Qu'on ait ou non aimé Avengers : Age of Ultron et Ant-Man, on ne peut pas dire que l'année 2015 ait été synonyme de qualité du côté de Marvel Studios, qui nous avait habitué à bien mieux en 2014 avec un Captain America en forme de thriller technologique très réussi, The Winter Soldier, et un space opera des plus rafraîchissants avec Guardians of the Galaxy. À ce titre, il n'est pas étonnant de voir le débat sur la "super heroes fatigue" reprendre de plus belle ces derniers mois. Mais n'ayez crainte, les symptôme sont identifiés, et le vaccin arrive bientôt. Il s'appelle Doctor Strange et débarque dans notre dimension en novembre 2016.
Avant toute chose, je tenais à préciser la nature de cet édito', qui vous l'aurez compris, se veut essentiellement prédictif, puisque je n'ai de toute évidence pas eu la chance de découvrir le film de Scott Derrickson avant son tournage, prévu pour l'automne prochain. Mes mots pourraient ainsi être caduques dans les mois ou semaines à venir. Mais en attendant, on peut tirer des décisions de Marvel Studios de nombreux éléments encourageants à mes yeux.
Comme nombre de ses pairs, le personnage de Doctor Strange dispose d'un passif plutôt désavantageux à l'écran. On le retrouvait en effet en 1992 sous le nom de Doctor Mordrid, une adaptation officiellement officieuse du héros réalisée par Albert Band et Charles Band, qui avait dû revoir le nom et les origines du personnage en cours d'écriture, suite à l'expiration des droits d'adaptation confiés par Marvel. Quelques années plus tard, en 2010, on apprend que Marvel Studios travaille sur l'écriture d'un scénario mettant en scène notre sorcier, et trois ans après, Kevin Feige nous confirme qu'il fera bel et bien partie de la phase 3 de son plan de bataille. Il communique d'ailleurs sur le métrage avec une rare passion, qui redouble à l'arrivée de Scott Derrickson en juin 2014.
Le réalisateur américain est l'un de ces metteurs en scène ayant réussi à percer du côté du genre horrifique, généralement plus ouvert aux jeunes et aux idées saugrenues, avec The Exorcism of Emily Rose, en 2005. Il fait aussi partie de ces auteurs-réalisateurs qui plaisent de plus en plus à Marvel Studios, sans doute soucieux d'effacer son image d'usine à faiseurs en offrant aux metteurs en scène une chance de s'impliquer sur l'écriture du métrage. Et en l'occurrence, si Feige crie sur tous les toits que Doctor Strange fait partie de ses héros préférés, Derrickson, plus discret, se montre toutefois très inspiré sur Twitter où il donne, sous la forme de pistes musicales, de photographies, d'œuvres d'art ou de commentaires variés, sa vision du projet. Une forme de passion qui n'est pas sans rappeler la pré-production d'un certain Guardians of the Galaxy, durant laquelle James Gunn était comme habité par son (passionnant) travail.
Passons à ce qui nous intrigue sans doute le plus, la distribution des rôles, qui, si on la compare aux habituelles stratégies de Marvel Studios, paraît tout à fait innovante. En effet, Kevin Feige et ses collègues optent d'ordinaire pour un rôle principal campé par un relatif inconnu. Ce qui permet au studio de négocier des contrats très restrictifs en termes de durée et de compensations financières. Quelque part, c'est un moyen pour Marvel Studios de désamorcer les ennuis qui peuvent venir de l'ascension des stars, à savoir gros cachets et petits caprices en tous genre. Or, contre toute attente, Doctor Strange mettra en scène un certain Benedict Cumberbatch, qui est au sommet de son art dans bien des milieux. Au théâtre, en témoigne son triomphant Hamlet, du côté des films oscarisables avec The Imitation Game (entre autres), et de celui des licences avec Star Trek ou encore The Hobbit. Un interprète fort d'un bon gros Star Power en somme, mais qui a pourtant accepté d'être de la partie. Une première pour l'entreprise de Feige.
Elle aurait pu s'arrêter là d'ailleurs, essuyant au passage quelques râles, beaucoup de spectateurs étant déjà lassés de l'omniprésence supposé du britannique. Mais Marvel Studios a redoublé d'efforts en annonçant la talentueuse Tilda Swinton dans le rôle de l'Ancien. Un choix doublé d'un changement de genre, passionnants et audacieux pour l'entreprise de Feige, qui pourrait également convier Rachel McAdams. Ajoutons à cela un Chiwetel Ejiofor, doté d'une réputation aussi solide que récente, qui devrait incarner un Baron Mordo réinventé pour l'occasion en anti-héros. Là aussi, une première pour Marvel Studios, qui d'ordinaire, donne plutôt dans le vilain bien manichéen.
Transition toute trouvée vers la dernière bonne nouvelle en date : la venue de Mads Mikkelsen dans le rôle du grand méchant de notre histoire. Si la participation du danois reste à confirmer, il a déjà mis un pied sur le territoire de Disney en rejoignant Star Wars : Rogue One, et pourrait en profiter pour faire un tour chez Marvel. Et si d'aventure ce choix ne serait finalement pas confirmé, il aura au moins montré la bonne volonté du studio, qui cherche à améliorer sa formule, encore imparfaite du côté des antagonistes.
Sans le classique (mais efficace) Loki et le délirant Mandarin, le MCU serait bien pauvre en antagonistes marquants, problème que Mads Mikkelsen peut de toute évidence régler par sa simple présence devant la caméra. Après tout, l'interprète dévore autant de pellicule que de chaire humaine dans Hannibal, et s'est tranquillement imposé comme l'un des vilains les plus mémorables de la saga James Bond dans Casino Royale, après des dizaines d'acteurs au moins aussi talentueux que lui, à commencer par le regretté Christopher Lee.
En témoigne ce dernier exemple, Marvel Studios tente de mettre les petits pots dans les grands pour l'arrivée de Doctor Strange au cinéma, quelques mois après The Winter Soldier, sa première apparition - purement orale - dans le Marvel Cinematic Universe. A l'image de cette réplique loin d'être innocente, le film de Scott Derrickson génère déjà un bouche-à-oreille assez dingue. Dans un écho à la phase de pré-production, l'échafaudage du chantier qu'est le tournage d'un film, on pourrait d'ailleurs voir dans cet enthousiasme une forme de pré-promotion.
Car si le tournage de Doctor Strange ne connaîtra pas son premier clap avant novembre, le film a déjà été marketé par Marvel Studios, qui s'est permis de le présenter sous forme de concept-arts (qui suggèrent une ambiance psychédélique bienvenue) lors de plusieurs événements labellisés Disney aux quatre coins du monde. Des illustrations restées secrètes, ce qui n'a pas empêché la firme aux grandes oreilles d'encourager les réactions des fans sur Twitter et les autres réseaux sociaux. Là encore, une pratique plutôt inédite à l'échelle de Marvel Studios, et que nous interprétons comme un gage de confiance, si ce n'est de qualité.
A bien des égards, Doctor Strange pourrait, en plus d'être un bon film, servir de traitement à un studio qui ferra bientôt face à une concurrence féroce, et qui devra gérer un embryon de fatigue quant au genre du film de super-héros. Mais avec une équipe créative inspirée et passionnée, un casting solide et un méchant mémorable, le film de Scott Derrickson pourrait bien être l'un des plus beau blockbusters de l'année prochaine. Affaire à suivre.