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Attendu comme le messie depuis Octobre 2010, Man Of Steel s'est enfin offert au grand public aujourd'hui, lors d'une avant-première à la mise en scène, à l'organisation et à l'ambiance impeccable dans le magnifique cadre du Grand Rex. Et si les Internets anglo-saxons se déchirent depuis la sortie du film aux USA le 14 Juin dernier, nul doute que le public Français risque d'emprunter la même voie si l'on en croit les réactions au sortir de la salle, entre fans ravis d'avoir enfin découvert "le film que Superman méritait" et spectateurs beaucoup plus mesurés.
Mais plutôt que de porter un jugement catégorique sur la production d'un Chris Nolan finalement beaucoup plus présent qu'on aurait pu l'imaginer ces dernières semaines, revenons point par point sur les forces et les (quelques) faiblesses qui font de Man Of Steel un cas d'étude passionnant.
Que les futurs spectateurs échaudés par l'ambiance trop dépouillée des deux premières bandes-annonce se rassurent : Man Of Steel est aux antipodes de l'ambiance trop fréquemment qualifiée de "Terrence Malick" aperçue dans ces mêmes trailers. Véritable condensé d'action de la première à la dernière minute, le film de Zack Snyder trouve ses respirations par une narration osée, faite de flashbacks et d'ellipses qui viennent ponctuer tout en finesse le trop-plein d'action des scènes se déroulant dans le présent. Et si ce pari peut paraître fou alors que beaucoup de spectateurs s'attendaient à un déroulement chronologique aussi classique que le Héros qu'il traite, Zack Snyder et Chris Nolan puisent la force intellectuelle de leur long-métrage dans cette alternance entre l'adolescence d'un Clark campé par un Dylan Sprayberry impeccable et l'action contemporaine où Henry Cavill assume comme personne la lourde charge du costume de Superman.
Profitant de ces respirations pour aborder des thèmes on-ne-peut-plus sérieux tels que la remise en cause du créationnisme et de l'évolution en règle générale (incompatible avec l'idée même d'un alien omnipotent vivant sur Terre depuis 33 ans) ou le complexe messianique d'un héros qui représente l'avenir (et le catalyseur) de deux civilisations, le réalisateur et son diable de producteur offrent une vraie maturité à leur film. Et si l'on pouvait légitimement craindre que les deux hommes ne se contentent seulement d'effleurer ces sujets tristement qualifiés "d'adultes", il est intéressant de constater qu'ils prennent ici de vrais risques avec la bien-pensance Américano-centrée, taclant même parfois le dysfonctionnement de l'humanité, que ce soit dans sa politique, son égocentrisme ou dans sa manière de se réfugier derrière les religions.
Evidemment, on notera aussi la demi-douzaine de symboles bibliques qui parcourent le film, comme pour mieux appuyer sur ce complexe messianique d'un extra-terrestre plus perdu que jamais sur une Terre qui l'a pourtant toujours porté, devenu surhomme parmi les hommes, au point de mener une vie de paria, exilé loin du tumulte des grandes villes et de leurs préoccupations citadines.
Plus que jamais, Superman y apparaît comme un symbole d'espoir, d'acceptation, de déchirement entre une famille et des origines qu'il n'a jamais connu face à l'amour de ses parents adoptifs. Et si ces thèmes font partie intégrante du canon du personnage depuis 75 ans maintenant, ils sont ici magnifiés et offrent une véritable réflexion au spectateur, amené à réfléchir sur les délicats mais ô combien capitaux sujets de la parentalité, de l'accomplissement de soi et de la nécessité de faire le bien. Point culminant du film, c'est d'ailleurs la moralité humaine dont se sont affranchis les Kryptoniens qui se pose en élément différenciant de deux peuples aux considérations pourtant si proches.
Mais ces considérations lointaines ne seraient rien sans une mise en scène efficace, évitant l'écueil d'un déroulement manichéen et/ou trop simpliste. Zod, campé par un Michael Shannon des grands jours, y est un adversaire aussi crédible que passionnant et devrait s'emparer de l'empathie d'un très grand nombre de spectateurs. Motivé par des besoins purement survivalistes et politiques, l'antagoniste principal de Kal-El apparaît aussi déterminé que puissant, jamais calculateur, toujours sincère, parfois bestial. Mention spéciale également à Faora-Ul, lieutenante du général Kryptonien, servie par des effets spéciaux et des chorégraphies à vous en décrocher la mâchoire, très inspirés par l'univers graphique du dantesque Dragon Ball d'Akira Toriyama (une référence qui revient extrêmement souvent lorsqu'il s'agit d'évoquer l'ensemble des composantes de Man Of Steel).
De leur côté, les quatre personnages qui partagent la vie de Clark Kent livrent une partition sans fausse note, entre un Jor-El magnifié par un Russel Crowe qui signe ici une belle revanche face à Hollywood à l'instar de Kevin Costner (Jonathan Kent), et les deux mamans aussi aimantes que touchantes que sont Martha Kent (Diane Lane) et Lara Lor-Van (Ayelet Zurer).
Et enfin, comment ne pas mentionner la performance d'Amy Adams dans la peau de Loïs Lane, véritable avatar de la femme forte et déterminée, dont l'alchimie avec le colossal Henry Cavill crève l'écran dès leur première rencontre. Qu'on se le dise: un couple est né et il pourrait bien s'agir ici de la plus belle histoire d'amour des adaptations de Comics au cinéma...
D'un point de vue plus pragmatique maintenant, il est important de noter que le reproche récurrent qui est fait au film, à savoir qu'il serait trop "sérieux", est à balayer d'un revers de la main. Certes, Man Of Steel ne joue par la carte du gag et de la punchline à outrance, préférant se concentrer sur de vraies questions et de vraies réflexions, mais il vous arrivera sans aucun doute de rigoler à plusieurs reprises grâce à des ressorts comiques toujours placés aux bons endroits et qui n'en font jamais trop.
Mention spéciale également aux dialogues incroyables du film, pourtant plutôt taiseux dans son ensemble, dont beaucoup sont déjà connus des fans grâce aux quatre bandes-annonces diffusées depuis des mois.
Mais puisque Man Of Steel n'est pas sans défaut, il serait impensable de ne pas appuyer sur ses trois principaux écueils. Premièrement, l'incroyable score d'Hans Zimmer, qui livre ici l'une des plus belles pièces de sa carrière (jetez un oeil à l'OST complète du film pour vous en convaincre), est globalement mal utilisé, cantonné à habiller des bouts de scènes et réduit au rôle de détail là où il pouvait prétendre à celui d'accompagnant.
Et si le thème principal du film revient tout au long des deux heures et demi de film, il est triste de voir à quel point Zack Snyder et Chris Nolan ont mésestimé le travail de leur compositeur.
Vient ensuite le problème de la "patte Zack Snyder". Quiconque aime la filmographie du réalisateur de Watchmen dans son ensemble regrettera de voir le réalisateur abandonner ses gimmicks artistiques, au profit d'un image plus froide où l'on compte un seul véritable ralenti (je vous entend ricaner), un record pour le papa de Sucker Punch. On imagine que malgré les déclarations d'Henry Cavill, Chris Nolan a finalement joué un rôle prépondérant dans la production du film, laissant même parfois comprendre au spectateur les scènes où il a laissé son cadet de réalisateur jouer avec ses jouets et apporter un peu plus de son univers si particulier.
Les effets spéciaux cristallisent d'ailleurs à merveille cette impression de morceaux choisis de la part de Zack Snyder, soufflant le chaud et le froid entre un résultat parfois brouillon sur les scènes à priori moins importantes, et l'immensité des duels qui opposent Zod à Kal-El qui, là aussi, offrent des moments de grandiloquence directement inspirés par Dragon Ball Z.
Enfin, last but not least, les perspectives d'univers DC partagé au cinéma prennent un sévère coup dans l'aile au sortir de la salle. En effet, au delà des quelques clins d'oeils dévoilés par la production avant même la sortie du film, il est aujourd'hui compliqué de résoudre l'équation que s'est imposé Warner Bros avec la surpuissance et l'univers développés au cours du film. Imaginer un Batman courir aux côtés de ce Superman aussi rapide que colossalement fort semble presque du domaine de l'impossible, tant ce Kal-El/Clark Kent a été pensé au départ pour un film qui s'affranchit du reste de l'univers DC Comics. Rien de dramatique là dedans quand on connait l'envie de Zack Snyder d'offrir une suite à Man Of Steel pour mieux poser les bases de cet univers partagé, mais il est sûr qu'il serait bon ton pour Warner de prendre le temps de poser les bases d'un univers solide, sérieux et aussi passionnant dans le fond que ce premier chapitre d'une histoire que l'on espère longue.
Man Of Steel est un film déroutant. Passée la déception de constater que Zack Snyder s'efface derrière l'immensité du mythe de Superman et livre un film d'avantage porté sur l'action que sur l'ambiance que laissaient apercevoir les deux premières bandes-annonces, on retient surtout un modèle d'efficacité, un univers cohérent et un casting concerné par la tâche de redonner vie au plus grand des super-héros.
Pourtant, il serait dommage de cantonner le film à ce rôle de simple divertissement, tant les thèmes qu'il aborde sont passionnants et jamais simplement effleurés. De l'évolution des espèces jusqu'à la parentalité en passant par l'espoir, le réalisateur offre de quoi réfléchir encore et encore sur son oeuvre, et il ne fait nul doute que Man Of Steel sera un sujet de conversation pendant de longs mois...