Captain Britain, Excalibur ou encore Justice League : Le Clou, Alan Davis a travaillé sur certains des plus grands runs de l'histoire des comics, et a vu quelques générations d'artistes passer devant lui. Toujours en activité, on le retrouve aujourd'hui sur des titres à l'esprit old school, comme Savage Hulk ou le futur Ultron Forever, mais il vit au milieu d'une industrie qui commence à le dépasser.
Rencontré le mois dernier lors de la Paris Comics Expo, il nous a confié son regard amer et pessimiste sur l'industrie actuelle du comic book, tout en continuant à partager sa passion pour un medium avec lequel il a grandit, à une époque sur laquelle il jette un regard nostalgique.
Comicsblog.fr : Bonjour M. Davis. Comment allez-vous ?
Alan Davis : Pas trop mal, je vous remercie.
Comicsblog.fr : Notre première question concerne l'industrie des comic-books. Vous en êtes un acteur majeur depuis très longtemps, comment voyez-vous les changements qui s'opèrent depuis quelques années avec les films ? Et comment vous placez vous dans ce système du divertissement ?
Alan Davis : Je me considère sur la touche, faisant partie des anciens. Les vents de l'industrie vont et viennent sans vraiment m'emporter. Les standards de l'illustration se sont fortement améliorés, mais je ne pense pas que le story-telling soit encore là. Aujourd'hui l'industrie ne concerne plus les histoires ou les personnages, mais concerne des produits, des marchés, et le fait de faire des personnages taillés pour le cinéma. Ça ne concerne simplement plus les comics. Et je n'ai pas honte de faire ce que je fais, mais j'ai souvent l'impression que ceux qui travaillent dans cette industrie le font plus pour atteindre Hollywood que pour écrire une bonne histoire. Et beaucoup d'artistes pensent à vendre des planches avant de raconter une bonne histoire. Il faut donc de gros personnages sur chaque page, ou quelque chose qui lui fera valoir de l'argent. Et moi je m'en moque, je veux raconter une histoire. Si je ne dessine pas une histoire, j'ai l'impression d'avoir échoué. Et donc je me sens à l'écart à cause de cette direction prise.
Et j'aime les films et je pense que c'est bien qu'ils soient là, mais je ne pense pas qu'ils amèneront plus de lecteurs aux comics. J'aimerais que ce soit le cas, j'adore les comics, mais en tant que moyen de raconter une histoire. Je me suis restreint à raconter des histoires de super-héros, mais je vois aussi le potentiel pour faire plus. J'aimerais faire des comic books de SF, de westerns ou autres, mais le super-héroïque est la seule forme à avoir survécue. A l'époque où j'ai commencé, les westerns étaient finis et il ne restait plus que Star Wars en SF. J'aimerais qu'il y ait plus de genres, et plus d'histoires. Ça me fait me sentir comme un dinosaure.
Comicsblog.fr : Y-a-t-il tout de même des auteurs modernes que vous aimez ?
Alan Davis : Je ne suis pas trop le marché, en travaillant dans les super-héros c'est presque tout ce que je vois. Et souvent ils racontent une histoire que j'ai déjà lue il y a 40 ou 50 ans. Ils refont les origines de Spider-Man ou Hulk, et je les ai vues tant de fois, et on ne peut en supporter qu'un certain nombre.
Comicsblog.fr : Pourquoi ne pas faire comme d'autres auteurs et artistes partis chez Image Comics par exemple ?
Alan Davis : Le seul creator-owned que j'ai fait était Marvelman, et en gros je me suis fait baiser. Donc je suis content de travailler pour des compagnies dans lesquelles j'ai confiance. Marvel et DC m'ont très bien traité.
Comicsblog.fr : Et comment vous êtes-vous fait baiser ?
Alan Davis : Et bien Eclipse (Comics) a réimprimé sans cesse, sans me payer ou me consulter. J'ai dit que je ne voulais pas être republié, et ils l'ont tout de même fait.
Comicsblog.fr : C'est pareil avec l'édition française ?
Alan Davis : Non avec Marvel je suis bien traité. Il y a des choses qui ne m'ont pas plu, comme dans tous les boulots, mais si je suis resté chez eux c'est qu'ils me traitaient très bien et me donnaient de la liberté, comme pour Killraven. Ca n'a pas été un succès aux USA mais j'ai adoré le faire, tout comme ClanDestine. Même si ça ne marchait pas ils me laissaient essayer pour voir si ça viendrait. Je suis très heureux.
Comicsblog.fr : Et Image Comics ? C'est une nouvelle façon de voir le creator-owned, non ?
Alan Davis : Je ne sais pas si c'est une nouvelle façon de voir les comics, mais c'est une nouvelle façon d'avoir du creator-owned. La différence entre un creator-owned et une major, c'est que le creator-owned veut devenir une major, avoir son succès. J'adore le fait que ce qu'on fait passer pour neuf en creator-owned sont souvent des variations de ce qui a été fait chez les majors. Je ne sens rien de réellement neuf, c'est une façon de refaire ce qui a été essayé.
Il y a longtemps quand Moon Knight est sorti, tout le monde disait que Marvel copiait Batman. Et c'est ce qui s'est passé. Chaque compagnie a créé des personnages, et maintenant on en décline des variations dans l'espoir d'attirer Hollywood pour faire de l'argent.
Comicsblog.fr : Que pensez-vous de l'invasion britannique ?
Alan Davis : On en parle mais je ne l'ai pas vue. Dans les années 60 on a eu une invasion de Philippins car ils étaient bon marché, et c'est pareil avec les britanniques. On est heureux de travailler dans l'industrie car on est des fans, c'est génial de se lever le matin pour aller dans son studio et être payé à dessiner. C'est différent d'un boulot normal. Mais on ne s'est pas battus dans le but d'envahir, on nous a juste demandé si on voulait du boulot.
Comicsblog.fr : Il y a toujours des comic books fait pour l'amour du medium plutôt que pour le cinéma, non ? C'est un catalogue de personnages, mais il reste de très bonnes choses vous ne pensez pas ?
Alan Davis : Comme je l'ai dit, les standards visuels ont changé, mais pour moi ce n'est pas l'esprit des comics. J'ai grandi avec une image spéciale des comics, à une époque où les formes de médias étaient limitées. En tant qu'enfant ou adolescent, il n'y avait pas de films ou de programmes TV faits pour moi, mes choix se limitaient à lire des livres ou des comics. Maintenant ce n'est pas pareil, il y a des portables, des jeux, tant de choses à faire. Les comics s'attaquent donc à une audience adulte, et je ne veux pas de cette audience, ce que j'écris ou dessine je le fais pour des enfants, en espérant qu'ils aiment. Donc il y a des choses que je ne veux pas faire. Je veux faire venir de nouveaux lecteurs sur le marché, pas traquer les anciens pour leur montrer comment les comics peuvent être intelligents. Ça ne m'intéresse simplement pas.
Comicsblog.fr : Vous aimeriez écrire votre propre comic book pour les enfants, selon votre vision des choses ?
Alan Davis : Je ne dis pas que ma vision est la bonne, c'est juste la mienne. Pour que le marché persiste, je pense qu'il faut de nouveaux lecteurs. Les anciens vont mourir un jour, et il faut renouveler l'audience. Et je veux des comics qui habituent les enfants à voir les mots et les images fonctionner à l'unisson. Malheureusement pour de nombreux comics actuels ça ne marche pas. Il y a des belles images et de beaux dialogues, mais qui ne marchent pas ensemble. Et je pense que c'est une chose qui s'apprend, de lire un comic book. Comme le fait que des gens ne regardent pas de films étrangers à cause des sous-titres. Certains ne parviennent pas à lire et appréhender l'image en même temps, et les enfants n'apprennent plus à le faire. Ils regardent des cartoons, c'est passif. Les comics sont interactifs, il faut travailler, les comprendre et les interpréter, et votre imagination doit travailler entre les cases. Beaucoup de lecteurs aiment les comics pour la récompense de l'effort. Un film, vous pouvez le regarder ou le laisser vous regarder en dormant devant. Pour les comics il faut s'investir, et ça donne un sentiment de loyauté envers le format. Et cette façon de faire n'est plus développée chez les enfants.
Comicsblog.fr : Quel comic book donneriez-vous à un nouveau lecteur ?
Alan Davis : Oh j'aimerais lui donner n'importe quoi. Une chose que j'ai faite en Angleterre et essayé de faire faire à Marvel était des comics à destination des écoles, sur la mythologie ou des classiques comme Tom Sawyer, ce qui a été fait je crois. C'est une bonne façon de faire lire les enfants, en leur simplifiant les choses pour les découvrir progressivement. C'est une chose qu'on peut faire avec les comics. Mais ça ne se fera plus maintenant avec les tablettes. Les cartables seront des tablettes, et la sensation n'est pas la même.
Comicsblog.fr : Comment voyez-vous l'avenir de l'industrie ? Avec le numérique, les artistes anglais, ...
Alan Davis : Je ne sais pas. Je n'en ai aucune idée. Vous savez je vais prendre ma retraite, c'est derrière moi tout ça.
Comicsblog.fr : Quand ?
Alan Davis : Je ne sais pas, quand je ne pourrais plus. Je me dis sans cesse depuis dix ans que je suis un dinosaure. De nouveaux artistes font de nouvelles choses, en numérique ou autre. C'est bien mais pour moi ce n'est pas des comics, c'est autre chose. Pour moi les comics sont définis par leur simplicité, par le fait d'amener le lecteur de la première à la dernière page sans qu'il se rende compte qu'il regarde des images. C'est raconter une histoire.
Une anecdote, il y a quelques années je dessinais Fantastic Four et il me fallait une référence d'une statue dessinée par Jack Kirby. Je savais globalement vers quelle année ça avait été publié, et dans quel comic book. J'ai fait chercher mon fils dans de vieux comic books en lui dessinant un croquis de ce que je cherchais. J'ai repris mon dessin et après quelques heures il n'était pas revenu. J'ai eu peur qu'il se soit trompé de livre donc je suis allé le voir, et il était plongé dans la lecture. Il avait été happé par l'histoire, et c'est ce que Jack Kirby parvenait à faire. Ça pouvait être brut, pas forcément beau, mais il vous attirait dans l'histoire et vous arrêtiez de penser au fait que vous étiez en train de lire. Je croyais dans ses personnages, et je ne ressens plus ça aujourd'hui. C'est peut-être mon âge, mais je ne ressens plus les comics comme avant. Je continue à lire, je lis des archives, mais plus de comics actuels. Je feuillète pour voir, je vois de belles images, mais pour moi quelque chose s'est perdu. Quand je lis d'anciens comics, ils ont toujours cette magie sur moi, je ne sais pas si ça vient de moi ou de ce qui se faisait à l'époque.
Comicsblog.fr : Peut-être un peu des deux.
Alan Davis : Avant je le ressentais de façon interactive, et ce n'est plus le cas aujourd'hui. Et mon fils a arrêté, il a perdu l'intérêt. Je connais très peu de personnes où je vis intéressées par les comics, et ça m'inquiète pour le futur de l'industrie.