Auteur au moins aussi prolifique du côté du Big Two que du côté du creator-owned , Mark Millar ne cesse de nous offrir des nouvelles séries. L'année dernière, après un Chrononauts en forme de blockbuster hollywoodien en devenir, le scénariste écossais nous offrait un titre bien plus intimiste en la personne de Huck, série qu'il imagine aux côtés d'un Rafael Albuquerque (American Vampire) visiblement très en forme.
Parmi mes auteurs préférés, il y a bien sûr ceux qui abordent mes thématiques favorites ou des petits génies de l'écriture. Mais on trouve aussi des noms bien plus polémiques. Je pense à Scott Snyder ou Mark Millar, donc, deux scénaristes qui me fascinent, tant je suis capable d'aduler comme de vomir - parfois en même temps - ce qu'il réalisent pour l'industrie des comics, que se soit dans sa branche mainstream ou sa branche indépendante. Et si je devais trouver un chef de file à ce groupe très hétéroclite d'auteurs, se serait assurément Mark Millar, un homme dont la carrière est un véritable paradoxe. Capable du meilleur comme du pire, Millar peut dénoncer la suprématie des films de super-héros au cinéma et vendre trois scénarios pré-mâchés à la 20th Century Fox dans la foulée. Je grossis volontairement le trait, mais ce sont ce genre de paradoxes qui créent, au sein de sa bibliographie, de vrais petits vortex qui n'ont aucun mal à aspirer ma curiosité.
Et comme il n'est pas à un paradoxe près, le scénariste a lancé Huck, une histoire de super-héros qui serait, si on en croit ses mots, une réaction à la brutalité de Superman dans le film Man of Steel de Zack Snyder. Une anecdote dont j'avais tout de suite dénoncé la suprême hypocrisie, puisque le scénariste est connu pour ses irrévérences en tous genres, sa propension à la violence gratuite et son langage pour le moins familier. Il en faut plus pour me choquer, rassurez-vous, mais entendre Millar dénoncer la violence de Man of Steel - et la noirceur qu'ont pris les histoires de super-héros, de manière plus générale - me semblait fort de café, quand on sait qu'il a écrit des titres comme Kick-Ass ou Civil War, pour ne citer qu'eux. Sans doute pas innocent dans l'affaire qu'il dénonce, Millar a au moins eu le bon goût de répondre à la violence par la douceur, et en proposant une vraie problématique.
Cette problématique, c'est celle de Huck. Un gars simplet de 34 ans, qui travaille à la station essence du coin, et qui passe le plus clair de son temps à le donner. Le petit village qui l'accueille depuis son apparition devant la porte d'un orphelinat peut ainsi compter sur super-héros local, qui ne recule devant rien pour aider son prochain. Chat coincé dans un arbre, proche disparu, repas gratuit... Tout y passe, et Huck se satisfait de rendre les gens heureux. Mais forcément, sa réputation finit par grandir, et attire l'attention de la presse, des politiques, et d'anciens proches. Autant d'acteurs qui mettront en exergue la superbe candeur de notre personnage principal, que Millar présente comme le héros désintéressé suprême, dans une opposition évidente à la figure de Superman.
Car si le dernier fils de Krypton est toujours fort d'un symbolisme et de belles valeurs, Huck est sans doute, dans l'esprit de Millar, ce que Superman devrait être de nos jours. Et c'est ce qui le rend fascinant. A l'heure où l'homme d'acier se rapproche toujours plus de la figurine divine (cf les nouveaux pouvoirs que lui ont accordé Geoff Johns et Romita Jr.) avec laquelle il flirtait, Huck est le plus simple de vos voisins, les mauvaises langues pourraient même le voir comme l'idiot du village. Il protège une petite bourgade d'ailleurs, pas une métropole. Et sans aucun doute, c'est une façon pour Millar d'inventer le premier super-héros local, par opposition à un Superman sur-médiatisé et qui n'est jamais très loin de l'impérialisme.
La comparaison entre les deux héros trouvera ses limites dans le caractère "simplet" de Huck, qui est l'excuse parfaite du scénariste quant il s'agit de justifier l'élan infini de bonté qui est celui de personnage principal. Mais ce prétexte n'est pas forcément malhonnête. On peut en effet considérer la simplicité du héros comme une négation de son identité. Et tous les jours, il se trouve que nous perdons un peu plus la nôtre dans une société qui fait en sorte de nous normaliser. Huck, c'est peut-être vous, c'est peut-être moi. Sauf que lui n'hésite jamais quand il s'agit de faire le choix le plus juste. Un poncif que Mark Millar n'a aucun mal à sublimer pour nous toucher, et créer l'empathie pour son personnage, qui force le respect et attirer la sympathie. Une sympathie qu'il utilisera pour faire ce qu'il sait faire de mieux : dénoncer, lorsque son héros se retrouve dans les griffes de politiques ou de journalistes qui veulent l'instrumentaliser, par exemple.
La quête de Huck sera donc celle de l'identité, dans un monde qui se moque ou cherche à instrumentaliser sa candeur. Et ce voyage à la recherche de lui-même sera parfaitement illustré par Rafael Albuquerque, qui pour l'occasion, se rapproche du style rétro-moderne d'un Tim Sale. Ce qui ne manque pas de donner un charme de fou à cette histoire de super-héros qu'on pourrait presque qualifier de de rurale, tant le dessins d'Albuquerque semblent vouloir rendre hommage au calme et à la tranquillité de la campagne. Une atmosphère qui ne fera que sublimer notre personnage principal : après tout, le paisible Huck n'aurait pas sa place au sommet des buildings de Metropolis. En ce sens, même les dessins de l'artiste brésilien participent au message de Mark Millar, qui avec ce titre, entend ramener l'équilibre dans la Force avec un maximum de lumière, mais aussi poursuivre son long combat contre les puissants qui oppressent ou se moquent des petites gens.
L'environnement rural et la candeur du personnage ne trompent pas : Millar, même au sein de ce titre pour le moment très léger, dénonce plus que jamais. Huck est un titre indépendant qui parle d'indépendance, et qui en parle bien. Mais la plus grande réussite de la série sera peut-être d'acter, une fois le dernier chapitre clos, un profond changement dans les thématiques d'un auteur, qui d'après les gouttes de sang présentes dans l'album - pas une seule - en a peut-être fini avec l'ultra-violence.