Ndlr : la critique ci-dessous se base sur le leak de l'épisode fin mai. Nous la republions suite à plusieurs demandes de notre retour sur cet épisode. Elle demeure inchangée, étant donné que le pilote n'a subi que des modifications mineures pour l'adapter à la diffusion, mais que la forme et le fond n'ont pas été touchés.
Est-ce un avion ? Est-ce un oiseau ? Non, c’est un gros leak. Une nouvelle fois. Un an après les leaks des pilotes de The Flash et Constantine, Warner est de nouveau touché par la fuite de l’un de ses pilotes. Mais va-t-on les plaindre, quand tout ça ressemble de plus en plus à une projection-test soigneusement organisée ? L’an dernier déjà, le doute résonnait dans nos esprits, surtout quand Constantine a vu la fin de son pilote modifiée pour éjecter l’un des deux personnages principaux. Mais cette année, on a même droit à des versions 1080p et 720p presque officielles dans un monde où le piratage des séries est devenue une industrie que les majors se gardent bien de toucher (leur audience et leurs retours n’en sont que démultipliés).
On aurait donc pu attendre la sortie officielle de la série pour vous en proposer une critique, mais devant ce qui ressemble à un produit fini, suivant à la lettre la trame présentée dans son long trailer de six minutes, pourquoi attendre. Bienvenue donc, dans le merveilleux monde des effets spéciaux façon 1990.
À vrai dire, voici un peu une remarque de mauvaise foi. Tous les effets spéciaux de ce pilote ne sont pas mauvais, certains sont même plutôt bons. Le double-problème qui en ressort est cependant, d’un côté la forte inégalité des effets sur l’ensemble de cet épisode, et d’un autre côté la terrible scène d’ouverture, presque entièrement réalisée en CGI, et qui constitue les plus mauvais effets spéciaux, non seulement de cet épisode, mais de nombreuses séries depuis bien longtemps. Certains spectateurs ont rapporté des lésions rétiniennes quelques instants après avoir lancé la vidéo. Serait-ce là un garde-fou sophistiqué contre les pirates ?
Cette introduction kryptonienne, qui n’est pas sans rappeler Man of Steel, mais, avouons-le, également toutes les adaptations de Superman : dans la famille des passages obligés, je demande le lancement de la navette et l’explosion de la planète. Si nous pouvons juger la forme, il est difficile de reprocher le besoin de raconter ce passage, d’autant qu’au final, ce pilote a la bonne idée de nous raconter l’histoire en accélérée : « vous connaissez déjà l’histoire de mon cousin, je ne vais pas vous la refaire ».
Car oui, Supergirl vit bien heureusement, dans un monde où Superman existe, et arrive sur Terre un peu comme un cheveu sur la soupe. Son cousin la recueille et la place dans une famille un peu particulière, les Danvers avec papa Dean Cain et maman Helen Slater, au cas où on n’aurait pas compris depuis Smallville que Warner voulait jouer sur l’héritage de ses anciens films et séries. Aux côtés de ces gens qui connaissent son secret (et ont aidé Superman avec ses pouvoirs), Kara conserve son prénom et grandit avec une sœur d’adoption, telle une humaine. Car, n’ayant plus à s’occuper de son cousin devenu le héros d’une planète, elle doit se trouver une nouvelle place dans le monde.
En quête de justice sous une autre forme, Kara a donc grandi… Non sérieusement, arrêtons-nous un instant sur cette idée que la Terre, qui n’a que Superman comme héros, n’a pas besoin d’un deuxième justicier en costume. Jamais elle ne pense que son cousin serait un peu content de souffler de temps en temps ? Ce que ce pilote montre clairement, c’est que la communication n’est pas le fort de cette famille. Même quand il lâche Kara dans sa nouvelle famille, Kal-El ne décroche pas un mot ou un bisou d’au-revoir.
En quête de justice sous une autre forme, Kara a donc grandi… Non sérieusement, arrêtons-nous un instant sur le fait que Kara a décidé de conserver son prénom dans le civil. Alors certes, elle est partie sur l’idée de ne jamais devenir une héroïne, mais Kara n’est pas le prénom le plus répandu sur Terre, que se passera-t-il le jour où le monde apprendra que Superman a une cousine prénommée Kara ? D’autant qu’elle s’est désormais révélée au monde, sans masque et dans un premier temps sans costume. Vous imaginez Kal Kent au Daily Planet, au moment où Superman révèle s’appeler Kal-El ? Passons.
En quête de justice sous une autre forme, Kara a donc grandi pour devenir journaliste. Comme ça, ça lui est venu de nulle part. Le problème c’est qu’à la place, elle s’est trouvée coincée dans une parodie du Diable s’habille en Prada, avec Calista Flockhart dans le rôle de Meryl Streep sans la subtilité. Si Cat Grant n’est pas la plus subtile et la plus altruiste des personnages du Superverse, elle reste habituellement humaine, abordable et relativement co-dépendante de son entourage. Ici ce n’est que l’archétype de la dirigeante froide, condescendante et légèrement mégalomaniaque. Elle se pose en moteur d’intrigue pour motiver Kara, sous plusieurs forme, à devenir une héroïne, allant jusqu’à lui donner son nom pour rester à jamais associée à son image.
Interprétée par Melissa Benoist, Kara/Supergirl parvient à inspirer à la fois l’affection et l’énervement, dans ce que nous qualifierons d’effet Grant Gustin. Vous savez, cette capacité à être attachant de niaiserie et de naïveté et à pleurer un quart d’un épisode. Et à l’instar de Grant Gustin, on a envie d’y croire, d’autant que c’est pour le moment plutôt l’écriture du personnage que son interprétation qui pose problème. Non, Felicity de Arrow n’est pas un modèle de personnage féminin à décliner. Le côté rafraichissant du personnage se retrouvera cependant dans son approche de sa nouvelle identité : plus qu’un fardeau ou une responsabilité, comme c’est le cas pour la plupart des héros télévisuels, c’est un vrai plaisir pour Kara que de pouvoir être celle qu’elle souhaite et ne pas avoir à se cacher. Un trait contre-balancé par sa sœur, qui la décourage dans son entreprise, et dont les motivations sont rapidement exposées pour introduire ce qui pourrait être la prémisse à la réinterprétation d’un grand personnage du Superverse. (Ndla : Pour le clin d’œil morbidement subtil, Kara sauve cette sœur, Alex d’un accident d’avion, alors que son interprète Chyler Leigh jouait la sœur de l’héroïne de Grey’s Anatomy, Lexie, morte dans un accident d’avion.)
En voulant aller très vite (et ce n’est pas un reproche, il aura fallu un épisode à Kara pour devenir Supergirl, contre dix saisons pour Tom Welling), la série alterne les passages personnels et les moments héroïques de façon un peu déconcertante, amenant en quelques minutes son personnages à se dévoiler en tant que nouvelle héroïne, le monde à l’accepter, et les personnages secondaires à découvrir qui elle est. On sent qu’il y avait matière à développer un peu sur un pilote d’une heure et demie, mais que pour tenir dans un format de 42 minutes, le pilote ne conserve que les poncifs et les traits grossis des différents personnages.
Ce pilote introduit les grandes lignes de ce que sera la saison, avec un grand vilain/rip-off féminin d’un grand vilain/élément personnel (ils ont mis les story-lines de quatre saisons dans un seul personnage), la justification des futurs monstres hebdomadaires (le premier est Vartox, vilain de Superman ou encore plus récemment Power Girl dans sa série pré-New 52), les personnages secondaires dont un va vite taper sur le système (on y revient), et une organisation secrète pas très secrète qui va à la fois travailler avec et probablement contre l’héroïne, parce qu’il faut des moteurs d’intrigue à mi-saison.
Pour revenir sur les personnages secondaires, on notera la présence de Jimmy Olsen, joué par Mehcad Brooks, qui vient de quitter Metropolis pour prendre son indépendance et cesser d’être labellisé comme l’ami de Superman. Difficile de lui reprocher quoi que ce soit si ce n’est qu’on a ici un Jimmy Olsen mannequin et très sûr de lui, ce qui change de son approche habituelle. Notons cependant que dans cet univers, Superman est révélé au monde depuis longtemps, et qu’il est naturel que Jimmy ait évolué à ses côtés. Un personnage qu'on n'ira pas taper contre les murs, d'autant qu'il est appréciable de voir une relation homme-femme développée à l'écran sans qu'elle appelle d'emblée au love interest. Mais celui dont on reparlera probablement pendant longtemps, c’est Winslow Schott.
Winslow est le collègue amoureux de Kara (check), voisin de bureau (check) alors qu’il est suggéré que c’est un technicien au milieu d’une rédaction de journal (passons, on n’a d’ailleurs pas totalement compris quel était le boulot exact de Kara), qui sait a priori concevoir des costumes (dans une scène d'essayage d'à peu près 12 secondes), s’y connait en polymères résistants au balles (…) et est capable de pirater les systèmes de la police pour trouver des crimes à combattre (......). Poncif parmi les poncifs, il est le point Chloe Sullivan/Felicity de la série. Le joker pour régler les problèmes techniques, et l’intrigue amoureuse secondaire.
Dans les comic books, Supergirl est officiellement une adolescente. S’il existe plusieurs versions du personnage, cela reste un concept général : elle est jeune, et ça justifie éditorialement le nom de Supergirl (ce qui devient moins justifié avec Power Girl, plus adulte). Pour les besoins de la série, Kara est légèrement plus âgée, en début de vingtaine, elle travaille et a commencé sa vie de femme. Mais lorsqu’elle se dévoile enfin au monde et en costume, Cat Grant lui donne le nom de Supergirl, ce qui a pour effet d’offusquer la principale intéressée qui aurait préféré Superwoman. Cat Grant se lance alors dans une pseudo-rhétorique sur le thème « qu’y a-t-il de mal avec le mot fille ? Vous êtes une fille, je suis une fille, chef d’entreprise, … ». Une rhétorique destinée à mettre Kara mal à l’aise face au fait de ne pas approuver ce terme. Le problème ? Cela ne tient pas deux minutes.
Le même raisonnement pourrait être utilisé pour justifier le nom de Superboy à la place de Superman, mais personne n’irait tenter. Pourquoi ? Parce que les termes homme/femme face aux termes garçon/fille donne une plus forte légitimité, une sensation de maturité et d’importance. La question n’est pas « qu’y a-t-il de mal avec le mot fille ? », mais « que donne en plus le mot femme ? ». En l’appelant Supergirl face à Superman, en instillant dans l’esprit de Kara l’idée « you’re a girl », on se retrouve avec la dichotomie « you’re a girl / he’s a man », un côté décrédibilisant pour le personnage, et un sentiment renforcé face au commandant du D.E.O peu de temps après, qui ne la considère même pas comme utile là où elle présente la même force que son cousin.
Bien entendu, il fallait qu’elle soit nommée Supergirl, c’est le nom de son personnage là où Superwoman est un personnage différent et plus confidentiel. Néanmoins la justification utilisée semble aller à contre-emploi de la cause qu’elle est supposée défendre.
Dans ce qui sera la première série super-héroïque féminine nouvelle génération, la production semble s’emmêler les pinceaux et défendre sa cause via des non-sens et des archétypes d’un autre temps, et cherche à inverser la tendance homme-femme de façon si symétrique que s’en est presque risible (une héroïne doit-elle forcément se trouver opposée à une super-vilaine ?).
Vous l’aurez compris, si on peut louer l’idée de s’affranchir
des origines à rallonge, il manque beaucoup trop de qualité à ce pilote pour
oublier ses trop nombreux défauts, vestiges d’une autre époque. Les parallèles
sont nombreux entre Kara Danvers et Barry Allen, au point qu’on a envie de
laisser un peu de temps à la série pour développer son potentiel. Mais si sa
grande sœur de la CW (Supergirl arrive sur CBS de son côté) façon Greg Berlanti nous a appris une chose, c’est que quelques bonnes idées
ne sont pas toujours suffisantes pour faire oublier une flopée de clichés, de
longueurs et de lourdeurs.