Précédant même l'invention du Marvel Cinematic Universe, Ant-Man a fait sa première apparition médiatique dans la bouche d'un Kevin Smith jouasse, qui en 2007, était déjà ravi d'apprendre la nouvelle. Il faut dire que sur le papier, le film avait tout pour être un immense succès, puisqu'il s'annonçait comme la rencontre entre l'un des princes des geeks, Edgar Wright, et l'un de leurs genres préférés, les super-héros. Presque dix ans plus tard, Ant-Man sort enfin en salles, dorénavant réalisé par Peyton Reed, et vendu comme la conclusion d'une saga qu'on appelle la phase deux de Marvel Studios. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il est impossible de débarrasser ce film somme toute moyen de sa genèse pour le moins glorieuse.
En un mot, Ant-Man est un film frustrant. Forcément, nous en parlions, à cause de son lien de paternité avec le britannique Edgar Wright. Malgré les exigences d'un cahier des charges et l'Avengers-Washing d'une promotion ponctuée par quelques spoilers, le métrage revendique son géniteur, dans des moments aussi rares que marquants. À plusieurs reprises, on sera donc comme glacés par le fantôme d'un Wright qui nous laisse entrevoir le potentiel d'Ant-Man, avec des scènes qui ne sont pas sans rappeler la narration et la réalisation ludiques du créateur de Shaun of the Dead. Hélas, ses îlots Wrightiens ne suffiront pas à compenser les erreurs de Peyton Reed et celles d'un scénario plus rafistolé que la créature de Frankenstein.
Pire, ces passages un rien britanniques finissent par sonner faux, car entourés d'une mer d'archétypes visuels comme narratifs très américains, mais pas forcément compris par le réalisateur pour autant - son approche du film de braquage est d'ailleurs d'une tristesse absolue. Il faut ainsi faire avec une réalisation qui évoque les pires produits Marvel Studios. Le film, d'ailleurs, s'ouvre sur une scène indécente dont la composition et l'exécution tiennent plus du médiocre Agents of S.H.I.E.L.D. que de l'inspiré Catpain America : The Winter Soldier. La suite, hélas, ne fera pas mieux en offrant quelques plans numériques réjouissants - permis par le héros et ses milliers de fourmis - uniquement pour mieux nous faire avaler des couloirs de champ/contre-champ qui en disent long sur l'envie de Peyton Reed.
Pour en revenir au mot qui définit le mieux ce métrage, frustrant, il faudrait analyser, dans le détail, chaque séquence où notre homme-fourmi fait usage de son costume. Car si Reed a compris ce qui faisait le charme d'un certain Chérie, J'ai Rétréci les Gosses, le réalisateur ne fait preuve d'aucun renouveau, d'aucune réinvention. Des passages amusants donc, mais déjà vus, il y a plus de vingt ans de cela. Même l'écart technologique entre les deux métrages ne saurait créer l'excitation tant ces plans entièrement numériques sont convenus. Peyton Reed avait pourtant à sa disposition des pouvoirs extraordinaires, même à l'heure où les super-héros sont partout, et dizaines d'espèces de fourmis pour amener de l'originalité dans sa réalisation, ou au moins de la sympathie pour son personnage principal.
Mais il faut dire que l'écriture de ce blockbuster, qui ressemble plus à une autopsie du scénario regretté de Wright, n'aide pas Peyton Reed dans son emploi par intérim. La structure narrative est typique d'un Marvel Studios, mais - et c'est bien plus surprenant - n'en a pas l'efficacité. Avec les productions de Kevin Feige, on sait généralement où on met les pieds et même des films sans trop d'ambition comme Thor : The Dark World peuvent se montrer divertissants. Ici, le résultat est bancal, comme un burger dont la tranche de fromage assaisonne son carton, et on déplore au moins deux scènes totalement hors de propos, et qui sont, à n'en pas douter, les ingérences qui ont poussé Wright à quitter le navire.
Le casting ne relève pas non plus le niveau, puisque la distribution ne sait de toute évidence pas quoi faire de ces personnages qui enchaînent des scènes en forme d'extraits calibrés pour les spots TV. À commencer par Paul Rudd (Scott Lang), impliqué dans l'écriture, et qui n'étant pas certain du potentiel comique du scénario, l'arrose d'improvisations maladroites, bien que certaines finissent par fonctionner. Et si Ant-Man est sans doute le film Marvel Studios qui épouse le mieux la structure d'une comédie, l'humour est hélas plus téléphoné que jamais, et les meilleurs gags déjà désamorcés par une promotion qui ne cessait de les répéter.
Dans cette tempête, on peut toutefois s'accrocher à quelques valeurs sûres. La première s'appelle Michael Douglas, qui au beau milieu d'un casting à côté de la plaque, Corey Stoll et Evangeline Lilly notamment, parvient à nous arracher des sourires salvateurs. Le charme naturel du bonhomme et le développement de son personnage (Hank Pym) finiront d'ailleurs par nous faire regretter le choix d'un Scott Lang en personnage principal. Autre friandise à glaner au passage, les nombreuses références au Marvel Cinematic Universe. Une qualité qui n'est pas imputable au seul film de Peyton Reed, mais c'est bien tout l'intérêt d'un univers partagé que de pouvoir jouer avec des concepts et des personnages très attachants. Comme toujours cependant, cet aspect du film fera jaser, puisqu'il y a à boire - des références subtiles à la phase trois - et à manger - du bon gros caméo qui tâche - dans ce nouveau long estampillé Marvel Studios. On notera d'ailleurs l'effort louable mais déplacé (il y avait bien mieux à faire) du scénario d'Ant-Man, qui réfléchit à la place des Avengers et des héros dans notre quotidien.
À l'image de ce dernier effort, Ant-Man gaspille, en fin de compte, son énergie, en mesurant à peine se potentiel. Au choix, les bonnes idées ne sont pas assez travaillées, ou les pires trouvailles du métrage sont bien trop appuyées. Plus ouvert au reste du Marvel Cinematic Universe que prévu, Ant-Man reste hanté par le fantôme d'Edgar Wright, un spectre appréciable mais qui, hélas, ne saurait nous faire oublier une réalisation terriblement pauvre qui a du mal à épouser un concept génial, et un casting intriguant mais qui cherche sa place. Les exemples de frustration sont nombreux et le résultat final ne nous poussera donc qu'à regretter, amèrement d'ailleurs, le départ d'un certain amateur de Cornetto.