Un mois avant la sortie de Bitch Planet, qui faisait ses débuts dans les comics-shops en décembre dernier, Image pouvait déjà compter sur un titre de science-fiction aussi loufoque qu'engagé, le bien nommé ODY-C, scénarisé par un Matt Fraction qui n'a plus rien à prouver du côté de l'indé' (avec des séries comme Casanova ou Sex Criminals) et dessiné par Christian Ward, sans doute l'un des rares artistes à pouvoir donner vie à l'imaginaire débridée du scénariste d'Hawkeye.
Plus que jamais installé dans sa carrière d'artiste protéiforme, Matt Fraction met un point d'honneur à essayer de se réinventer, ou au moins d'innover, à chacun de ses projets. Avec ODY-C, il s'attache les services d'un artiste qui nous avait tapé dans l'œil il y a quelques années avec les excellents premiers numéros de The Infinite Vacation, alors scénarisée par Nick Spencer à une époque où Image Comics régnait beaucoup moins sur la petite galaxie des "indépendants".
Son but cette fois ? Dépoussiérez l'Odyssée (celle d'Homère, oui oui), rien que ça. Et quoi de plus simple et provoquant que de commencer par inverser les sexes des héros imaginés par le légendaire aède du VIIIème siècle avant ce bon J.C. Ainsi, découvrez Odyssia, championne féminine d'un monde complètement fou et onirique qui, à l'instar d'Ulysse, chercher à accomplir son but ultime : rentrer à la maison. Et comme dans l'Odyssée, son équipage et elle devront passer par un certain nombre d'épreuves, surveillés par des dieux Olympiens qui s'ennuient et qui sont particulièrement bien réinventés (et retouchés juste ce qu'il faut pour servir le propos et ne pas s'imposer uniquement comme des figures monolithiques). Par contre, au cœur du premier TPB (le second sort en mars prochain et je suis la série en format relié plutôt qu'en single, notamment parce que son rythme est très étrange et qu'elle gagne énormément à être lue d'une traite), nos héros devront passer par la mythique épreuve du Cyclope, lui aussi réinventé pour coller à l'ambiance très Space-LSD imposée par les deux auteurs.
Et si d'aucuns pourraient trouver prétentieux l'ambition d'adapter Homère avec un style particulièrement arty et nébuleux, il faut reconnaître que l'histoire met du temps à vraiment accrocher son lecteur, notamment en raison de la relecture parfois abrupte d'un classique parfois martyrisé. Pourtant, à mesure que l'histoire avance (et particulièrement lors des chapitres #3 et #4), toutes les pièces d'un puzzle pas toujours simple commencent à s'assembler pour le plus grand plaisir d'un lecteur qui jouit à s'y retrouver. Parce que comme dans toutes les œuvres de Fraction, le propos dépasse la simple relecture, et énormément d'éléments sociaux sont à retirer de ce récit, qui vient nous rappeler que les histoires fondatrices sont comme les théories de Campbell, tout simplement imparables, même un millénaire plus tard.
Hyper particulier dans son approche de la narration séquentielle, Christian Ward (à ne pas confondre avec alter-ego d'Agents of S.H.I.E.L.D) est ici encore plus difficile à suivre qu'avec The Infinite Vacation, où Nick Spencer semblait le retenir quelque peu. Avec ODY-C, le londonien plonge encore plus loin dans le découpage et les couleurs acides, tellement qu'il est parfois assez complexe de se retrouver dans la mise en scène la plus simple d'une histoire pourtant colossale. Véritable bête d'illustration (je vous invite à le vérifier de vos yeux par ici), le dessinateur frôle parfois avec le mal de crâne et n'est pas toujours au même niveau de détails au sein de ce premier TPB.
Pourtant, il se dégage une impression un peu étrange à la lecture, qui nous fait dire que seul lui pourrait être aux manettes d'un projet aussi fou, éthéré et démesuré. C'est même peut-être lui qui porte le mieux le projet, là où Matt Fraction semble finalement lui livrer un script solide et malin (reprenant notamment la narration typique des récits antiques), pour que l'artiste puisse ensuite laisser éclater sa créativité. Et s'il est intéressant de noter que l'histoire promet de durer relativement longtemps (ce premier volume n'est finalement qu'une longue introduction à une aventure plus vaste qui pourrait même s'autoriser quelques détours), on espère sincèrement que les problèmes de productivité qui ont entaché la sortie de The Infinite Vacation soient définitivement derrière lui.
Sans être le projet le plus réussi de Matt Fraction chez Image, ODY-C n'en est pas moins le plus original, si ce n'est l'un des titres les plus différents que propose l'éditeur, toutes séries confondues.
Relecture rock'n roll et trippée de l'Odyssée, le titre se permet juste ce qu'il faut de liberté, dans une relecture qui fait la part belle aux esprits malins des deux auteurs, qui semblent s'éclater à réinventer l'un des plus grands récits de l'histoire de la littérature. Destiné à arriver chez Glénat Comics, le titre devrait être disponible l'année prochaine chez votre libraire préféré.