Les personnages de comics ont souvent évolué au fil des scénaristes qui travaillaient à leur destinée. Daredevil n'échappe pas à la règle, bien au contraire, puisque de héros lumineux un peu naïf, il est devenu un symbole de la tournure plus mature que prirent les comics dans les années 80. Sous la plume de trois artistes de renom, l'Homme Sans Peur a progressivement changé de visage.
Dans les années 70, Daredevil vivote parmi la multitude de héros qui peuplent les publications de Marvel. Ses aventures ne se différencient pas énormément de celles d'un Spider-Man sans attirer un lectorat équivalent, certains arcs comme celui avec Black Widow trainent même en longueur et une fois que Gene Colan a définitivement quitté le titre, il peine à convaincre.
C'est en 1979 que le titre accueille un jeune dessinateur qui n'a alors fait jusque-là que quelques fill-ins. Frank Miller devient donc l'artiste régulier pour Daredevil et rejoint le scénariste Roger McKenzie et l'encreur Klaus Janson qui étaient déjà sur la série. S'il s'entend très bien avec l'encreur, avec qui il va beaucoup discuter, sa relation avec le scénariste va très vite se dégrader. Miller n'est qu'un jeune premier mais il n'hésite déjà pas à dire ce qu'il pense et il trouve les scripts qu'il reçoit de piètre qualité.
Sa chance va arriver quand Dennis O'Neil, le célèbre scénariste de Green Lantern/Green Arrow, débarque comme éditeur sur le titre. Au moment où se pose la question de son annulation pure et simple, les ventes ne suivant pas, O'Neil va remarquer le talent du dessinateur pour l'écriture grâce à un back-up de quelques pages. Il va prendre alors une décision osée en 1981, débarquer McKenzie et laisser Miller seul à la tête de la série avec Janson qui encre toujours.
Frank Miller est alors féru de mangas, ce qui à l'époque où la BD japonaise traversait assez peu le Pacifique, n'était pas du tout répandu. Il va s'en inspirer, non seulement graphiquement où il dynamise le dessin, invente de nouveaux cadrages et explose la narration graphique classique, mais aussi pour son histoire. C'est ainsi que dès son premier numéro comme scénariste, il nous introduit le personnage d'Elektra, mercenaire ninja sulfureuse.
Surtout, il va redéfinir le personnage de Daredevil en lui offrant de nouveaux talents d'artiste martial. Obsédé par la culture japonaise, il retcon le personnage en introduisant Stick, qui sera son mentor en arts martiaux et qui va permettre à Miller de livrer des combats qui crèvent graphiquement ses pages. C'est aussi à se moment-là qu'il introduit un élément important de l'histoire de DD : la Main.
D'un super-héros classique, Frank Miller va faire de Daredevil un héros urbain qui se démarque par un traitement plus proche du manga. Si bien que seulement au bout de trois numéros, Dennis O'Neil transforme le bimensuel en mensuel et DD devient rapidement l'un des personnages les plus populaires de Marvel. Très vite, Miller va imposer sa vision mature et plus sombre quand il va faire assassiner Elektra par le psychopathe Bullseye, ce qui va pousser le Diable Rouge à se venger en tentant de le tuer en retour.
Clairement, les thèmes de Miller sont beaucoup plus sombres et torturés que ce qui se fait dans les comics à cette époque. Il va encore pousser son idée plus loin quand il reviendra sur la série en 1986 et livrera avec David Mazzucchelli un arc assez définitif avec Born Again. Le scénariste livre un récit aussi violent pour le corps de Matt Murdock que pour son esprit, imposant la torture psychologique dans une industrie qui comprend que son lectorat change.
Au-delà de ses seuls thèmes plus adultes que ce que les comics proposaient jusqu'alors, Miller va aussi expérimenter, repousser les frontières du média bande-dessinée. Notamment quand il va s'associer avec Bill Sienkiewicz pour Daredevil : Love and War et Elektra : Assassin où les deux artistes réfléchissent sur les codes de l'art séquentiel et sur la narration. Tout au long de son run sur Daredevil, Miller va imposer une nouvelle grille de lecture du super-héros, en montrant que même quand il porte un masque, il reste un être humain avec ses faiblesses.
Quand Joe Quesada lance le label Marvel Knights en 1998, il contacte Brian M. Bendis pour qu'il travaille avec lui, pensant notamment à une histoire pour Nick Fury. Ils ne trouveront jamais le temps de lancer cette série, mais Joe Q va tout de même conseiller à Bill Jemas, qui est alors président de Marvel, de contacter le scénariste pour lui offrir du travail. Ce sera Ultimate Spider-Man, un succès colossal qui va définitivement lui ouvrir les portes de Marvel où il va en grande partie définir l'univers Ultimate.
Joe Quesada, qui est entretemps devenu l'éditeur en chef de Marvel va alors proposer au scénariste de reprendre la série Daredevil, dans un premier temps pour assister son ami David Mack à l'écriture. Bendis débarque donc sur le titre en 2001 où il livre une première histoire qui se focalise sur Ben Urich (déjà) qui enquête sur le combat qui a opposé le Diable Rouge à l'Homme-Grenouille. Après un bref hiatus, il reprend la série en main seul à l'écriture et avec Alex Maleev au dessin.
Il va rapidement poser les bases d'une façon originale d'aborder le mythe du super-héros. En effet, il va intégrer tous les éléments de ce qui constitue habituellement le polar, avec un système judiciaire plus détaillé qu'habituellement, des relations approfondies entre les personnages et une enquête qui résiste, et ne se laisse pas dérouler sans accroc. Tout cela, sans oublier que nous sommes dans un monde où les super-pouvoirs sont légion et le paranormal est pleinement acquis.
S'il va conserver le ton sombre et violent introduit par Frank Miller, Brian Bendis veut emmener la série vers de nouvelles interrogations. En effet, si Miller a déjà mis en scène la vengeance et son effet sur Matt Murdock, il n'a pas interrogé l'impact que cela avait sur son environnement. Bendis développe l'univers qui entoure son personnage en même temps que ce dernier. Le miroir entre les relations qu'entretient Murdock avec Milla Donovan et celle qui unit Wilson Fisk et Vanessa est l'un coup de génie du scénariste.
Il n'oubliera pas non plus que l'univers Marvel est vaste. Si Miller avait été plutôt du genre à créer tout un monde pour son personnage, Bendis va lui faire le choix d'intégrer DD au reste de l'univers Marvel. On croisera donc tout une galerie de super-héros qui viendront donc rendre visite à notre héros pour offrir au scénariste une suite de dialogues savoureux dont il a le secret. Pourtant, c'est bien vers la solitude qu'il va le mener au fil de son histoire.
Alors que l'histoire de Daredevil s'est construite en une succession de ruptures par rapport à ce qui se faisait avant, chaque auteur se réappropriant le personnage, la révolution d'Ed Brubaker va justement être de ne pas en faire. Le scénariste qui s'est déjà fait un nom chez Marvel en écrivant Captain America va s'aligner sur les pas de Brian Bendis et reprendre son récit exactement où il l'a avait laissé.
Il va ainsi achever ce que son prédécesseur avait entrepris en récupérant Daredevil en prison. Le scénariste va d'abord s'amuser à mettre Iron Fist quelques temps sous le costume (faisant sans doute un clin d'œil à un autre personnage qu'il a à cœur) tout en continuant ce que Bendis avait réalisé avec Wilson Fisk.
Ce que Brubaker va aussi entreprendre de très fort, c'est qu'il va continuer la lente désagrégation de l'environnement de Matt Murdock qui avait été amorcée. Lui faire tout perdre petit à petit pour qu'il se retrouve définitivement dos au mur, qu'il n'ait plus rien ni personne vers qui se retourner. Comprenant que le personnage n'est jamais meilleur que quand il n'a plus rien à perdre, il va presque se montrer cruel avec lui.
Là où il va surtout réinventer le personnage, c'est qu'à la différence de ses illustres prédécesseurs, il ne va pas utiliser d'événement traumatique pour déclencher la fureur de Daredevil. Il sera partisan des petites touches impressionnistes qui vont mener son héros à choisir le "Côté Obscur", en le forçant à agir avant de réfléchir. DD ne se rend pas compte qu'il s'enferme peu à peu dans le piège tendu par la Main.
D'ailleurs, il va réconcilier Miller et Bendis. Car s'il reprend l'intrigue de son prédécesseur, il n'en oublie pas pour autant de réinjecter ces touches d'orientalisme qui avaient la marque de fabrique de Frank Miller, notamment avec le personnage de Lady Bullseye. Son run aura été porté par une incroyable spirale négative tellement bien ficelée que Murdock y foncera tête baissée. Ce sera juste très dommage de voir comment Andy Diggle va conclure ces deux runs successifs avec un Shadowland d'autant plus décevant qu'il apporte un point final de bien piètre qualité comparé à ce qui s'était fait auparavant.
Dans les années 70, Daredevil vivote parmi la multitude de héros qui peuplent les publications de Marvel. Ses aventures ne se différencient pas énormément de celles d'un Spider-Man sans attirer un lectorat équivalent, certains arcs comme celui avec Black Widow trainent même en longueur et une fois que Gene Colan a définitivement quitté le titre, il peine à convaincre.
C'est en 1979 que le titre accueille un jeune dessinateur qui n'a alors fait jusque-là que quelques fill-ins. Frank Miller devient donc l'artiste régulier pour Daredevil et rejoint le scénariste Roger McKenzie et l'encreur Klaus Janson qui étaient déjà sur la série. S'il s'entend très bien avec l'encreur, avec qui il va beaucoup discuter, sa relation avec le scénariste va très vite se dégrader. Miller n'est qu'un jeune premier mais il n'hésite déjà pas à dire ce qu'il pense et il trouve les scripts qu'il reçoit de piètre qualité.
Sa chance va arriver quand Dennis O'Neil, le célèbre scénariste de Green Lantern/Green Arrow, débarque comme éditeur sur le titre. Au moment où se pose la question de son annulation pure et simple, les ventes ne suivant pas, O'Neil va remarquer le talent du dessinateur pour l'écriture grâce à un back-up de quelques pages. Il va prendre alors une décision osée en 1981, débarquer McKenzie et laisser Miller seul à la tête de la série avec Janson qui encre toujours.
Frank Miller est alors féru de mangas, ce qui à l'époque où la BD japonaise traversait assez peu le Pacifique, n'était pas du tout répandu. Il va s'en inspirer, non seulement graphiquement où il dynamise le dessin, invente de nouveaux cadrages et explose la narration graphique classique, mais aussi pour son histoire. C'est ainsi que dès son premier numéro comme scénariste, il nous introduit le personnage d'Elektra, mercenaire ninja sulfureuse.
Surtout, il va redéfinir le personnage de Daredevil en lui offrant de nouveaux talents d'artiste martial. Obsédé par la culture japonaise, il retcon le personnage en introduisant Stick, qui sera son mentor en arts martiaux et qui va permettre à Miller de livrer des combats qui crèvent graphiquement ses pages. C'est aussi à se moment-là qu'il introduit un élément important de l'histoire de DD : la Main.
D'un super-héros classique, Frank Miller va faire de Daredevil un héros urbain qui se démarque par un traitement plus proche du manga. Si bien que seulement au bout de trois numéros, Dennis O'Neil transforme le bimensuel en mensuel et DD devient rapidement l'un des personnages les plus populaires de Marvel. Très vite, Miller va imposer sa vision mature et plus sombre quand il va faire assassiner Elektra par le psychopathe Bullseye, ce qui va pousser le Diable Rouge à se venger en tentant de le tuer en retour.
Clairement, les thèmes de Miller sont beaucoup plus sombres et torturés que ce qui se fait dans les comics à cette époque. Il va encore pousser son idée plus loin quand il reviendra sur la série en 1986 et livrera avec David Mazzucchelli un arc assez définitif avec Born Again. Le scénariste livre un récit aussi violent pour le corps de Matt Murdock que pour son esprit, imposant la torture psychologique dans une industrie qui comprend que son lectorat change.
Au-delà de ses seuls thèmes plus adultes que ce que les comics proposaient jusqu'alors, Miller va aussi expérimenter, repousser les frontières du média bande-dessinée. Notamment quand il va s'associer avec Bill Sienkiewicz pour Daredevil : Love and War et Elektra : Assassin où les deux artistes réfléchissent sur les codes de l'art séquentiel et sur la narration. Tout au long de son run sur Daredevil, Miller va imposer une nouvelle grille de lecture du super-héros, en montrant que même quand il porte un masque, il reste un être humain avec ses faiblesses.