Je vous l'avoue d'emblée, j'ai toujours eu un amour assez incompréhensible pour le personnage d'Hawkeye, lui qui n'est pourtant que l'un des nombreux reflets de l'archétype de l'archer émérite au sein de la culture populaire. Un excellent, voire mythique, run par Matt Fraction et David Aja plus tard, je suis plus que jamais conquis par ce personnage, plutôt bien repris en main par Jeff Lemire, qui après avoir sublimé Green Arrow chez DC, est passé d'un archer à l'autre pour le compte de Marvel, qui lui confie, outre celles des mutants, les nouvelles aventures de Clint Barton et Kate Bishop pour All-New, All-Different. Le scénariste résiste-t-il à tous ces changements ? La réponse est oui.
Car si Manu vous faisait part de sa lassitude face à l'histoire vue cent fois qu'il développe dans Extraordinary X-Men, Jeff Lemire fait ici preuve d'une certaine originalité, qui m'incite à lui donner l'excellente note ci-dessous. Toute relative certes, cette originalité consiste en une division de l'intrigue en deux époques différentes, l'une étant la suite directe de ce que l'on a déjà connu avec Fraction et Lemire, l'autre explorant, vingt ans plus tard, un futur (potentiel) de l'univers Marvel, dans lequel Clint et Kate Bishop luttent contre un Mandarin devenu particulièrement dangereux. Comme on le disait, l'idée n'est pas si nouvelle, et encore moins unique, mais chez un titre relaunché devant trouver sa place au milieu de super-stars un peu flemmardes, ça suffira à capter notre attention.
D'autant plus que Lemire ne se contente pas de l'exercice de style, et soigne également dans les détails cette intrigue sur deux époques, avec une narration miroir assez bien branlée, qui passe autant par les dialogues comme la composition de Ramón Pérez, plutôt inspirée malgré son apparent classicisme. Le dessinateur, connu pour Kings Watch, Uncanny X-Force ou encore The Amazing Spider-Man, accompagne d'ailleurs très bien l'idée d'une série partagée en deux époques, puisqu'elles sont toutes les deux identifiables visuellement. La première collant à l'atmosphère qu'ont réussi à imposer Fraction et Aja - trop, peut-être - l'autre s'inspirant d'une science-fiction des sixties, très colorée. Et en plus de ces deux choix esthétiques, on notera un trait, un style et une colorisation qui changent au gré des timelines explorées. Là encore, très simple, très efficace, mais solide.
Et malgré le jonglage permanent entre deux époques, les duo d'auteurs parvient très bien à saisir l'autre duo de la série, ses personnages, à savoir Clint Barton, héros en perte de vitesse, et Kate Bishop, qui n'est plus une simple sidekick depuis longtemps. En quelques pages, ils parviennent à installer un nouveau contexte entre les deux archers, si bien que la navigation dans les époques se fait à peine sentir. Fluide, leur relation semble avoir évolué au fil temps, et si les ellipses nous cachent encore bien des choses, on peut s'attendre à ce qu'elle soit le vrai moteur de cette intrigue, plus que l'énième retour d'un vilain culte de l'écurie Marvel ou le sauvetage des innocents qu'il menacent.
A première vue, l'assaut contre le Mandarin n'est qu'un prétexte pour Lemire, qui cherche surtout à explorer les sentiments traversant les deux héros, qui portent certes le même nom, mais qui sont loin d'être toujours d'accord. Une aventure humaine, finalement, dans le genre de celles qui ont fait le sel des différentes équipes créatives qui se sont succédées sur le titre. On ne peut que se réjouir d'une continuité aussi subtile, tandis qu'on regretta surtout deux choses. La première, une envie, chez Marvel, de surfer sur la vague "à la Fraction", pratique de plus en plus courante mais qui devient totalement malhonnête, puisque l'éditeur était le premier à casser les noix du scénariste lors de son passage sur l'archer. La seconde, l'introduction d'une team Hawkeye avec des moyens aussi nombreux qu'avancés. Dans un futur potentiel certes, mais cette nouvelle interprétation du concept Batman Inc et consorts commence vraiment à mal vieillir.
Ce premier numéro d'All-New Hawkeye laisse entrevoir un duo talentueux au service d'un autre. Qu'il soit un Avenger de réserve paumé au milieu de son quartier ou un vieux maître du tir à l'arc à la coupe de cheveux de Quin-Gon Jinn, Clint Barton n'a rien perdu de son humilité superbe. De son côté, Kate Bishop semble s'offrir un nouvel écrin à sa mesure avec une série qui narrativement, promet, et visuellement impressionne.