Depuis que Grant Morrison a pris ses distances avec DC Comics, où il ne s'attaque plus qu'à des projets qui s'inscrivent sur la longueur, comme l'arlésienne Wonder Woman : Earth One qui semble enfin sur de bons rails, le scénariste écossais s'est fait plutôt discret. Surtout quand on connait sa propension au taylorisme de l'écriture. L'art de tromper son monde est visiblement devenu une règle d'or pour lui puisque pas grand monde n'aurait pu prévoir qu'il reviendrait avec une origin-story du Père Noël.
On connait la versatilité de Grant Morrison qui n'hésite pas à multiplier les éditeurs. Dernièrement, il s'est illustré chez DC avec Multiversity, a publié un graphic novel chez Legendary Comics et a touché un conséquent bifton pour créer des super-héros pour un éditeur de comics indien opportuniste. Difficile donc de prévoir où le créateur des Invisibles va rebondir ensuite (à croire que Karen Berger était la seule à savoir le canaliser). Même en sachant parfaitement qu'il faut s'attendre à tout avec lui, il y a de quoi être surpris de le voir débarquer chez BOOM! Studios avec ce Père Noël : Year One à la sauce dark fantasy. Déjà parce qu'on aurait pu penser que celui qui s'adonne à la magie symboliste à ses heures perdues n'aurait pas grand chose à faire avec le bedonnant et jovial personnage populaire, mais aussi parce qu'on espérait le voir revenir avec quelque chose d'un peu plus conséquent que ce qui ressemble quand même à une idée qu'un scénariste et un éditeur complétement arrachés auraient en toute fin de soirée, ce genre d'idée qui émergent dans les effluves éthyliques pour ne jamais voir le jour. Mais puisqu'il faut faire avec ce que Grant Morrison nous propose, nous avons tout de même lu ce Klaus #1.
Tout de suite, on est frappé par l'aspect extrêmement mainstream de ce titre, qui est carrément straight-forward dans l'écriture. La lecture d'un comics de Morrison est habituellement exigeante, il faut s'accrocher pour suivre ses circonvolutions, le symbolisme qu'il met partout, tout comme les multiples niveaux de lecture qu'il aime insérer dans ses histoires. Pourtant, dans Klaus, il nous présente un récit très linéaire, qui reprend le décorum dark fantasy qui est au goût du jour (ou sa version surannée popularisée par la série d'HBO). On est bien loin cependant d'un Wolfskin de Warren Ellis qui sous ses dehors de Conan moderne cachait une réflexion sur le nihilisme. Alors certes, le scénariste chauve emprunte sa narration aux codes du conte, qu'il embrasse totalement, mais cette histoire d'un homme des bois qui débarque dans une ville tenue par un tyran aux diktats farfelus (les enfants ne doivent pas avoir de jouets) semble très, trop, simpliste pour un Morrison que l'on reconnait difficilement jusque dans l'écriture.
Le dessin est lui aussi au diapason de cette tendance. Alors que l'on a vu Grant Morrison s'entourer d'artistes uniques en leur genre, l'exemple le plus fameux étant Frank Quitely, il collabore ici avec Dan Mora. Ce dernier s'est fait un nom avec ses illustrations comme les héros DC à la sauce fifties, ou la réinterprétation du costume de Daredevil de la série télé. S'il a un talent certain, et livre des pages de toute beauté, son style est encore une fois très mainstream et confère à cette mini-série (qui devrait durer six épisodes) un aspect très propre et classique. On ne peut décemment pas critiquer le travail de l'artiste qui s'affirme de plus en plus comme l'un des talents à surveiller, mais était-il le meilleur choix pour illustrer cette histoire ? Heureusement, la fin du numéro lui permet de se lâcher un peu.
Il faut attendre les toutes dernières pages pour voir Morrison redevenir le scénariste que l'on connait et que beaucoup d'entre nous apprécient (même s'il n'a jamais fait l'unanimité). En quelques pages, l'Ecossais renoue avec ses thèmes de prédilection, le monde astral, la vision nietzschéenne et le renversement de l'ordre établi. Et si son héros ouvre les portes de la perception avec sa flûte plutôt qu'en consommant quelques drogues que ce soit, cela nous donne l'occasion d'avoir quelques planches totalement psychédéliques. Toute la problématique de la série est ici soulevée. Est-ce que Grant Morrison a un plan à plus large échelle et la relative platitude du début de son histoire sert son propos, ou est-ce que ces quelques pages sont juste un rappel presque inévitable des obsessions de leur auteur qui ne donneront pas suite ? En fait, il s'agit de savoir si Morrison est vraiment concerné par son histoire, ou s'il est encore en mode automatique, jouant avec les mêmes idées mais sans jamais les développer.
Encore une fois, Grant Morrison nous déçoit. Ce n'est pas tant que ce Klaus est mauvais que l'on sait que le scénariste est capable de bien mieux, de plus profond et fouillé. Dans Annihilator, il mettait en scène un scénariste en manque d'inspiration qui revenait sans cesse sur les même thèmes sans arriver à avancer dessus. On va finir par croire que ce titre était plus personnel que ce que l'on aurait supposer à la première lecture. Jusqu'à ce qu'un extraterrestre vienne à nouveau le visiter et qu'il retrouve l'inspiration ?