"Prendre un coup de vieux" est une drôle d'expression, que la plupart d'entre-nous apprennent à la dure lorsque les œuvres, personnages ou célébrités révérés de notre jeunesse arrivent à des anniversaires symboliques (Toy Story a 21 ans, oui oui). Et il y a peu, je dois vous avouer qu'on a soufflé les bougies de gros morceaux qui ont marqué mon enfance et mon adolescence, comme Halo 2, Casino Royale ou encore Gears of War premier du nom, des œuvres qui convoquent chez moi tout un tas de souvenirs. Mais pas autant que Justice League, l'une des nombreuses séries issue de l'âge d'or de l'animation chez DC, qui fêtait ses 15 piges le 17 novembre dernier, comme nous l'a rappelé Kevin Conroy, doubleur historique de Batman, non sans une certaine nostalgie.
Et puisqu'il est question de ce sentiment, qui est peut-être le nouveau leitmotiv de toute l'industrie culturelle, je n'ai pas l'intention de vous assommer avec un article comme il en existe déja des tas, qui récapitulerait la fabuleuse histoire de la série animée ou ses plus belles anecdotes, mais plutôt de vous parler de mes souvenirs de Justice League, qui sont assurément à l'origine de mon amour pour l'univers aux deux lettres.
Si vous avez entre 20 et 30 ans, vous le savez : tout a commencé sur la troisième chaîne public et son programme F3X. En ce sens je dois faire partie de cette génération pour qui des séries animées comme Justice League (2001) et Batman Beyond (1999) ont au moins autant d'importance que l'illustre Batman : The Animated Series (diffusée dès 1992 aux Etats-Unis), là où de nombreux fans ont tendance à mettre TAS devant tout le reste. Et si je les comprend tout à fait, je suis aussi conscient de la chance que représentait, à l'époque, la diffusion - même retardée - des séries Batman, Superman, puis Justice League et Batman Beyond au sein du même programme. Dans ma tête, et peut-être que les spécialistes de la programmation française me corrigeront, j'ai vraiment l'impression d'avoir grandi en même temps que ces personnages, qui vivaient d'abord leurs aventures en solo avant de se rejoindre dans la série Justice League. Toujours dans mon esprit, ce show, initié par le succès des écrits de Grant Morrison sur Justice League of America au début des années 2000, représente une forme de maturité, et il est assez amusant de rappeler que les créateurs de la série, dont le producteur Bruce Timm, avaient pensé Justice League comme ça : une véritable évolution de leurs précédents essais sur l'univers DC.
Et quelle évolution mes aïeux. Je pense que personne n'a oublié le cultissime générique de la série animée et son superbe thème musical, que j'aimerai encore aujourd'hui retrouver dans le film de Zack Snyder (l'espoir fait vivre n'est-ce pas ?). Il faut dire que j'ai toujours vu l'opening comme la parfaite représentation du fameux "esprit DC" avec lequel l'éditeur cherche à renouer depuis quelques mois. Pour certains, ce sont les dessins d'Alex Ross qui cristallisent le mieux cette essence des héros de la maison d'édition. Mais pour moi, et peut-être pour vous, c'est bel et bien ce générique - réalisé en images numériques à l'heure où elles n'avaient pas encore tout à fait envahi le monde l'animation - qui dépeint avec le plus de fidélité les héros de l'écurie aux deux lettres. Cet opening n'a d'ailleurs besoin que de deux ou trois notes familières et de silhouettes reconnaissables au premier coup d'œil pour me faire frissonner. Mais je vous en prie, faites le test vous-même :
Quand ces sept héros faisaient leur entrée sur la télévision familiale, le silence était de mise. Et encore aujourd'hui, ce générique me met une énorme claque à chaque visionnage. Il m'est même difficile de trouver les mots pour décrire toutes les émotions qu'il génère dans mon petit cerveau nostalgique, qui a soudain envie de crier "DC Fuckin Rules" ou encore "Fuck Marvel", ce qui est assez ironique, d'après ma cyber-réputation qui me qualifie de vendu à la solde de Disney. Mais si vous connaissez comme moi la série, vous savez que ses qualités sont loin de se limiter à son simple générique, aussi pur soit-il.
Il y a aussi l'équipe : composée de Batman, Superman, Wonder Woman, The Flash, Green Lantern, Martian Manhunter et Hawkgirl, elle avait fait débat à l'époque. S'inspirant sans doute des écrits de Morrison, Timm et ses équipes voulaient justement faire les choses différemment, et n'ont pas hésité à faire des choix forts d'entrée de jeu. On pense notamment à l'absence d'Aquaman, membre fondateur de la Justice League du côté des comics, laissé de côté au profit d'Hawkgirl (en solo), ce qui permettait à la série d'avoir un peu plus de personnages féminins. Ou encore au choix de John Stewart en tant que Green Lantern. Pour les scénaristes de Justice League, le Marine convoquait une diversité accrue et des arcs narratifs plus intéressant. Une approche qui par exemple, donna naissance à la romance entre John Stewart et Hawkgirl, tout à fait inédite pour l'époque, et qui a depuis tracé sa route vers les comic books. Autre choix fort : les scénaristes s'étaient lancés dans les deux premières saisons avec un Flash dont ils ne connaissent pas (forcément) l'identité, puisque c'est Starcrossed, le final de la seconde saison, qui avait révélé au public que Wally West se cachait en fait sous le masque.
Une drôle d'équipe, pour les fans de la première heure, mais qui a je pense résonné dans tous les cœurs des jeunes spectateurs de l'époque, pour qui, de tête, Green Lantern est un afro-américain, et Hawkgirl un personnage de premier plan. Vous l'aurez compris, cette équipe a fortement influencé ma perception de l'univers DC. Le nier serait d'ailleurs stupide, c'est pourquoi, tout au contraire, je le revendique. Car au-delà de la simple nostalgie et du progressisme qu'elle incarne, cette équipe fonctionne du feu de dieu. Une affirmation que je ne fais pas à la légère en me basant sur les souvenirs embellis de mon enfance, puisque j'ai comme petit rituel personnel de revoir, régulièrement, les meilleurs épisodes de la série, qui même dans ses mauvais jours, proposait au moins une superbe porte d'entrée sur le complexe univers DC, et ce, dans une narration assez impeccable. Les interactions entre les personnages, notamment, étaient brillantes et rivalisent encore aujourd'hui avec les meilleurs comic books consacrés à l'équipe, quand elles ne les surpassent tout simplement pas, le temps de dialogues plein de (double) sens et de punchlines savoureuses.
Et puisque la série n'a adapté directement qu'une unique histoire (In Blackest Night, de Gardner Fox mais aussi quelques pistes d'Alan Moore sur Superman, pour être honnête) tirée du passée de la série de comics Justice League of America et que son présent, alors dirigé par Grant Morrison, était trop sombre pour un cartoon, elle a également eu le bon goût d'inventer ses propres intrigues en s'inspirant de tous les grands auteurs de la maison DC. Le résultat est aussi familier que surprenant, et gravite autour d'une famille un peu bancale - comme chez Morrison d'ailleurs - mais tout à fait fascinante. On y retrouve un Superman tourmenté mais droit, une Wonder Woman aimante, un J'onn J'onzz tout à fait curieux, un Flash presque adolescent, un Green Lantern vindicateur, une Hawkgirl tout à fait guerrière et enfin un Batman intentionnellement en retrait, qui fait usage de son arme la plus terrible : son fameux humour à froid. Des personnages et des archétypes qu'on connait bien mais qui sont transcendés dans des arcs narratifs finalement très adultes et complexes, permis par une structure pensée en amont par les créateurs du show, qui étaient désireux de voir leurs histoires se poursuivre sur deux ou trois épisodes, là où ils devaient souvent les boucler dans un unique opus à l'époque de Batman : The Animated Series.
Je pourrais parler des jours entiers de mes souvenirs à l'égard de la série Justice League. Mais à l'heure où DC semble pédaler dans la semoule au cinéma - heureusement l'univers reprend quelques couleurs grâce aux comics, son corps de métier - il convient de célébrer le génie d'un show animé qui vient tout juste de célébrer ses 15 bougies. Pour moi, il représentera toujours la grandiloquence (dans le sens le plus positif du terme) et la puissance de l'univers aux deux lettres, mais aussi son étendue (et encore plus dans les saison 3 et 4 de la série, connues sous le nom de Justice League Unlimited) ou encore la richesse de ses personnages. Des héros qui ont pour moi rencontré leur "definitive version" il y a quinze ans de cela avec cette série qui non seulement fait honneur à son univers, mais nous propose aussi un angle de vue optimiste et plein d'espoir sur notre monde. Une approche qui se devinait au premier coup d'œil jeté à l'équipe, et qui se poursuivait d'ailleurs dès les premiers épisodes de la série, qui voyaient le monde entier s'unir face à une invasion extra-terrestre.