Superman, il est obligé de s'inscrire dans un contexte résolument plus moderne. Ainsi, c'est un complexe militaire top secret qui agit dans l'ombre et qui préférerait ne pas voir le Grand Bleu s'intéresser de trop près à ses affaires. Si le principe est intéressant, plus que ce que l'on a pu voir jusqu'ici dans les New 52, la réalisation est un peu poussive. Oui, Snyder est un très bon écrivain, il a de la plume à n'en pas douter. Mais délayer ses scènes pour nous délivrer un cliffhanger que l'on sent venir dès le début, c'est un peu frustrant.
Une frustration qui ne dure cependant pas longtemps face au talent d'écrivain dont il fait preuve, et à l'entente qui l'unie à Jim Lee. On avait vu le dessinateur s'accommoder parfaitement du style de Geoff Johns, mais on en doutait pas trop tant les deux tendent vers le spectaculaire et un rendu assez cinématographique. Mais Snyder a un côté plus écrit (plus bavard aussi, sur certaines pages s'en est presque gênant), on aurait presque envie de dire plus littéraire. C'est un scénariste qui louvoie plus autour de son sujet. Si bien que l'on pouvait se demander comment s'opèrerait la symbiose entre eux. C'est simple, Jim Lee n'est pas là pour faire acte de présence. Il remplit les pages de son talent et de détails. Il accompagne le texte, là où une émotion est mise en ellipse, le créateur de WildC.A.T.S. saisit parfaitement la balle au bond pour la retranscrire en image. Les dialogues, les plans descriptifs, les scènes d'action, tout est mis en scène avec une égale et exceptionnelle qualité. On regrettera cependant que le back-up, si l'on peut l'appeler comme tel vu qu'il ne fait que deux pages, ne soit pas du même standard d'excellence. Alors que c'est l'une des scènes les plus travaillées et l'une des mieux écrites, on voit un Dustin N'Guyen bien en-deçà de son niveau habituel, comme s'il l'avait dessiné sans réelle conviction.
Si ce n'est pas bien grave, un autre sujet se trouve bien plus préoccupant. C'est celui de la menace en elle-même. Certes ce n'est ici qu'un numéro d'ouverture, une introduction d'un run que l'on espère assez long, mais il manque ici cruellement d'implication émotionnelle. Cela ne touche pas véritablement le héros en son sein. Présenter un mystérieux personnage, dont le design nous rappelle que Jim Lee est un rescapé des années 90, et nous faire croire qu'il sera un sparring partner qui donnera du fil à retordre à Superman quand il le combattra, c'est un poil léger. Ce genre d'histoire on en a lu des tonnes sur l'Ange de Metroplis, et on en connait la fin. On espère réellement que Snyder englobera le tout avec un penchant plus personnel ou qu'il arrivera à nous surprendre avec un sursaut scénaristique que l'on n'avait pas vu venir. Comme il nous a déjà fait le coup plusieurs fois (un nombre incalculable d'ailleurs dans American Vampire), on ne s'inquiète pas trop.
On ressort donc de cette lecture pas tout à fait prêts à vendre notre âme à Snyder, mais suffisamment émoustillés pour avoir envie de découvrir la suite. Car si le numéro en soit rempli parfaitement son rôle assigné, il manque le petit coup de boost qui nous emportera immédiatement. Mais à vrai dire, on ne doute pas trop sur le fait qu'il arrivera dès le second épisode.