Parfois, ce qui n'a pas été fait est plus fascinant que ce nous avons à notre disposition, là, sous nos yeux. Et si vous connaissez cette chronique, vous savez que je fais partie de cette classe de personnes frappée par ce genre de révélations. Jonathan D. Schnepp aussi, et c'est pourquoi ce producteur, réalisateur, doubleur et écrivain américain s'est mis en tête d'aller enquêter sur le projet Superman Lives, un film de Tim Burton qui fut mis sur pied dès 1996, mais qui ne verra jamais le jour. Pour ce premier Rumeur un Autre Jour Hors-Série, je vous propose donc de revenir sur le documentaire de Schnepp, sobrement intitulé The Death of Superman Lives, What Happened?, en plus de revenir sur ce qui aurait fait le sel de ce formidable métrage mort-né.
Que vous ayez ou non déjà entendu parler de Superman Lives, je suis prêt à parier que vous avez déjà croisé des concept-arts du film de Tim Burton, et bien sûr des photos de Nicolas Cage vêtu de drôles de costumes évoquant la tenue emblématique de l'Homme d'Acier. Car oui, encore faudrait-il commencer par là : le film aurait non seulement été réalisé par Tim Burton, mais aurait mis en scène un acteur a priori radicalement éloigné du mythe Superman, ce bon vieux Nic' Cage. Mais la première force du documentaire The Death of Superman Lives, sera de remonter le temps à la recherche des origines de ce délirant métrage, que nous présente assez bien la première partie du film déjà croustillantes en anecdotes.
On apprend en effet que le producteur de ce projet, Jon Peters, ex-coiffeur et ex-compagnon de Barbara Streisand, a eu la chance de récupérer les droits de Superman à la suite d'une astuce juridique : bien avant l'époque des ordinateurs, des archivistes étaient chargés de veiller à l'expiration des droits sous licences, et Peters avait alors bénéficié de l'inattention de Warner Bros pour mener le projet certes aux côtés du studio, mais sous sa direction. Déjà producteur des deux Batman (1989 et 1992) de Tim Burton, le bonhomme décide de mettre sur pied une nouvelle adaptation des aventures de Superman après le bide Superman IV : The Quest for Peace. L'idée est alors d'adapter, dans les grandes lignes, l'horrible arc "The Death of Superman" qui du côté des comic-books, a relancé l'intérêt du public pour le héros. Comme quoi les synergies entre Hollywood et les éditeurs de comics ne datent pas d'hier.
Le projet s'appelle alors Superman Reborn, et est écrit par Jonathan Lemkin. Un scénario qui sera très vite repris en main, par un certain Kevin Smith, alors auteur débutant, et qui réussi à se tailler une place dans la production grâce aux bons soins de Lorenzo di Bonaventura (à qui on doit Matrix et Transformers), alors responsable de la production de blockbusters chez Warner Bros, qui fut donc l'un des premiers cadres d'un studio à accorder de l'attention à un pur fan de comics. Kevin Smith rencontre alors l'excentrique producteur Jon Peters, qui lui donne carte blanche, sous trois conditions, et non des moindres, puisqu'on demandera au futur prince des geeks de ne pas écrire des séquences où Superman vole, de ne pas utiliser le costume classique du héros (trop "pédé" d'après les légendaires mots de Peters) et d'imaginer une scène où Superman affronterait une araignée géante.
Et c'est là que The Death of Superman Lives devient particulièrement intéressant. Outre ce qu'il apporte en anecdotes sur le projet, ce documentaire permet en effet de comprendre les complexités et les subtilités d'une grosse machine Hollywoodienne. A l'aide d'un montage assez didactique, notamment, Jon Schnepp nous présente les premiers différends créatifs entre le producteur Jon Peters et le scénariste Kevin Smith. Humoristique, ce passage est également très instructif, de même que toute la suite du métrage, qui via le formidable exemple Superman Lives, sert de manuel aussi pertinent que divertissant sur la production d'une grosse machine à Hollywood. J'encourage donc vivement ceux qui voudraient consolider leur culture cinématographique ou simplement comprendre nos récurrentes et obscures réflexions sur le média à découvrir ce documentaire.
Si je ne compte pas vous raconter tout le documentaire, revenons tout de même à nos moutons, puisque la suite est tout à fait savoureuse. Nous en arrivons à la partie la plus savoureuse du projet, l'arrivée de Tim Burton, qu'on retrouve (il se fait rare) avec plaisir dans ce métrage. Ensemble, Jon Schnepp et Burton retracent ensuite les très nombreux travaux commissionnés par la production de Superman Lives, toujours débriefés par leurs créateurs. Le documentaire convoque ainsi une dizaines d'artisans et d'artistes invités à donner vie au métrage de Tim Burton, qui lui aussi mettait le pied à l'étrier. Un groupe de créateurs qui gagnent à être écoutés, et qui venaient d'horizons très différents. Pour créer Krypton, par exemple, la production avait fait appel à Syvain Despretz, un petit français inspiré par Moebius, tandis que Brainiac - qui aurait été l'un des vilains de ce métrage - et ses familiers étaient imaginés par des designers amoureux du style de Giger et des concept-artists connus pour leur style bio-mécanique. L'ensemble formant un joyeux cabinet de curiosités, qui n'avait pas manqué de faire bondir les fans.
Si internet n'existait pas à l'époque, les fanboys et les fangirls, eux, étaient bien présents, et donnaient de la voix. Un autre sujet passionnant abordé par le documentaire, qui prouve que les haineux n'ont pas attendu la toile pour crucifier des projets. Le fameux costume luminescent (voir galerie), par exemple, avait fait l'objet de nombreuses coupures de presse, alors même qu'il ne devait apparaître que pour une unique scène, celle de la résurrection de Superman. Et il est tout simplement fascinant de retrouver les griefs de l'époque pour les comparer aux différentes déclarations des costumiers, concept-artists et producteurs interrogés par Schnepp. Le décalage est passionnant, de même que les idées construites par Burton et ses équipes.
Evidemment, d'un point de vue extérieur, que le The Death of Superman Lives simule assez bien dans sa construction, l'approche de Burton est une totale hérésie, mais plus le documentaire met des éléments dans nos mains, plus nous sommes séduits par son propos et son angle d'attaque déconstructiviste, qui, s'il a fait naître de potentielles horreurs, comme une fusion de Lex Luthor et de Brainiac en un être à deux têtes, s'avérait finalement étrangement fidèle à l'identité du héros, alien parmi les hommes. Une forme d'isolement qui avait touché Burton, et qui aurait été le fil rouge de son métrage finalement équilibré entre l'introspection et l'action, après trois scénarios différents.
Me reste à évoquer la réalisation du documentaire lui-même, qui hélas, est loin d'être au niveau du projet de Tim Burton, ne serait-ce que de ses plus délirantes idées - on en retrouvera certaines dans Man of Steel maintenant que j'y pense - si le kickstarter à l'origine du projet fut couronné de 115 000 dollars, John Schnepp les a bien mal redistribué dans la production de son film, le son et l'image étant parfois franchement limites. Il faut rappeler que le projet a été mené sur plusieurs années, mais la qualité globale n'est sans doute pas à la hauteur du temps investi dans le documentaire. Outre quelques animations bien senties, les cartons et les ajouts aux interviews sont de piètre qualité, et les entretiens eux-mêmes n'ont pas la lumière et la qualité sonore d'un bon documentaire. Ce qui est plutôt embêtant quand il est vendu à 15 dollars en version numérique.
Le fantasme à lui seul justifie cependant l'achat, et votre intérêt sera récompensé par des dizaines de visuels, concept-arts, vidéos d'archives et anecdotes savoureuses, qui en plus de vous rendre incollables sur l'un des projets avortés les plus fascinants de l'histoire, vous aidera à comprendre le sinueux chemin d'une production hollywoodienne. Un documentaire que je conseillerai donc à tous les cinéphiles, passionnés de films super-héroïques et autres fans de Superman. Vous en ressortirez assurément grandis.