Moon Knight fait partie des héros les plus singuliers de l’univers Marvel, tout en s’éloignant des personnages extravaguant fortement en vogue ces dernières années avec Howard The Duck ou Squirrel Girl. Sa folie et sa violence le sortent du cadre Marvel classique, mais donnent un terrain de jeu particulièrement intéressant pour les meilleurs auteurs de la Maison des Idées. Si Brian Bendis nous a quelque peu déçus sur le sujet il y a plusieurs années, Warren Ellis puis Brian Wood ont récemment fourni un brillant run au personnage et à ses artistes attitrés. Aujourd’hui, c’est Jeff Lemire qui reprend le flambeau de la série dans un nouveau relaunch où il compte bien analyser les tréfonds de l’âme de Marc Spector.
Non content de s’occuper des X-Men et de Hawkeye, Jeff Lemire trouve ici un nouveau terrain de jeu qu’il sait brillamment exploiter. Chacune de ses séries lui permet de traiter de thèmes et d’aspects différents de la vie, et ici il a probablement trouvé son terrain de jeu le plus pervers, à la fois envers son personnage et ses lecteurs. Il y a besoin de savoir peu de choses pour se lancer dans la série, le tout étant bien résumé sur la page d’introduction qui pose déjà un doute : et si Marc Spector était simplement fou ? Un thème simple et régulièrement exploité dans les fictions, mais qui va s’avérer un peu plus piégeux que ce qu’on pouvait attendre.
Plongé dans ce qui semble être un asile tiré des années 50, du moins comme on pourrait le fantasmer, Marc Spector est aussi perdu que son spectateur, pour lequel la réalité semble fonctionner à double sens : est-ce que la réalité de Marc Spector alimente sa folie, ou est-ce le contraire ? Sachant très bien que le lecteur est habitué à ce genre de jeu, Jeff Lemire pousse un peu le bouchon en blindant son histoire, et en rendant toutes les idées qui peuvent nous venir à l’esprit totalement valides. Difficile alors de faire le malin en déclarant avoir compris où l’histoire va nous mener.
Et pourtant quelques indices sont là pour démêler le vrai du faux, voire le faux du faux, qui cache peut-être un peu de vrai. Et c’est en faisant appel à l’histoire même du personnage que Lemire donne les clés de son histoire aux lecteurs les plus fidèles, qui sauront décrypter ses indices, tout en promettant aux autres une résolution sur cinq numéros. Et dans ce jeu, le dessin et ses couleurs deviennent aussi important que l’histoire elle-même.
Arrivé sur le titre en même temps que Brian Wood, Greg Smallwood s’envole avec ce nouvel arc qui nous prouve les dires de Jeff Lemire il y a quelques mois : l’artiste est capable de s’adapter à tout. De page en page, Smallwood change de style pour refléter différentes époques et différents univers explorés par Moon Knight par le passé, au point de faire de magnifiques échos à Bill Sienkievicz sur plusieurs pages. Au-delà de l’hommage, cette variation dans le style est aussi un nouvel indice quant à l’intrigue elle-même, et aux éléments qu’il faut se remettre en mémoire. Le découpage de Smallwood amène également à l’immersion dans la tête de Spector, jouant avec les formes que génèrent ses casent. Il parvient à guider le regard, à exprimer la surprise ou la perte de connaissance, sans même faire appel au dessin en lui-même.
À ses côtés on retrouveJordie Bellaire pour la colorisation, toute en subtilité dans un univers très froid et blanc. Elle parvient aussi à jouer avec les détails pour concentrer le regard du lecteur là où c’est important, rendant la lecture d’autant plus fluide et organique. De la même façon, elle joue un peu partout avec des touches de rouge loin d’être anodines, et qui prennent sens progressivement.
Là où le bât blesse finalement, c’est qu’on voit très bien les concepts, voire les personnages avec lesquels Jeff Lemire veut jouer sur ce premier arc, mais qu’on a du mal à positionner ça comme la première partie de quelque chose de plus large. L’équipe en place réussira-t-elle à relancer le personnage sur la durer, ou devra-t-on faire une nouvelle fois avec un changement d’équipe, une nouvelle approche de Marc Spector, et un éternel patinage d’un personnage qui ne réussira jamais à se mêler au reste de son univers ?
Jeff Lemire livre une introduction maîtrisée à Moon Knight et à son univers, parfaitement mise en image par une équipe qui semble travailler main dans la main. On a hâte de pouvoir juger cet arc au complet, mais on garde quelques doutes quant à la viabilité du concept sur le long terme.