Avec la sortie de Batman #51 la semaine dernière dans les comics shops, c'est une nouvelle page qui se tourne pour le chevalier noir. Greg Capullo et Scott Snyder tirent leur révérence, après avoir assuré les aventures de Bruce Wayne pendant cinq années consécutives. L'occasion pour nous de brosser un tableau des écrits de l'un de scénaristes les plus influents de l'industrie des comics, en 2016.
Pour être honnête avec vous, je ne connaissais pas Scott Snyder, professeur d'écriture et scénariste, avant son arrivée sur le premier numéro de Batman. Si j'avais eu de bons échos de son run sur Detective Comics, je n'avais jamais eu l'occasion d'y jeter un œil, et c'est donc avec son entrée dans les New 52 que j'ai pu découvrir le bonhomme et son style. Cinq ans plus tard, je ne crois toujours pas m'en être remis, pour la simple et bonne raison que j'aime détester, ou déteste aimer, les écrits de Scott Snyder. Et sans doute parce que l'auteur a toujours du mal à s'extraire des schémas narratifs qu'il enseignait pour se lancer dans les aventures du personnage. Du moins, du côté des super-héros, son parcours en indé', que se soit chez Vertigo ou Image, aurait en effet tendance à nous prouver le contraire.
Mais revenons à nos chauve-souris. Certes, Snyder à la fâcheuse tendance de souvent reprendre les mêmes structures et les mêmes effets scénaristiques. Mais ont doit admettre que même les plus simples finissent toujours par faire mouche, même s'ils nuisent à la réputation de l'auteur, notamment connu pour ses fins en eau de boudin. Et à juste titre, si on se réfère aux différentes conclusions de ses arcs sur Batman, toujours aussi opératiques que rageantes. Au fil des années et des numéros, j'ai donc appris à admirer Scott Snyder, mais aussi à me méfier de son écriture, toujours pleine de promesses, souvent non tenues, ou détournées dans des numéros finaux biberonnés aux cliffhangers de haute volée. Mais si j'ai perdu quelques cheveux devant la conclusion de l'arc Death of the Family ou face à la rapidité avec laquelle Zero Year s'est transformé en une mauvaise blague, je ne peux pas mettre de côté ce plaisir de lecture total qu'était Court of the Owls, entre autres.
Avec son style matiné par le genre horrifique, dans sa version Stephen King, mentor du scénariste, Snyder a réussi a en effet réussi à s'emparer des rues de Gotham plus rapidement que n'importe quel vilain. La métaphore ne s'arrête d'ailleurs pas là, puisque si nombre d'auteurs de Batman prétendent que Gotham est un personnage à part entière dans leurs récits, cette idée ne m'a jamais parue aussi réelle que dans les arcs de Snyder, lui qui lie toujours l'histoire de la ville à l'intrigue qu'il développe. Le treizième étage des buildings de la ville vous dit quelque chose ? La gargouille en plus aussi ? C'est normal, le scénariste a, numéro après numéro, cultivé l'art des parallélisme entre la tentaculaire cité et son champion. Une idée toute bête, mais qui parcourt tout son run sur le personnage, et lui permet de se l'approprier.
Autre tendance dans son travail sur Batman : l'envie de détruire les mythes. Mais pas forcément pour les reconstruire par la suite, à la manière d'un J.J.Abrams qui malmenait Faucon Millenium et sabre-lasers dans The Force Awakens, pour mieux les iconiser à la fin de son film. Non, Snyder se contente généralement d'envoyer voler les acquis du batverse. On peut notamment citer l'existence de la Cour des Hiboux, qui aurait dirigé la vie de Bruce Wayne depuis son enfance, ou encore une nouvelle genèse potentielle pour le Joker. Sans même parler d'un Jim Gordon dans une exo-armure en guise de chevalier noir 2.0 pour Gotham. Et puisque Snyder ne se soucie guère de ramener le mythe à son état initial, il s'attire forcément les foudres des fans. Et nous les premiers, avons eu l'occasion de tomber dans les pièges tendus par l'auteur.
Car si l'apport de Snyder à la mythologie Batman se jugera seulement dans quelques années - encore que, on lui doit tout de même un joli groupe de vilains et de héros inédits - on peut d'ores-et-déjà reconnaître la puissance de la méta-lecture qu'il a développé lors de ses cinq années de service sur le personnage, qui parlent autant du chevalier noir que de sa carrière de scénariste, finalement. Au fil des numéros, Snyder n'a cessé de jouer avec nos attentes et nos suppositions, quitte à ce que son écriture prenne parfois la forme d'un trolling pur et simple. A la lecture de certaines pages, j'entendais presque ce bon vieux Rick Astley chanter dans mes oreilles : Snyder adore se jouer de nous, comme lorsqu'il annonçait un Joker immortel dans Endgame avant de se cacher derrière les dires du Clown Prince du Crime, maître-menteur par excellence. On peut trouver des dizaines d'exemples du genre dans son passage sur Batman, qui n'aura eu cesse de gagner en méta jusqu'à son dernier run, Superheavy (super-lourd, littéralement), dans lequel Snyder ne faisait plus qu'un avec son personnage principal, se servant d'un Batman bifurquant vers Jim Gordon pour s'adresser directement au lecteur - comme s'il s'était retenu d'altérer le personnage de Bruce Wayne avec son propos jusque-là. Dans Batman #41, il s'amusait ainsi à projeter le bat-signal au sol, et non en l'air, une image lourde de sens, pour l'univers Batman comme pour sa relation si particulière aux lecteurs.
Car pour le coup, l'écorché vif qu'est Scott Snyder s'est toujours montré sensible aux remarques de ses fans ou de ses détracteurs. Lui qui prend souvent le temps de leur parler sur Twitter semble inclure, en filigrane des aventures de Batman, de vraies réflexions sur son travail et l'état de l'industrie des comic books mainstream. Le fameux trolling que nous évoquions plus haut n'est jamais qu'un exemple parmi tant d'autres. On pourrait aussi citer son ambition d'abord débordante puis nuancée lorsqu'il s'agissait de remplacer les origines définitives de Batman, à savoir le Year One de Miller et Mazzucchelli, par une version plus iconoclaste de ses débuts, en la personne de Zero Year. Ou encore sa touchante capacité à se livrer, sans pudeur, sur sa peur du terrorisme - mais également des fusillades qui ravagent chaque jour les Etats-Unis - en interview. En ce sens, son travail sur Batman est l'un des plus engagés que le personnage ait connu récemment, même si on peut évidement critiquer sa qualité artistique ou être hermétique aux thèmes développés par les 51 numéros de l'auteur.
Que se soit dans sa relation aux lecteurs, cachée dans les dialogues et les superbes monologues intérieurs de ses personnages, sa réinterprétation des constantes du Batverse ou dans son amour pour la sémantique - souvenez-vous : la définition de certains mots sert souvent d'accroche narrative à ses arcs - Scott Snyder nous a rappelé, en cinq ans d'écriture, que les mots ont un vrai sens et un usage qui n'est jamais inoffensif. A ce titre, son parcours sur Batman est peut-être l'un des plus marquants de ces dernières années, et pas uniquement grâce à sa longueur où aux dessins d'un Greg Capullo sur le retour.
Aussi fascinant que repoussant, la faute à une radicale originalité, le run de Scott Snyder est l'une des dernières pièces récentes du comic book mainstream a avoir fait couler des litres et des litres d'encre. L'une des plus utiles quant il s'agit d'étudier la place de l'auteur dans une licence aussi gigantesque que Baman. L'une des plus riches en termes de nouveaux personnages et de vilains inédits. Un potentiel classique, en somme, qui n'est toutefois pas encore terminé, comme nous l'explique volontiers son auteur, prêt à attaquer l'univers de Gotham sous un tout autre angle avec son All-Star : Batman, qui devrait faire la part belle aux vilains. Un nouveau regard qu'on attend avec la plus ferme impatience.