En 2010, Captain America est aux prises avec un groupe terroriste d’extrême droite : les Watchdogs. Alors que le héros américain, aidé du Faucon, souhaite infiltrer l’organisation, il rencontre une manifestation de sympathisants dans une petite ville de l’Idaho lors du numéro 602 (février 2010). Le lecteur y découvre alors des pancartes indiquant « Pas de nouveaux impôts », « Non aux socialistes » ou encore des références au mouvement politique du Tea Party (voir image en galerie). Cette manifestation est l’occasion pour le faucon de plaisanter en précisant qu’il serait difficile pour un homme noir comme lui de passer inaperçu au milieu de ces « blancs énervés ». Indubitablement, cette blague fait faire aux lecteurs le lien entre terrorisme, racisme et Tea Party. Cette blague n’a clairement pas fait rire les activistes conservateurs, d’autant plus que le mouvement Tea Party était alors à son apogée aux USA. Rapidement, Fox News s’est emparé de l’affaire ce qui a conduit Marvel à présenter des excuses publiques et à annoncer le retrait des références au Tea Party dans les prochains tirages du numéro.
Cette affaire peut paraitre banale, mais elle soulève en réalité une question importante : l’affaire aurait-elle fait autant de bruit si le héros en jeu n’avait pas été Captain America ? Pour ma part, je pense que cette histoire révèle en réalité le lien étroit qu’entretient le patriote alpha des États-Unis avec l’histoire de son pays. Alors que la semaine spéciale consacrée à Captain America bat son plein, j’ai décidé de vous présenter la vie du super-héros au regard de l’histoire de son pays. Aux travers de ses origines, de son histoire ou encore de son évolution, on peut en effet appréhender le héros américains comme une métaphore de l’histoire des États-Unis.
Neuf mois avant que le Japon n’attaque la flotte américaine à Pearl Harbor, Captain America était déjà en guerre contre le nazisme. La couverture du premier numéro, datée à Mars 1941, montre d'ores et déjà le super-héros à la bannière étoilée en train de frapper Adolf Hitler.
D’aucuns pensent que les origines juives des créateurs du personnage, à savoir Jack Kirby (né Jacob Kurtzburg) et Joe Simon ont joué un rôle prépondérant dans la création et les débuts du personnage. Pour ma part, j’estime qu’au delà de leurs confessions et origines, c’est le bon sens de ces créateurs qui les a fait prendre partie contre le totalitarisme brun et fait entrer Cap’ en guerre avant sa nation.
La force du héros est d’ailleurs sans nul doute ses origines qui, à elles seules, sont une allégorie des États-Unis. En effet, les éléments de son background sont finalement assez évasifs et permettent à de nombreux américains de se reconnaitre en lui. Tout d’abord, son identité de Steven “Steve“ Rogers se compose du 18ème prénom et 60ème nom les plus utilisés des États-Unis. C’est peut être un détail pour vous, mais c’est en réalité assez significatif de la création du héros. En outre, il faut l’admettre, le jeune homme correspond plus ou moins à l’idée du physique d’un américain moyen des années 1940. Enfin, le héros américain grandit dans une famille d’immigré (rappelez vous que dans les années 1940, les amérindiens représentent moins de 0,3% de la population des États-Unis et vous comprendrez mieux cette information) sur la côté Est de Manhattan. La suite vous la connaissez tous : Steve est un jeune étudiant en illustration qui, malgré son zèle et son patriotisme pour combattre l’Axe, n’est pas recruté dans l’armée du fait de ses piètres qualités physiques. Il devient alors volontaire pour participer au programme du professeur Josef Reinstein pour créer des super-soldats. Le sérum du professeur transforme alors le frêle Steve Rogers en un sur-homme doté de capacités physiques extraordinaires : Captain America est né. Malheureusement, la Gestapo tue le professeur Reinstein avant qu’il ne puisse créer une armée de super-soldats, mais le jeune américain refuse d’abandonner la lutte… Armé d’un bouclier étoilé en vibranium et vêtu d’un costume rouge, blanc et bleu, Captain America s’engage dans la défense des États-Unis et devient le patriote ultime.
Comme le précise Jack Kirby, co-créateur du héros :
« Nous n’étions pas encore en guerre mais tout le monde savait que ça n’allait pas tarder, c’est pour cela que Captain America est né : l’Amérique avait besoin d’un super-patriote. Il symbolise le Rêve Américain. »
Après réflexions, on comprend que la création de Captain America ne pouvait en réalité prendre place que dans le contexte brulant de la Seconde Guerre Mondiale. En effet, cette création est particulièrement associée à l’effort de guerre que demande le gouvernement au peuple américain. Ainsi, le comic-book s’inscrit en tant que medium, aux côtés des posters, du cinéma ou des séquences d’actualité, dans la logique de la propagande de guerre des États-Unis. D’ailleurs, il est assez pertinent et révélateur de comparer les représentations des japonais et des allemands au sein du comics et des autres média : le concept d’ennemis de la nation sautent alors rapidement aux yeux.
Chapitre suivant >L'évolution : La Guerre FroideUne fois la victoire obtenue sur l’Allemagne nazi et le Japon impérialiste, la carrière de Captain America ne s’arrêta pas pour autant. En 1946, il devient membre de la All-Winners Squad, qui comprenait également la Torche Humaine, Namor, Whizzer et Miss America. Cependant, les relations diplomatiques entre les USA et l’URSS, les deux grands vainqueurs de la Seconde guerre mondiale, deviennent de plus en plus difficile et rapidement un conflit larvé s’installe : c’est la Guerre Froide. Aussi, au détour des années 50, les communistes commencent à remplacer les nazis dans l’imaginaire collectif américain comme la figure de l’ennemi de la nation. Ainsi, s’inscrivant dans cette mentalité binaire typique de la Guerre Froide, Captain America devient un « Commie smasher », autrement dit un frappeur de coco ! Cette appellation s’installe alors en entête sur la couverture de la série.
Crâne Rouge, le charismatique ennemi de Captain America, devient alors de plus en plus absent au profit d’adversaires acquis à la cause communiste (voir les numéros #76, #77 et #78 en galerie). C’est pourquoi, Steve affronta le vilain Electro, le pseudonyme d’Ivan Kronov, un citoyen soviétique sur lequel on fit des expériences scientifiques pour le transformer en monstre vert et poilu capable de contrôler l’électricité. Sur son buste, les lecteurs américains pouvaient y découvrir une faucille et un marteau rouge, symbole bien connu de l’Union Soviétique. Cet ennemi est symptomatique du climat de peur qui s'installe aux USA et des différents mythes qui circulent à propos des soviétiques. Bien évidement, les comics, destinés principalement à la jeunesse, doivent démontrer la supériorité des États-Unis sur leur adversaire. Par conséquence, c’est en un unique numéro que Captain America déjoua le plan d’Electro de détruire les Nations Unies.
Au sein des numéros, les auteurs y allaient également de leurs remarques sur les communistes avant même le début du récit ! Ainsi, sur la préface le lecteur pouvait trouver cette phrase :
« Les américains ne jouent pas pour gagner mais pour le bien de l’esprit sportif et du fair play… ce que les nazis et les ‘rouges’ ne comprennent pas ! »
Il semble néanmoins que cet esprit anti-communiste de Captain America n’ai pas véritablement séduit les lecteurs puisque la légende « commie smasher » ne perdura que pendant 3 numéros. Pourtant, la position anti-communiste du héros à la bannière étoilée est intéressante puisqu’elle témoigne à ses lecteurs de la dureté des rapports entre américains et soviétiques. Pour comprendre ce phénomène, il est possible de se rapporter au film L’Invasion des profanateurs de sépultures (Invasion of the Body Snatchers en VO) qui, dans le même état d’esprit métaphorique, illustre parfaitement l’instrumentalisation de la peur et de l’anxiété des américains au service de la lutte anti-communiste menée entre autre par Joseph McCarthy.
< Chapitre précédentAux origines : La Seconde guerre mondialeChapitre suivant >Le retour difficile et la chuteAprès avoir été laissé pour mort dans un iceberg de l’Arctique pendant 20 ans, Captain America revient en 1964. Mais le virage des années 60 est tout aussi difficile pour lui que pour les habitants des États-Unis. Il s’associe alors au Faucon, un super-héros afro-américain qui deviendra son partenaire dans la lutte contre la pauvreté, le racisme, la pollution ou encore la corruption dans le milieu politique. On comprend alors que sa lutte devient davantage interne, et moins tournée vers les conflits internationaux. Dans cette optique, qui peut paraitre quelque peu surprenante, Captain America reste particulièrement silencieux à propos de la guerre qui fait rage au Vietnam entre 1954 et 1975. En réalité, si l’on y réfléchit bien, la position du héros reflète l’ambivalence de l’avis des américains vis à vis de ce conflit. Les citoyens américains étant eux-même très divisés sur la question, Steve Rogers préfère ne pas s’exprimer, et ainsi ne froisser aucun de ses compatriotes.
De plus, Captain America a bien à faire avec les affaires internes de son pays puisque les années 70 sont marquées par le Watergate. Au paroxysme du scandale, le héros américain partage le désenchantement de sa population et ses désillusions. Steve Rogers arrête même de s’appeler Captain America pour devenir « Nomade, l’homme sans pays » en décembre 1974 (Captain America #180).
Le clivage naturel de la politique américaine entre démocrates et républicains rend le patriotisme de Captain America de moins en moins satisfaisant la population. En effet, si en temps de guerre, la nation américaine est relativement soudée vers un objectif commun (même si le cas du Vietnam fait exception), en temps de paix celle-ci se scinde et les aspirations patriotiques de Captain ne peuvent alors satisfaire tout le monde. C’est d’ailleurs suite à un clivage des super-héros autour d’une question politique, lors de l’event Civil War, que le héros connaitra sa perte. En effet, affirmant ses positions contre le Super-Human Registration Act, Steve se met à dos une partie des super-héros et de la nation américaine. Ne symbolisant plus le rêve américain, c’est finalement ce qui conduit à l’assassinat de Steve Rogers dans le numéro 25 de Captain America Vol. 5 (mars 2007).
Ed Brubaker, alors scénariste de la série en 2007, s’explique :
« Ce que j’ai découvert c’est que toute la branche dure des démocrates souhaitait que Cap fasse des discours contre la politique de George W. Bush au coin de la rue, alors que la branche dure des républicains souhaitait qu’il soit dans les rues de Bagdad en train de chasser Saddam Hussein. »
< Chapitre précédentL'évolution : La Guerre FroideChapitre suivant >Un héros indispensable ?Pendant l’été 2009, une nouvelle série en cinq parties intitulée « Captain America Reborn » fait son apparition. Ce n’est pas la première fois que Steve Rogers revient d’entre les morts, même si cette fois-ci il semble que le héros n’était pas vraiment mort mais plutôt suspendu entre la vie et la mort, perdu dans le temps à la recherche du présent.
En réalité, si l’on y réfléchit bien, c’est la crise économique de 2009, la pire qu’ait connu les USA depuis les années 1930, qui permit le retour du patriote iconique. L’éditeur exécutif de Marvel, Tom Brevoort, s’explique :
« Il semble qu’il y ait un désir d’espoir, un désir de héros, d’une personne capable de nous montrer que nous pouvons être meilleurs, et qui nous aide à nous tirer des mauvaises situations dans lesquelles nous nous sommes égarés »
Par ailleurs, Marvel a récemment appuyer l’utilisation de ses comics comme ressources pédagogiques pour les écoles des États-Unis et de nombreux professeurs semblent avoir porté leurs choix sur les comics de Steve Rogers afin d’enseigner des valeurs morales, patriotiques, d’espoirs et de courages à leurs élèves.
Neuf mois avant que le Japon n’attaque la flotte américaine à Pearl Harbor, Captain America était déjà en guerre contre le nazisme. La couverture du premier numéro, datée à Mars 1941, montre d'ores et déjà le super-héros à la bannière étoilée en train de frapper Adolf Hitler.
D’aucuns pensent que les origines juives des créateurs du personnage, à savoir Jack Kirby (né Jacob Kurtzburg) et Joe Simon ont joué un rôle prépondérant dans la création et les débuts du personnage. Pour ma part, j’estime qu’au delà de leurs confessions et origines, c’est le bon sens de ces créateurs qui les a fait prendre partie contre le totalitarisme brun et fait entrer Cap’ en guerre avant sa nation.
La force du héros est d’ailleurs sans nul doute ses origines qui, à elles seules, sont une allégorie des États-Unis. En effet, les éléments de son background sont finalement assez évasifs et permettent à de nombreux américains de se reconnaitre en lui. Tout d’abord, son identité de Steven “Steve“ Rogers se compose du 18ème prénom et 60ème nom les plus utilisés des États-Unis. C’est peut être un détail pour vous, mais c’est en réalité assez significatif de la création du héros. En outre, il faut l’admettre, le jeune homme correspond plus ou moins à l’idée du physique d’un américain moyen des années 1940. Enfin, le héros américain grandit dans une famille d’immigré (rappelez vous que dans les années 1940, les amérindiens représentent moins de 0,3% de la population des États-Unis et vous comprendrez mieux cette information) sur la côté Est de Manhattan. La suite vous la connaissez tous : Steve est un jeune étudiant en illustration qui, malgré son zèle et son patriotisme pour combattre l’Axe, n’est pas recruté dans l’armée du fait de ses piètres qualités physiques. Il devient alors volontaire pour participer au programme du professeur Josef Reinstein pour créer des super-soldats. Le sérum du professeur transforme alors le frêle Steve Rogers en un sur-homme doté de capacités physiques extraordinaires : Captain America est né. Malheureusement, la Gestapo tue le professeur Reinstein avant qu’il ne puisse créer une armée de super-soldats, mais le jeune américain refuse d’abandonner la lutte… Armé d’un bouclier étoilé en vibranium et vêtu d’un costume rouge, blanc et bleu, Captain America s’engage dans la défense des États-Unis et devient le patriote ultime.
Comme le précise Jack Kirby, co-créateur du héros :
« Nous n’étions pas encore en guerre mais tout le monde savait que ça n’allait pas tarder, c’est pour cela que Captain America est né : l’Amérique avait besoin d’un super-patriote. Il symbolise le Rêve Américain. »
Après réflexions, on comprend que la création de Captain America ne pouvait en réalité prendre place que dans le contexte brulant de la Seconde Guerre Mondiale. En effet, cette création est particulièrement associée à l’effort de guerre que demande le gouvernement au peuple américain. Ainsi, le comic-book s’inscrit en tant que medium, aux côtés des posters, du cinéma ou des séquences d’actualité, dans la logique de la propagande de guerre des États-Unis. D’ailleurs, il est assez pertinent et révélateur de comparer les représentations des japonais et des allemands au sein du comics et des autres média : le concept d’ennemis de la nation sautent alors rapidement aux yeux.
Chapitre suivant >L'évolution : La Guerre Froide