Aujourd'hui, Sam Mendes dévoile son nouvel opus de James Bond dans les salles obscures : Spectre. Ce n'est donc pas sans un certain opportunisme que Dynamite, éditeur qui s'est spécialisé dans l'exploitation de licence (mais de façon moins crasse qu'IDW tout de même), a publié le premier numéro du comics consacré au célèbre espion britannique. Et histoire de s'assurer une bonne visibilité, ils se sont attachés les services d'un scénariste britannique renommé en la personne de Warren Ellis. Suffisant pour en faire un bon titre ?
La première question qui vient à l'esprit à l'ouverture de ce premier épisode, où Ellis s'est-il placé dans la longue histoire de James Bond ? L'espion au service de Sa Majesté a connu un nombre impressionnant d'incarnations et le scénariste devait en tout premier lieu se placer parmi ces multiples visions du personnage. Dès la couverture, il nous donne un indice puisque le nom de Ian Fleming, le romancier qui a créé le célèbre espion, est directement mentionné. Effectivement, on se rend bien vite compte que plus que les films, le scénariste de Whitechapel est allé chercher son inspiration dans le matériau de base, revenant à quelque chose de plus "terre-à-terre", même s'il l'a actualisé en le plaçant à notre époque. Pas ou peu de gadgets, Bond est un fonctionnaire qui doit se référer à une hiérarchie, qui se paye de la paperasse et dont les bureaux du MI6 ne sont en fait que des bureaux classiques avec cantine d'entreprise et sans décorum farfelu avec des salles futuristes qui ne sont pas vraiment cohérentes avec cette agence gouvernementale. Être espion pour ce James Bond ne signifie pas être un super-héros romantique, mais bien un métier. La connaissance d'Ellis du monde interlope des services de renseignement apporte une touche de réalisme à un personnage qui au fil des films avait vendu une version fantasmée mais pas forcément pragmatique de ce monde.
Pourtant, le scénariste de Trees ou Injection (pour citer ses projets les plus récents) ne joue pas à l'élitiste de base qui rejette les films sous prétexte qu'ils ne sont pas en adéquation avec les écrits de Fleming. Warren Ellis a bien conscience que les long-métrages sont un élément indispensable de l'ADN du personnage et va s'en servir. Pourtant, il a l'intelligence de ne pas faire de réutilisation lourde et factice des références aux films. Il nous épargne ainsi le fameux "I'm Bond, James Bond" pour se concentrer sur ce qui fait vraiment le sel du personnage, les ambiances, les tropes, les idées, il pioche un peu partout et s'efforce de créer un hommage cohérent. Si ce comics est un travail de commande, Ellis ne fait pas de l'alimentaire pour autant. Il faudra lui rendre grâce de faire l'effort de livrer un récit qui n'enfile pas les clins-d'œil pour cacher la vacuité du scénario et va se concentrer sur l'histoire. Tout comme ce qu'il fait pour Marvel, le scénariste britannique fait toujours en sorte de livrer un travail dont il peut être fier, surtout que le monde de l'espionnage le passionne et qu'il a visiblement beaucoup de plaisir en se replongeant dans l'histoire de James Bond.
Pour ce qui est du récit en lui-même, on retrouve Warren Ellis dans ses œuvres et il devient très vite évident que c'est bien le célèbre écrivain qui est derrière ces pages. Déjà parce que le dessinateur Jason Masters a un style qui n'est pas sans rappeler celui de Declan Shalvey, ce qui permet d'avoir des pages qui nous rappellent celles d'anciennes séries d'Ellis. Puis, la toute première scène sur laquelle s'ouvre ce numéro est un long affrontement muet et très violent (on parle là quand même d'un combat à coup de pelles de chantier) de plusieurs pages qui met en exergue ces techniques séquentielles qu'expérimente Ellis depuis RED et que l'on a pu voir régulièrement depuis, dans Moon Knight notamment. Après cela, on découvre enfin le héros, charmant, spirituel, mais aussi trouble par certains moments. D'ailleurs, on remarquera que Masters a choisi de lui faire un visage assez générique, entre Sean Connery et Pierce Brosnan, mais qui manque peut-être un peu de personnalité. Mais peut-être est-ce à dessein, James Bond est presque devenu polymorphe au sein de sa mythologie.
Si le début du numéro est muet et se lit rapidement avec une grande fluidité, il contraste avec la suite où Ellis va enfin développer son intrigue. Enfin après une de ces scènes habituelles chez le barbu misanthrope, qui ne prend sens que bien plus tard dans la série et qui pour le moment reste assez obscure. Après cela, on revient à James Bond dans ses bureaux, où l'on croise toute la classique galerie de personnage, Moneypenny, M ou Q. L'occasion de faire de l'exposition, enfin, à l'aide de longs dialogues, où l'on découvre les multiples enjeux de l'intrigue et qui permettent d'identifier ce que sera la suite de l'histoire. Un récit qui s'annonce pour le moment classique, avec Bond qui doit se lancer sur les traces d'un riche philanthrope qui est en fait la pire des crapules. Classique donc. Saupoudré d'un peu de vengeance personnelle histoire de donner un moteur émotionnel et puis le fameux vilain qui se profile au loin comme une némésis qui donnera bien du mal à notre espion. Rien de bien révolutionnaire donc, mais une maîtrise de la narration incroyable qui nous fait arriver rapidement à la fin du numéro avec la conviction qu'il nous faut lire la suite. Pour du comics d'exploitation, c'est fort.
Certes, ce comics James Bond est très opportuniste. Mais il est surtout servi par un duo d'artistes qui montre que l'on peut faire de l'exploitation intelligente et qui sert ce qui est d'abord une bonne histoire. Surtout, c'est un vrai comics d'espionnage de qualité avant d'être une réutilisation de licence.