"Ce sera la meilleure chose que nous auront fait sur le titre. Ou la pire" : voilà comment Scott Snyder nous avait présenté l'arc qui commencerait avec le quarante et unième numéro de Batman. Une phrase choc qui résume parfaitement cet épisode, qui s'en va souffler un vent de fraîcheur à la limite du glacial sur l'univers du Chevalier Noir.
Attention aux spoilers pour les lecteurs V.F (uniquement) !
Avant toute chose, j'aimerai revenir sur le parcours de Scott Snyder, qui est en charge de la série Batman depuis les New 52. Un règne qui l'a propulsé au rang de super-star de l'industrie, alors qu'il reconnaît lui-même avoir du mal avec les histoires de super-héros grand public. Pas étonnant, donc, de le voir diviser le fandom dès qu'il s'attaque à un nouveau pan de l'univers Batman. Avec la Cour des Hiboux, il avait réalisé un arc introductif plutôt irréprochable et divertissant. Avec Death of the Family, il nous avait fait miroiter la mort d'un personnage dans un hommage maladroit à Grant Morrison qui n'est que récemment arrivé à maturité, avec Endgame. Et dans Zero Year, le scénariste s'était perdu entre la révérence et la radicale nouveauté. Un parcours, qui personnellement, m'incite à dire que Scott Snyder n'est jamais aussi intéressant que lorsqu'il se libère du legs de ses prédécesseurs et des archétypes inhérents à ses personnages.
A ce titre, Batman #41 et l'arc qu'il commence sont, incontestablement, la sublime irrévérence de Scott Snyder à l'égard de l'univers dont il assure le commandement. Oubliez Bruce Wayne, les capes et l'infiltration dans les coins sombres : dites plutôt bonjour à un Batman devenu une marque, dont le marketing passe par une exo-armure aux couleurs du GCPD. Sous ce masque fait de métal, on retrouve ainsi un certain Jim Gordon, qui assure le fardeau du Batman par intérim. Un pitch qui contient déjà assez d'éléments improbables pour provoquer des arrêts cardiaques chez les fans, et qui va assurément susciter une levée de bouclier chez les lecteurs.
Et vous n'avez encore rien vu. Quand j'ai découvert le look de ce nouveau Batman il y a quelques semaines de cela, j'ai instinctivement pensé à Robocop. Et il faut croire que Scott Snyder est inspiré par le film de Paul Verhoeven et son reboot sorti l'année dernière. Le scénariste pousse d'ailleurs le bouchon très loin en inventant une stratégie aussi mercantile que politique derrière le concept de Batman. En effet, dans une narration faite d'aller-retour temporels - un schéma typique des écrits de Snyder - on apprend que la société Powers tente de mettre en place un programme militaro-industriel autour du héros, qui a récemment disparu des rues de Gotham.
L'idée est totalement antinomique avec l'essence du personnage, mais il serait hypocrite de reprocher au scénariste une approche qui se retrouvait déjà chez Grant Morrison avec Batman Inc (et ses Bat-Bots) ou encore chez Mark Waid et Alex Ross dans Kingdom Come. Et contrairement à ses pairs, Snyder va vraisemblablement explorer cette paradoxale idée d'un Batman privé et institutionnel, là où d'autres considéraient ce thème comme une dérive - ou même une simple évolution - du personnage de Bruce Wayne. On le comprend à travers le monologue intérieur - un autre classique toujours aussi maîtrisé par Snyder - de Jim Gordon et via ses interactions avec d'autres personnages, et notamment des flics. Car ce Batman n'est ni plus ni moins qu'un moyen mis à la disposition de Gotham, de ses forces de l'ordre et de ses habitants.
Pour peu qu'il continue à explorer ce paradoxe, cet arc pourrait bien devenir une histoire aussi improbable que passionnante, qui s'interroge sur le mythe du héros, le sécuritarisme et la privatisation des pouvoirs régaliens. Tout ce qui intéressait déjà Verhoeven, en somme, rapporté à l'univers Batman, voir l'univers DC en général. Et on préférait vraiment voir Snyder à l'œuvre sur ces sujets plutôt que de le voir répéter, dans des répliques chargées d'un second discours évident, qu'il a le droit de faire ce qu'il veut avec le Chevalier Noir. On grossit un peu le trait, mais l'idée est bien là : toujours pas remis des hordes de fans en colère, le scénariste cache une forme de résistance dépressive dans ses cases, là où il devrait célébrer sa radicale originalité. On sent pourtant quelques pics biens placés et une bonne dose d'humour méta, immédiatement désarmés par un cliffhanger convenu, en forme de consensus.
Côté dessins, on retrouve un Greg Capullo disposant de toutes ses capacités, mais toujours pas débarrassé de ses défauts. En pilote automatique, le dessinateur s'éclate un peu avec cet étonnant nouveau Batman, qui du haut de son armure, l'oblige à revoir l'échelle de ses planches. Le découpage est assez classique, dans la lignée des arcs précédents, avec quelques cases qui semblent pressées de nous faire découvrir les capacités de cette armure. Malheureusement, de ce point de vue purement ludique, les dessins de Capullo restent encore bien sages, et il faudra attendre d'autres vilains et les prochains numéros pour se faire une véritable idée du potentiel visuel de cet arc.
Car pour le moment, sans être mauvais, les dessins ne font que consolider l'intrigue, en dehors de quelques petits pics d'inspiration. Pire, comme je le disais, on retrouve toutes les faiblesses du dessinateur dans ce numéro, et notamment ces visages qui se ressemblent tous. Dans le même ordre d'idée, il faudra encore tolérer la colorisation aux couleurs de Miami de FCO dans ce nouvel arc. Un parti pris graphique qui commence à s'effondrer de lui-même, et qui n'avait vraiment pas sa place ici, là où il était encore justifiable dans Zero Year.
Dans ce quarante et unième numéro, Scott Snyder met tout son style - reconnaissable dès l'introduction, construite autour d'un point qui sera assurément un futur fil conducteur - au service d'une histoire qui n'est pas sans rappeler des sujets déjà frôlés par ses confrères scénaristes. Mais contrairement à ces derniers, Snyder semble prêt à prendre le thème d'un Batman industrialisé à bras-le-corps pour nous offrir une expérience de lecture unique, qui toutefois, est un peu gâchée par une colorisation hasardeuse et des dessins moins spectaculaires qu'ils pouvaient l'être par le passé.