Si 2014 et 2015 étaient particulièrement versés sur la paternité de nos auteurs préférés, tous obsédés par un thème aussi universel que propice à leurs âges d'hommes mûrs, il semblerait que les plus brillants scénaristes de la scène Comics actuelle aient un poil régressé depuis que leurs bambins ont grandi, versant désormais plutôt dans les histoires adolescentes, souvent non sans oublier de glisser un hommage habile à Amblin et au cinéma culte des années 80.
Et puisque nous reparlons de Paper Girls de l'impeccable Brian K. Vaughan dans quelques semaines avec la venue de ses deux géniaux auteurs en France, faisons aujourd'hui un peu de place à Plutona, meilleure alternative au méga-hit Stranger Things, qui n'a pas manqué de vendre quelques milliers d'abonnements Netflix tout au long de l'été (et dont vous pouvez d'ailleurs lire notre critique sur SyFantasy). En effet, sans s'adonner à l'empilage de références visuelles comme les frères Duffer, Jeff Lemire nous donne lui aussi sa vision d'une aventure menée exclusivement par des jeunes adolescents, voire même des enfants. Cette vision, c'est Plutona, un one-shot qui se lit comme tel chez Image Comics, et qui est déjà en route pour le grand écran, à l'instar de son autre carton Descender, en développement chez Sony.
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Éditeur : Image Comics
Premier numéro : 2 Septembre 2015
Nombre de numéros parus : 5
Genre : Gus Van Santisme, alternative à Stranger Things
D'ordinaire enclin à développer des univers entiers pour assumer une écriture longue durée, Jeff Lemire sait aussi se mettre au diapason des nombreuses mini-séries de ces dernières années pour livrer une histoire courte, calibrée pour sa transposition sur grand écran. Mieux, avec Plutona, le scénariste Canadien que nous étions ravis de rencontrer à Angoulême cette année livre une expérience de lecture proche du téléfilm, parfait compromis entre son envie de raconter une tranche de vie adolescente et son désir de jouer une fois de plus avec les codes des Super-Héros.
Ainsi, s'il s'accompagne de la très efficace Emi Lenox pour raconter la vie des cinq héros qui formeront malgré eux un groupe plus ou moins soudé tout au long de la série, Lemire passe lui-même derrière la planche à dessin pour des back-ups où il va jouer, non sans premier degré, avec les codes des héros du Silver Age, forcément décalés avec la proximité des aventures de nos adolescents. Et plutôt que de se contenter d'imiter un genre dépassé, il va se servir de ces quelques pages mensuelles pour traiter le dilemme de la double-vie des super-héros parents, qui doivent aussi bien assumer la dernière tournée de linge de leurs progénitures que la sécurité de leur mégalopole préférée. Pas follement original mais tout à fait efficace, particulièrement en écho aux vies menées par notre groupe de jeunes téméraires en parallèle.
Formidable spectateur de la vie et de ceux qui l'entourent, Lemire est en effet capable de restituer les archétypes des écoliers bons à mélanger pour former un groupe hétérogène sans jamais verser dans la caricature et/ou le grossier. Certes, les pisse-froids pourront toujours reprocher les profils qui ne débordent pas du Quaterback, du garçon manqué et de son petit frère le nez sur la console forcément un peu inconscient ou de la Gothique complexée, mais ce serait oublier la tonne de soin qui est apportée à l'idée de faire vivre ses personnages et leurs réactions, toutes en susceptibilité et en rancunes enfantines. Sans oublier que dans ces archétypes se trouvent de subtiles hommages aux oeuvres adolescentes qui ont parsemé la vie de l'auteur, amateur de John Hughes devant l'éternel.
Il faut dire aussi que s'il est surprenant de voir Lemire se contenter de cinq petits numéros pour créer une histoire complète, c'est aussi la force d'un récit qui se dévoile à 100 à l'heure et sur un rythme constant, ponctué ça et là de cliffhangers imparables, qui vous convaincront d'achever sa lecture d'une traite comme le veut son format. Impossible pour moi de vous raconter les moindres éléments de l'histoire sans risquer de trahir les nombreuses révélations qui parsèment le récit, mais partez du principe que Plutona, c'est l'histoire de cinq adolescents que rien ne destinait à former un groupe soudé autour d'un drame fondateur, que vous découvrir dès la fin du premier chapitre, et qui n'est sûrement pas aussi limpide que vous pourrez alors l'imaginer. Ajoutez à ça une fin qui ne s'embarrasse pas avec les poncifs du genre, une dessinatrice qui se révèle au grand monde avec un trait d'une finesse rare et vous obtenez une belle lecture d'un soir, qui vous en coûtera tout de même la bagatelle de 20 dollars - Image ne poursuivant pas sa logique du premier numéro à 10€ sur les one-shots, ce serait trop beau. De quoi prolonger l'expérience Stranger Things et vos envies de retourner à l'enfance à travers l'imaginaire, parfait pour une rentrée des classes.