C'est au terme de près de trois ans d'attente et d'annonces parfois contradictoires que nous avons pu découvrir Batman v Superman. Le film tant attendu de Zack Snyder arrive d'ailleurs dans nos salles accompagné d'une première vague de critiques assez meurtrières. Une levée de bouclier qui n'aurait rien à envier à celle de 300 fameux spartiates, mais que nous avions choisi d'ignorer, amateurs de Man of Steel et de Snyder que nous sommes. Car il faut le rappeler, le réalisateur, depuis son entrée dans le grand bain avec son métrage adapté de Frank Miller ne cesse de diviser les foules. Et avec ce nouveau métrage, le réalisateur, qui s'était déjà frotté à d'immenses icônes avec Watchmen, sera plus clivant que jamais.
Derrière les headlines assassines et les titres racoleurs se cache en effet une forme de vérité, dans l'aspect le plus blessant que puissent signifier les mots. Après un générique ultra-mythologique et une première scène contextualisant ce nouveau film dans l'univers inauguré par Man of Steel, Snyder nous plonge dans une intrigue qui, à première vue, s'avère complexe. Sont impliquées, pêle-mêle, les conséquences de son précédent film, l'introduction d'un nouveau Batman en la personne de Ben Affleck, et l'apparition d'une menace centrale, Lex Luthor, incarné par un Jesse Eisenberg cabotin mais salutaire. Un peu à la manière d'un Man of Steel et sa longue introduction sur Krypton, suivie d'allers-retours incessants entre le passé de Clark Kent et son présent, Batman v Superman mélange ainsi une intrigue linéaire avec différents types de flashback ou de flashforward - dont des séquences hallucinées - qui ne feront que noyer le poisson.
D'emblée, on note la densité du matériau, qui est fragmenté par l'écriture de Chris Terrio et David Goyer, qui utilisent toutes les techniques narratives à leur disposition pour grossir le trait. Ce qui semblait être un film très porté sur les conséquences de son aîné et l'introduction d'un sacré morceau nommé Batman devient alors, et très vite, une enquête teintée par des notes de thriller. Pas désagréable, elle nous ballade dans un univers qui semble bien (trop) pressé de se construire, en appuyant, parfois de manière très surprenante, sur les différentes facettes des mondes élaborés par DC. Si l'exposition, omniprésente, nous empêche de pleinement les apprécier, on profite de quelques pistes intéressantes, voire prometteuses.
Pour être honnête avec vous, la première partie du film a ainsi réussi à me tenir en haleine, et s'avère même très originale, dans le sens ou les super-héros semblent déserter l'écran - le scénario comme la mise en scène portant d'avantage sur les vies (à défaut des identités, jugées inintéressantes) civiles de Superman, Batman et Wonder Woman, furtive mais convaincante, tout comme un Jeremy Irons fringuant en Alfred. Progressivement, l'étau se resserre, et hélas, l'intrigue ne s'avère pas aussi prenante ou alléchante qu'elle aurait pu l'être. Les coupures sur la table de montage se font d'ailleurs plus visibles, puisque nos personnages finissent par agir en totale contradiction avec les premiers enjeux développés. Tout comme le ton du film, qui abandonne vite son vêtement de thriller pour enfiler une structure plus souple, plus lâche, qui a tendance à ramener nos attentes vers le sol, en explicitant toujours plus les faibles rebondissements de l'intrigue.
Batman v Superman est ainsi parsemé de scènes qui frisent l'insulte au spectateur, tant ce qui est montré peut parfois être dit dans le même temps, et redit l'instant d'après. Une écriture qu'on aurait pardonné à un cheminement narratif plus complexe. Mais force est de constater que l'écriture de Chris Terrio / David Goyer et la mise en scène de Zack Snyder s'annulent progressivement, comme un soufflé loupé, qu'on décide alors d'arroser de chantilly et d'autres sucreries dans l'espoir de maintenir le spectateur éveillé. Mais lorsque Snyder décide de passer aux choses sérieuses, il est déjà trop tard, et la contextualisation du duel qui donne son nom au film s'avère trop légère pour assurer l'empathie du spectateur.
Pire encore, Zack Snyder, connu pour sa réalisation sur-travaillée et son esthétique clipesque, parvient à louper l'iconisation de ses personnages, que 75 ans de comics lui servent pourtant sur un plateau d'argent. Gâchant les talents - dont un Ben Affleck appréciable mais cosmétique - à leur disposition, le metteur en scène et ses scénaristes n'arrivent pas à insuffler au film le souffle épique que nous attendions, et que parvenait pourtant à construire Man of Steel, lui qui est tant débattu. Malgré une pellicule longue de près de trois heures, les plans mythiques et autres moments de bravoure se feront donc rares et dépassionnés de surcroît. Mais à bien y regarder, rien de très surprenant : en ne voulant pas nommer directement les choses - sauf lorsqu'il introduit de manière tout à fait honteuse et gratuite les futurs membres de la Justice League - Snyder aseptise complètement son embryon de propos, jusqu'à le rendre dangereux.
On pense forcément à l'utilisation faite du personnage de Batman, qui s'avèrera aussi polémique, dans sa soi-disante modernité, que celui de Superman dans Man of Steel. Quand il s'agit de s'exprimer comme de bouger, les protagonistes semblent à des années-lumière de ce qui a fait leurs belles heures du côté des comics. Et si on pourrait reprocher à mes mots la fierté du lecteur ou celle du fan, je ne crois pas trop m'avancer, hélas, en affirmant que Snyder, dans une démarche artistique à la limite du trolling, bafoue toutes les règles de caractérisation, fussent-elles sacrées, de nos héros favoris. Et si des passages plus originaux - comme le fameux cauchemar de notre chevalier noir - lui donnaient les moyens de justifier des archétypes aussi polémique qu'un Batman armé, on regrette, sincèrement, de voir Snyder s'enfoncer dans une réécriture aussi peu inspirée des personnages DC, au-delà de ces balises de créativité fournie par le scénario.
En ce sens Snyder prive ses personnages de tout ce qui fait leur essence : leur héroïsme. Et ce qui aurait pu faire office de nihilisme inspiré sur les super-héros et leur suprématie à l'écran rejoint vite les rangs de ces hérétiques super-productions hollywoodiennes qui se contentent d'appliquer une formule à des icônes quasi mythologiques qu'ils ne comprennent pas. Dans les plans de Snyder, on ne sent plus la fascination pour les actes héroïques des hommes de Leonidas. Ni le respect des convictions d'un Rorschach. Nivelés par le bas, ses personnages deviennent vides de sens, et par conséquent de réjouissance.
La réalisation - la plus essoufflée de sa filmographie - en témoigne. Un comble pour l'homme qu'on accuse de céder à tous les artifices et de s'extasier devant ses propres images, figées dans des ralentis aussi souvent décriés qu'imités. À quelques tentatives de tableaux près, Batman v Superman s'avère aussi creux, en termes de mise en scène, que ses personnages et son intrigue. Ce qui est particulièrement dommageable quand on connaît le titre du film, et son climax, révélé par l'apparition de Doomsday dans son troisième trailer. Un dernier acte, qui à notre plus grande surprise, a d'ailleurs bien du mal à proposer quelque chose de frais, là où le destruction porn de Man of Steel introduisait une échelle de puissance assez grandiose, et quelques cadrages inédits à Hollywood. Un constat assez triste, à vrai dire, et qui ne rassurera pas sur la question Justice League et ses méta-humains surpuissants, surtout à la lumière d'une conclusion catastrophique, tant sur ses enjeux que sur la porte qu'elle ouvre maladroitement, en contradisant les héros pourtant établis deux heures plus tôt.
L'absence de ludicité et un manque de respect total pour le canon finissent par coucher la vraie question sur le papier : mais où est passé Zack Snyder ? L'esthète, le fan, le "visionnaire" (à en croire l'affiche de Watchmen) qui ne recule devant aucun défi pour proposer une expérience unique, quitte à ce qu'elle soit clivante ? Mystère, à croire que le challenge, et les coupes trop évidentes d'un studio bien décidé à rattraper la concurrence, finissent par nuire à tout le monde. Aux fans de comics qui peuvent logiquement se sentir trahis, aux amoureux du réalisateur qui ne trouveront pas dans Batman v Superman la puissance de sa mise en scène, et à la concurrence, qui en l'absence d'un adversaire digne de ce nom, n'aura jamais à se décarcasser pour s'imposer. À moins d'un mois maintenant du tournage de la première partie de Justice League, l'avenir du DC Extended Universe paraît bien flou, à défaut d'être totalement malgré engagé.