Si dès ses débuts, Marvel a regardé vers les étoiles et les étendues cosmiques en envoyant les Fantastic Four dans l'Espace, elle n'a jamais oublié de garder les pieds sur Terre. Surtout que les rues de New York sont fermement ancrées dans le génome de la Maison des Idées. Aux côtés des héros surpuissants qui voyagent entre les planètes et les mondes alternatifs, il a toujours existé chez Marvel ces justiciers de la rue, proches du quidam et de ses "vrais" problèmes.
Si les Fantastic Four, avec leurs problèmes de famille et de riches, apparaissent en 1961 pour ouvrir l'esprit vers de nouveaux horizons, Stan Lee y fourrant tout ce qu'il peut récupérer comme concept de science-fiction qui lui plait, l'année suivante c'est presque un héros qui leur est opposé en tout qui va faire ses débuts. Spider-Man apparait dans Amazing Fantasy #15 et révolutionne le genre super-héroïque d'une manière totalement différente.
Là où l'équipe de Reed Richards est une famille qui opère à visage découvert, le jeune Peter Parker est héros esseulé qui se cache aux yeux de tous. L'une des composantes essentielles du personnage à ses débuts est justement sa solitude dans son combat contre le crime. Stan Lee veut créer un personnage proche de ses lecteurs, un ado qui galère dans la vie sociale du lycée et qui doit travailler pour aider sa Tante May à joindre les deux bouts.
Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que dans l'une des premières histoires du Tisseur (dans Amazing Spider-Man #1), sa tentative de rejoindre les Fantastic Four est échec. Condamné à combattre le crime à partir de la petite maison de sa tante, dans le Queens, bien loin des buildings rutilants de Manhattan, il va révolutionner le genre en étant un héros adolescent qui n'a pas eu de mentor.
Surtout, Peter Parker est irrémédiablement lié à la ville de New York qu'il parcourt en se balançant au bout de ses toiles. Il va très vite intégrer la rédaction du Daily Bugle et vivre selon la pulsation de la ville et de ses habitants. Spider-Man est un héros proche de l'habitant, de la rue. Durant sa longue carrière, il va devenir l'incarnation de cette ville et de sa volonté, défendant l'opprimé, les "petites gens", l'Araignée est un héros qui s'empare du paysage urbain et de ses problèmes inhérents.
Stan Lee va réitérer l'expérience en 1964 avec Daredevil. Il procède de la même identification par l'empathie. Il remplace la culpabilité de Peter Parker par un handicap marqué, en fait un avocat qui lui permet à lui aussi d'être proche de ceux qu'il s'est juré de défendre et dévoile un passé qui s'ancre dans la rue. Tout comme Spider-Man, le Diable Rouge est un héros que l'on associe au paysage new-yorkais.
Défenseur auto-proclamé du quartier de Hell's Kitchen, qui avant la réhabilitation et la gentrification était l'un des quartiers les plus chauds de Manhattan, Matt Murdock appartient à ces héros urbains d'un nouveau genre. En effet, si Batman est déjà considéré comme un héros urbain, son compte en banque et sa Batmobile l'éloigne d'un peuple auquel il n'appartient pas de toute façon. Alors que le fils d'un boxeur qui peinait dans sa tâche de père célibataire comprend le quotidien ardu de ceux qu'il a juré de défendre.
Spider-Man comme Daredevil vont d'ailleurs multiplier les coups durs, les désillusions, au cours de leur carrière. Les tragédies vont pavés leur chemin de croix, les héros mettant souvent leur personne comme bouclier contre l'infamie, ils seront amenés à prendre des coups terribles. Ce sens du sacrifice, qu'ils vont justifier par un sens moral aiguisé, va construire une nouvelle espèce de héros, du genre de ceux qui s'élèvent du peuple pour en défendre les intérêts.
Ce ne sera d'ailleurs pas pour rien qu'ils partageront le Caïd comme ennemi. Wilson Fisk est l'incarnation même de ce que les puissants ont de plus pervers, l'exercice du pouvoir dans ce qu'il a de plus opprimant. Les deux défenseurs de la Grosse Pomme serviront souvent de bouclier entre l'appétit dévorant du Kingpin et de tous ces gens qu'ils ont jurés de protéger. Les deux héros auront l'habitude de manger la poussière, mais ils se relèveront toujours et deviendront ainsi des symboles éternels de luttes des faibles contre les puissants.
Les années 70 et la fin des Trente Glorieuses sont le terreau fertile sur lequel l'univers street de Marvel va fleurir. Si Spider-Man et Daredevil avaient déjà pavé la voie, c'est tout un pan du fourmillant monde créé par la Maison des Idées qui va envahir les ruelles de New York. Premier à ouvrir les hostilités, Luke Cage débarque en 1972 sous les crayons d'Archie Goodwin et John Romita Sr., sous le pseudonyme de Power Man et avec tout l'attirail des années disco, chemise ouverte, bracelets rutilants et diadème qui retient une coupe afro.
Ce personnage est porteur d'un fort message social. Son ethnie n'est pas un hasard, ni son lieu d'opération. Black pris dans la tourmente des guerres de gang de Harlem, il va déteindre par rapport aux autres héros par un passé des plus troubles puisqu'il a fait lui-même partie d'un gang et se retrouve en prison pour avoir trahit son meilleur ami, qui le remerciera en cachant de l'héroïne dans son appart', après avoir réalisé que cet avenir ne lui réservait pas que des bonnes choses. Prise de conscience tardive, Luke Cage sait ce qu'est vraiment la rue.
S'il est la transcription en comics d'un genre cinématographique qui commence à faire fureur à cette époque, la Blaxploitation, il va s'associer à un autre avatar de ce cinéma de genre, les films de kung-fu cette fois-ci, Iron Fist. Celui-ci est l'incarnation du jeune premier, blond, riche et avenant, pourtant son passé prend racine dans un monastère mythique où il s'est formé aux arts martiaux avant d'être investi d'un pouvoir sacré. Surtout, alors que ses premières aventures le mène à combattre la haute finance, il va rejoindre Luke Cage à Harlem pour fonder ce qui sera un concept révolutionnaire : les Héros à Louer.
Alors que le super-héros a toujours été désintéressé, le duo vont avoir l'idée de créer une agence de super-héros, se mettant au service de ceux qui les embauches. Dans les faits, ils vont surtout venir en aide aux plus démunis que la justice a oublié. Ils seront très vite rejoints par un grand nombre de personnage, à commencer par les Filles du Dragon, sorte de construction en miroir et féminine du duo composé de Luke Cage et Daniel Rand. D'ailleurs, Misty Knight, l'une de ces deux héroïnes de la rue, reprendra la tête des Héros à Louer dans leur dernière incarnation.
Elles ne seront que les premières à rejoindre ce groupe qui va être une sorte de plaque tournante du nombre toujours plus grandissant de héros qui préfère combattre le crime dans la rue plutôt que des vilains venus du futur ou d'une planète exotique. Ainsi, on peut citer Shang-Chi, Spider-Woman, White Tiger ou le Faucon (qui était travailleur social à Harlem avant de rencontrer Captain America). Rejoindra aussi les rangs de cette équipe à la géométrie très variable un certain Moon Knight.
Souvent considéré à tort comme la version Marvel de Batman, il est d'abord apparu comme un vilain dans Werewolf by Night, avant que la popularité du personnage ne pousse Doug Moench à lui offrir une série solo. Celle-ci sera l'occasion de découvrir l'art saisissant de Bill Sienkiewicz et un héros aussi schizophrène qu'adepte des postures bien bad-ass sur des gargouilles. Marc Spector va devenir l'un des nombreux héros à hanter les ruelles de New York et se définira par une violence assez prononcée pour un justicier.
Si son origine vient de la mythologie égyptienne, c'est bien la rue qui sera le théâtre de ses exploits. D'ailleurs, pour rester au contact de celle-ci, il prendra l'identité de Jake Lockley, chauffeur de taxi qui n'oublie pas de regarder et d'écouter ce qui se passe autour de lui. Il prendra le pouls de la ville avec cette identité secrète avant de retourner la nuit dans sa tenue d'un blanc éclatant pour défendre, encore une fois, ceux qui ont été laissés de côté par le système.
Si le Punisher apparait en premier lieu dans les pages d'Amazing Spider-Man en 1974 comme un antagoniste, il va être réintroduit comme un "héros" en 1986. Steve Grant avait écrit une fan-fiction sur lui quand il était étudiant et qui va servir de base à la mini-série qu'il va lui offrir avec Mike Zeck. Il va le retcon en expliquant que ses "écarts de conduite" étaient dus à des psychotrope.
Il ne va cependant pas retoucher à la personnalité "homicidaire" du personnage. Pour Frank Castle, un bon criminel est un criminel mort. Pas trop fan de la réinsertion, ce vétéran du Vietnam symbolise les comics de son époque par sa justice expéditive. Les années 80 voient le ton de la BD américaine se durcir de plus en plus et la propension des héros à tuer grimpe en flèche. Et le Punisher va grandement contribuer à faire grimper le body-count de cette période.
Cependant, il n'est qu'un homme. Même s'il est particulièrement bien entraîné et qu'il est doté d'une volonté dure et froide comme l'acier, il n'est pas le premier héros qu'on enverra au casse-pipe contre Thanos. Son domaine est plus proche de nous, la criminalité bien humaine, celle qui n'a pas besoin de super-pouvoirs et gadgets hi-tech pour infliger mort et terreur. Tous ces mafieux, racketteurs, macs et autres terroristes vont donc pouvoir commencer à numéroter leurs abatis.
Ce domaine d'expertise fait donc pleinement entrer le Punisher dans l'univers street de Marvel, il fera même partie des Héros à Louer, mais va aussi le mettre en conflit avec ses principaux défenseurs. Ainsi, il ne sera pas rare de le voir aussi bien poursuivi par des tueurs à gage que par Spider-Man ou Daredevil qui vont avoir deux mots à lui dire sur sa façon de gérer ses conflits d'opinion. Reste qu'il va devenir un personnage emblématique de Marvel et avoir un nombre impressionnant de séries (et de relectures), avec notamment des auteurs s'interrogeant sur son sens de la justice, comme Greg Rucka ou Nathan Edmonson récemment.
Si les années 90 ont vu tous les héros descendre systématiquement dans la rue avant d'embarquer aussitôt après dans un conflit intergalactique. Il n'existe plus de frontière entre les genres, mais plus trop de portée symbolique non plus. Si l'on peut retrouver des décors fait de ruelles en briques et de bouches d'aération fumantes, les héros Marvel ne sont pas trop intéressés par les problèmes de ceux qui y habitent. Il y a un certain détachement de la question sociale, traduisant le cynisme ambiant.
Les années 2000 vont pourtant s'ouvrir à nouveau sur le monde, notamment avec Brian Michael Bendis qui se passionne pour ses contemporains. A l'époque, le scénariste est surtout connu pour être particulièrement brillant dans le domaine du polar où il a laissé quelques chefs-d'œuvre comme Torso ou Goldfish. Ses premières œuvres chez Marvel en gardent la marque, notamment Alias où il nous présente le personnage de Jessica Jones.
En forme de symbole, nous la découvrons alors qu'elle a abandonné son costume de super-héroïne, après le viol mental que lui a infligé Purple Man alors qu'elle était Jewel. Elle embrasse la carrière de détective privée et se confronte aux problèmes à échelle humaine. Surtout, Bendis va écrire une série très vivante où le relationnel prime. En forme de validation ultime, Jones va commencer à fréquenter Luke Cage, les deux deviendront l'un des couples les plus solides de Marvel ces dernières années, modèles parfaits de la gentrification d'Harlem.
Le nouveau millénaire sera aussi l'occasion de voir un héros de longue date se chercher une street cred : Black Panther. Fils héritier du roi du Wakanda, l'un des pays les plus technologiquement avancé du monde, membre de longue date de l'ultra-médiatique et ultra-institutionnelle équipe des Avengers, il fut même marié à une déesse mutante africaine, question classe sociale, T'Challa est plus cuillère d'argent que "the next morning high toasted up with my homies".
Pourtant, en 2006, David Liss va le nommer remplaçant officiel de Daredevil suite aux événements de Shadowland. Le héros va alors prendre l'identité de Mr. Okonkwo, immigrant du Congo qui ouvre un diner au sein de Hell's Kitchen. Il y écoute et règle façon paramilitaire les problèmes du voisinage. Très vite, il va se retrouver confronté à des suprémacistes serbes mais aussi à une femme qui se fait justice elle-même en assassinant des violeurs d'enfant. Niveau questions sociales, on est servi.
Depuis, ils sont légion à avoir pris un appart' dans New York, comme Hawkeye ou Miss Marvel (bon elle, elle habite toujours chez ses parents). Ils accompagnent le mouvement de gentrification des quartiers intérieurs de la Grosse Pomme qui voit une nouvelle classe moyenne réinvestir des blocs qui étaient il n'y a pas si longtemps presque des zones de non-droit mais aussi de mixité sociale.
Si les Fantastic Four, avec leurs problèmes de famille et de riches, apparaissent en 1961 pour ouvrir l'esprit vers de nouveaux horizons, Stan Lee y fourrant tout ce qu'il peut récupérer comme concept de science-fiction qui lui plait, l'année suivante c'est presque un héros qui leur est opposé en tout qui va faire ses débuts. Spider-Man apparait dans Amazing Fantasy #15 et révolutionne le genre super-héroïque d'une manière totalement différente.
Là où l'équipe de Reed Richards est une famille qui opère à visage découvert, le jeune Peter Parker est héros esseulé qui se cache aux yeux de tous. L'une des composantes essentielles du personnage à ses débuts est justement sa solitude dans son combat contre le crime. Stan Lee veut créer un personnage proche de ses lecteurs, un ado qui galère dans la vie sociale du lycée et qui doit travailler pour aider sa Tante May à joindre les deux bouts.
Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que dans l'une des premières histoires du Tisseur (dans Amazing Spider-Man #1), sa tentative de rejoindre les Fantastic Four est échec. Condamné à combattre le crime à partir de la petite maison de sa tante, dans le Queens, bien loin des buildings rutilants de Manhattan, il va révolutionner le genre en étant un héros adolescent qui n'a pas eu de mentor.
Surtout, Peter Parker est irrémédiablement lié à la ville de New York qu'il parcourt en se balançant au bout de ses toiles. Il va très vite intégrer la rédaction du Daily Bugle et vivre selon la pulsation de la ville et de ses habitants. Spider-Man est un héros proche de l'habitant, de la rue. Durant sa longue carrière, il va devenir l'incarnation de cette ville et de sa volonté, défendant l'opprimé, les "petites gens", l'Araignée est un héros qui s'empare du paysage urbain et de ses problèmes inhérents.
Stan Lee va réitérer l'expérience en 1964 avec Daredevil. Il procède de la même identification par l'empathie. Il remplace la culpabilité de Peter Parker par un handicap marqué, en fait un avocat qui lui permet à lui aussi d'être proche de ceux qu'il s'est juré de défendre et dévoile un passé qui s'ancre dans la rue. Tout comme Spider-Man, le Diable Rouge est un héros que l'on associe au paysage new-yorkais.
Défenseur auto-proclamé du quartier de Hell's Kitchen, qui avant la réhabilitation et la gentrification était l'un des quartiers les plus chauds de Manhattan, Matt Murdock appartient à ces héros urbains d'un nouveau genre. En effet, si Batman est déjà considéré comme un héros urbain, son compte en banque et sa Batmobile l'éloigne d'un peuple auquel il n'appartient pas de toute façon. Alors que le fils d'un boxeur qui peinait dans sa tâche de père célibataire comprend le quotidien ardu de ceux qu'il a juré de défendre.
Spider-Man comme Daredevil vont d'ailleurs multiplier les coups durs, les désillusions, au cours de leur carrière. Les tragédies vont pavés leur chemin de croix, les héros mettant souvent leur personne comme bouclier contre l'infamie, ils seront amenés à prendre des coups terribles. Ce sens du sacrifice, qu'ils vont justifier par un sens moral aiguisé, va construire une nouvelle espèce de héros, du genre de ceux qui s'élèvent du peuple pour en défendre les intérêts.
Ce ne sera d'ailleurs pas pour rien qu'ils partageront le Caïd comme ennemi. Wilson Fisk est l'incarnation même de ce que les puissants ont de plus pervers, l'exercice du pouvoir dans ce qu'il a de plus opprimant. Les deux défenseurs de la Grosse Pomme serviront souvent de bouclier entre l'appétit dévorant du Kingpin et de tous ces gens qu'ils ont jurés de protéger. Les deux héros auront l'habitude de manger la poussière, mais ils se relèveront toujours et deviendront ainsi des symboles éternels de luttes des faibles contre les puissants.