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Dossier Premium : Le Docteur Wertham et le Comics Code Authority

Dossier Premium : Le Docteur Wertham et le Comics Code Authority

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Si vous avez chez vous des vieux comics, ou des reproductions de couvertures des fascicules sortis durant le Silver Age, vous n'avez sans doute pas manqué de remarquer le logo du Comics Code Authority. Ce petit carré blanc d'apparence innocente et qui a pourtant grandement marqué l'histoire de la bande dessinée américaine et son évolution. On revient aujourd'hui sur l'une des périodes les plus sombres des comics qui prouve que l'on peut justifier la pire des censures avec les meilleures raisons du monde.

1. Le Docteur Wertham
Chapitre 1

Le Docteur Wertham

Avant d'en arriver au Comics Code Authority lui-même, il nous faut d'abord nous intéresser à celui par qui tout est arrivé : le Docteur Fredric Wertham. Celui-ci nait en 1895 à Munich, il va suivre des études médicales avant de rapidement s'intéresser à la psychiatrie qui se développe alors. En 1921, il ressort diplômé de l'université de Wurtzbourg et va rejoindre la clinique d'Emil Kraepelin. Ce dernier est important dans la construction de la pensée de Wertham, étant le fondateur de ce que l'on appela la psychologie expérimentale.

Celle-ci est une approche plus scientifique de la psychologie que celle de Sigmund Freud (avec qui Wertham entretenait pour une correspondance). En effet, Kraepelin avait mis en place un système de classification des maladies mentales, répertoriant les symptômes pour établir une nomenclature de la folie. S'il on peut remettre en cause cette méthodologie, qui procède à contrario de la psychologie clinique que prônaient Freud puis les courants psychanalytiques menés par entre autres Jacques Lacan - notamment parce qu'elle applique une grille de lecture préalable à l'entretien avec le sujet, elle va avoir une forte influence.

Kraepelin va notamment affirmer qu'il y a une nosologie de la maladie mentale, et que les différences entre les sujets provient d'une évolution de ces maladies de base. Il va ainsi totalement nier l'analyse clinique et la complexité de la psyché humaine en procédant comme un médecin. C'est auprès de lui que Wertham va faire ses premières armes en tant que psychiatre, et y acquérir la conviction que l'environnement social et culturel a un impact direct sur le développement psychologique des enfants.

En 1922, il quitte l'Europe et s'installe définitivement aux Etats-Unis, où il obtient une chaise de professeur à l'université Johns-Hopkins de Baltimore. Il embrasse tellement le Nouveau Monde qu'il obtient la nationalité américaine dès 1927. Cinq ans plus tard, il va obtenir le poste qui va l'installer en tant que figure d'autorité puisqu'il devient le directeur des services psychiatriques des hôpitaux de New York. C'est ce nouveau poste qui va attirer l'attention de la justice américaine qui va alors souvent faire appel à lui en sa qualité d'expert psychiatre.

C'est grâce à cette fonction qu'il va se faire connaitre du grand public quand il sera amené à témoigner lors du très médiatique procès d'Albert Fish. Ce tueur en série cannibale qui fait passer Hannibal Lecter pour un petit délinquant (s'il n'avait que seize victimes confirmées, on estime qu'il aurait fait entre deux et quatre cents victimes) a été mis sous son observation et il le déclarera (à raison) malade mental, ce qui n'empêchera pas le juge de le considérer sain d'esprit et de le condamner à la chaise électrique.

On retrouvera chez Fish des nouvelles d'Edgar Allan Poe traitant de sévices corporels, et Wertham va alors commencer à théoriser sur l'influence négative de certains écrits. Il poursuivra dans cette idée, que les facteurs environnementaux peuvent provoquer des troubles mentaux, et publiera en 1941 Dark Legend, traitant du cas d'un meurtrier de 17 ans chez qui l'on avait retrouvé des comics. Le bon docteur y voit une corrélation, manquant de considérer que le lien de cause à effet pouvait être pris dans l'autre sens. C'est le début de sa campagne anti-comics.

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2. Seduction of the Innocent
Chapitre 2

Seduction of the Innocent

Après plusieurs articles sur le sujet, le Docteur Fredric Wertham, qui est alors une figure médiatique et une autorité scientifique de grande importance aux Etats-Unis, va publier Seduction of the Innocent en 1954. Il y développe les thèses comme quoi la violence et les sévices que l'on trouve dans les comics d'horreur, mais aussi dans ceux de super-héros et de polar, influencent des comportements similaires chez les jeunes lecteurs. Il faut ici préciser que Wertham fait partie de ces psychologues qui estiment que l'enfant est un être d'innocence pure par essence, niant alors les recherches sur la perversité infantile de Sigmund Freud (qui furent très mal reçues et qui sont toujours aujourd'hui un sujet sensible).

Son livre est rempli d'exemples tirés de ces comics, principalement ceux de EC Comics qu'il vise particulièrement, dont il tire des conclusions souvent hâtives. Ainsi, il établit que la relation entre Batman et Robin a un sous-texte ouvertement homosexuel (ce qu'il aura au moins le bon goût de ne jamais reconnaitre comme étant une perversion) ou que Wonder Woman est une figure du bondage. Pour le coup, sur ce point il a raison, son créateur William Moulton Marston ayant reconnu s'être intéressé à ce pratiques, mais il ajoutera que son indépendance et sa force en faisait aussi une figure lesbienne (ce qui était un problème à l'époque). Comble de l'ironie, il estime aussi que Superman est un fasciste.

Son propos n'est pas dénué de tout intérêt, notamment sur les publicités que l'on peut retrouver dans ces comics ou sur la représentation des personnages féminins. Pourtant, de nombreux exemples démontrent qu'il ne maîtrise pas du tout son sujet, traitant Blue Beetle comme une réminiscence de La Métamorphose de Kafka, oubliant totalement qu'il ne s'agissait que d'un costume d'insecte porté par un être humain. Un grand nombre de ses erreurs proviennent de son sujet d'étude, puisque ses observations sont basées sur les patients qu'il a en observation à l'hôpital psychiatrique de Bellevue, qui n'est évidemment pas représentatif de l'ensemble de la société. Surtout, on peut voir que le bon docteur a un parti-pris initial qui interfère avec toute objectivité, et on peut notamment lire ce genre de phrase qui montre son état d'esprit :

"Hitler was a beginner compared to the comic-book industry."

La publication de ce brûlot va coïncider avec la tenue du commission organisée par le Congrès sur la délinquance juvénile. Bien évidemment, le Docteur Wertham y est invité et profitant de sa notoriété y expose ses idées comme quoi cette littérature est une des causes majeures de la délinquance des jeunes. Ce sera pourtant William Gaines, l'éditeur en chef de EC Comics, qui va faire le plus de mal à l'industrie des comics quand il déclarera lors de cette commission qu'une couverture où l'on voit une femme décapitée est "de bon goût", propos évidemment sorti de son contexte mais qui sera publié tel quel dans la presse et qui va provoquer un véritable tollé dans l'opinion publique.

William Gaines ne s'en est sans doute pas rendu compte tout de suite mais il a signé la fin de sa maison d'édition à ce moment-là. Les comics vont être à la suite de cela réduit au seul genre édulcoré du super-héros. Quand Gaines aura compris comment tournera l'industrie, il créera le magazine satirique MAD et verra les dégâts provoquer par l'apparition d'un élément qui aura une importance primordiale dans l'histoire des comics : le Comics Code Authority.

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3. Le Comics Code Authority
Chapitre 3

Le Comics Code Authority

Si la commission d'enquête du Congrès n'aboutit sur rien de concret, les déclarations de ce dernier qui implique la responsabilité des éditeurs est pris comme une menace implicite. Il faut aussi rappeler que l'on est alors aux débuts du mccarthysme (la commission a lieu la même année que l'instauration des lois anti-communistes), cette chasse aux sorcières contre les communistes initiée par le gouvernement et qui crée un climat de paranoïa qui plombe la société américaine. Les éditeurs peu désireux d'être pris en grippe par le gouvernement vont prendre les devants.

Ils vont ainsi se regrouper pour créer d'eux-même le Comics Code Authority, une forme d'auto-censure drastique qui aura des conséquences terribles sur l'industrie. Une association qui regroupe les éditeurs est ainsi chargée de surveiller le contenu des comics selon une charte bien précise et terriblement restrictive qui comporte à ces débuts six points aussi limpides que restrictifs :

  • Toute représentation de violence excessive et de sexualité est interdite.
  • Les figures d'autorité ne doivent pas être ridiculisées ni présentées avec un manque de respect.
  • Le bien doit toujours triompher du mal.
  • Les personnages traditionnels de la littérature d'horreur (vampires, loup-garous, goules et zombies) sont interdits.
  • La publicité pour le tabac, l'alcool, les armes, les posters et cartes postales de pin-ups dénudées ne doivent pas apparaître dans les magazines.
  • La moquerie ou les attaques envers tout groupe racial ou religieux sont interdits.

Cette charte va signer l'arrêt de mort d'un très grand nombre de publication de l'époque et conduiront EC Comics a purement et simplement fermer ses portes, leurs comics étant principalement des histoire d'horreurs ou des polars noirs. Ne subsistent alors plus que les super-héros bien sous tout rapport et les comics de romance. C'est triste à dire, mais la prédominance de DC Comics vient en grande partie de ce Code, eux qui avec Archie Comics y adhérèrent jusqu'en 2011 (même si dans les faits ils ne l'observaient plus que partiellement).

Pourtant, cette charte fut critiquée dès son instauration, des deux côtés. Le Docteur Wertham estimait ainsi qu'elle était insuffisante puisqu'elle était contrôlée par les éditeurs eux-même. Il aurait préféré voir un organisme d'Etat régir ce Code, ce qui aurait sans doute signé la fin définitive des comics tels que nous les connaissons.

En face en revanche, William Gaines a tenté d'attirer l'attention sur le fait que la plupart de ses publications comportaient "crime" ou "horror" dans ses titres et qu'il ne survivrait sans doute pas à l'instauration de cette censure. On ne l'écoutât pas et il s'avéra que ses craintes étaient bien fondées. La perversion de ce système était qu'on était pas obligé d'y adhérer mais il devenait alors impossible de trouver un distributeur acceptant de diffuser vos comics, la censure par la peur fonctionnant alors à plein régime.

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4. L'évolution du Comics Code Authority
Chapitre 4

L'évolution du Comics Code Authority

Le Comics Code Authority va régir la bande dessinée américaine pendant plus près de vingt ans sans souffrir de contestation. Pourtant, à la fin des années 60, alors que des hippies chevelus foulent de leurs pieds nus les règles de ce vieux monde dépassé, va apparaître dans la Baie de San Francisco les comix underground. Une bande d'artistes qui n'a que faire de ce code et qui passe par un réseau de distribution parallèle, souvent des comics shops (par opposition aux kiosques à journaux), va redonner ses lettres de noblesses à la bande dessinée irrévérencieuse. Des artistes comme Robert Crumb, S. Clay Wilson ou Kim Deitch qui montrent qu'une littérature libre peut exister.

Ils se sont peut-être avancés un peu vite puisque la Cour Suprême établit en 1973 que l'obscénité n'est pas protégée par le Premier Amendement sur la liberté d'expression, l'occasion de faire le ménage dans tous ces comix. C'était sans compter sur un proche des idées de la Beat Generation qui va décider de faire bouger les choses alors qu'il est à la tête de l'une des maisons d'édition au succès le plus fulgurant, il s'agit bien évidemment de Stan Lee.

En effet, en 1971, le Département de la Santé lui demande de faire une histoire pour prévenir les jeunes des dangers de la drogue. Stan Lee va alors écrire une histoire de Spider-Man où l'un des amis de Peter Parker devient dépendant aux pilules et s'enfonce progressivement dans une déchéance morale et physique. Pourtant, le numéro ne sera pas accepté par le Comics Code Authority qui estime que toute référence à la drogue, même négative, doit être proscrite. Le patron de Marvel va alors tenter le coup de force et tout de même sortir le numéro.

Ce geste sera unanimement salué par les éditeurs et permettra de mettre en lumière toute la rigidité d'un organisme qui n'est plus aussi inatteignable. Ses règles seront revues à la légère, permettant plus de marge de manœuvre aux éditeurs de comics. C'est ainsi que DC Comics pourra publier un numéro de Green Lantern / Green Arrow où l'on voit l'acolyte de ce dernier, Speedy, se planter une seringue d'héroïne sur la couverture. Cela marque la disparition progressive du Code.

D'ailleurs, la mise en place d'un réseau de librairies spécialisées qui ne se soumet pas au Code (qui régissait surtout les sorties dans les kiosques à journaux) va lui mettre un ultime coup de grâce. Apparaissent alors des éditeurs comme Dark Horse ou Image Comics qui ne s'y soumettent pas, toutes leurs publications sortant dans les comics shops, et dont la non-affiliation au Code sera même un argument de vote. Marvel se retire de l'association en 2001 et DC Comics en 2011, mais c'est surtout symbolique puisque dans les faits ils ne s'y soumettaient déjà plus depuis un moment.

Cela ne veut cependant pas dire que la censure est de l'histoire ancienne, comme le rappelle Tetsuya Tsutsui dans son Poison City, où il relate cette histoire du Comics Code Authority. Il n'y a surtout pas de censure plus terrible que celle qui ne dit pas son nom, comme lorsqu'un gouvernement se porte en chantre de la liberté d'expression tout en procédant à des dizaines d'arrestations pour incitation au terrorisme. La meilleure arme de la censure a toujours été la peur. La meilleure arme contre la peur a toujours été le savoir.

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Chapitre 1

Le Docteur Wertham

Avant d'en arriver au Comics Code Authority lui-même, il nous faut d'abord nous intéresser à celui par qui tout est arrivé : le Docteur Fredric Wertham. Celui-ci nait en 1895 à Munich, il va suivre des études médicales avant de rapidement s'intéresser à la psychiatrie qui se développe alors. En 1921, il ressort diplômé de l'université de Wurtzbourg et va rejoindre la clinique d'Emil Kraepelin. Ce dernier est important dans la construction de la pensée de Wertham, étant le fondateur de ce que l'on appela la psychologie expérimentale.

Celle-ci est une approche plus scientifique de la psychologie que celle de Sigmund Freud (avec qui Wertham entretenait pour une correspondance). En effet, Kraepelin avait mis en place un système de classification des maladies mentales, répertoriant les symptômes pour établir une nomenclature de la folie. S'il on peut remettre en cause cette méthodologie, qui procède à contrario de la psychologie clinique que prônaient Freud puis les courants psychanalytiques menés par entre autres Jacques Lacan - notamment parce qu'elle applique une grille de lecture préalable à l'entretien avec le sujet, elle va avoir une forte influence.

Kraepelin va notamment affirmer qu'il y a une nosologie de la maladie mentale, et que les différences entre les sujets provient d'une évolution de ces maladies de base. Il va ainsi totalement nier l'analyse clinique et la complexité de la psyché humaine en procédant comme un médecin. C'est auprès de lui que Wertham va faire ses premières armes en tant que psychiatre, et y acquérir la conviction que l'environnement social et culturel a un impact direct sur le développement psychologique des enfants.

En 1922, il quitte l'Europe et s'installe définitivement aux Etats-Unis, où il obtient une chaise de professeur à l'université Johns-Hopkins de Baltimore. Il embrasse tellement le Nouveau Monde qu'il obtient la nationalité américaine dès 1927. Cinq ans plus tard, il va obtenir le poste qui va l'installer en tant que figure d'autorité puisqu'il devient le directeur des services psychiatriques des hôpitaux de New York. C'est ce nouveau poste qui va attirer l'attention de la justice américaine qui va alors souvent faire appel à lui en sa qualité d'expert psychiatre.

C'est grâce à cette fonction qu'il va se faire connaitre du grand public quand il sera amené à témoigner lors du très médiatique procès d'Albert Fish. Ce tueur en série cannibale qui fait passer Hannibal Lecter pour un petit délinquant (s'il n'avait que seize victimes confirmées, on estime qu'il aurait fait entre deux et quatre cents victimes) a été mis sous son observation et il le déclarera (à raison) malade mental, ce qui n'empêchera pas le juge de le considérer sain d'esprit et de le condamner à la chaise électrique.

On retrouvera chez Fish des nouvelles d'Edgar Allan Poe traitant de sévices corporels, et Wertham va alors commencer à théoriser sur l'influence négative de certains écrits. Il poursuivra dans cette idée, que les facteurs environnementaux peuvent provoquer des troubles mentaux, et publiera en 1941 Dark Legend, traitant du cas d'un meurtrier de 17 ans chez qui l'on avait retrouvé des comics. Le bon docteur y voit une corrélation, manquant de considérer que le lien de cause à effet pouvait être pris dans l'autre sens. C'est le début de sa campagne anti-comics.

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Alfro
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