Il y a trois ans maintenant sortait La Grande Aventure Lego (The Lego Movie) sur nos écrans. Un coup de génie de la part du fabricant danois, qui en s'associant avec Warner Bros et les excellents Phil Lord et Chris Miller (21 Jump Street), réussissait à affirmer ses valeurs à l'heure où les ensembles sous licence envahissent toujours plus les rayons. Un succès critique couronné d'une réussite économique, puisque le métrage n'a fait qu'augmenter la notoriété de Lego, qui est désormais l'une des marques les plus connues du monde, et le premier fabricant de jouets sur notre belle planète. Comme quoi le message envoyé par le film de Lord et Miller, qui entre deux caméos de grosses licences, nous invitait au partage et à la créativité, était le bon. Ce message, justement, on aurait pu penser qu'il serait vite balayé par les annonces successives d'une suite, d'un spin-off consacré à la licence Ninjago mais surtout d'un film entièrement consacré à la version en briques de plastique du chevalier noir, qui sentait déjà très fort l'exploitation pure et simple d'une licence adorée de tous.
Mais en trois ans, il s'en est passé des choses. L'univers partagé de DC a fait ses débuts au cinéma. Ben Affleck est devenu le visage de Batman. Et l'éditeur aux deux lettres s'est lancé dans un nouveau relaunch du côté des comics shops. DC est assurément en quête de sa gloire passée, ou du moins, d'une image positive, pleine "d'optimisme et d'espoir", comme le rappelait le scénariste Geoff Johns l'année dernière. Et c'est ce contexte qui va donner à The Lego Batman Movie une substance inattendue. Car disons-le tout de suite, si le métrage n'a pas la profondeur de son aîné, il résonnera particulièrement chez les fans de DC, et même chez tous les amateurs de comics en général, eux qui ont appris à partager leur culture, devrais-je dire leurs jouets, avec le reste du monde suite à l'écrasante supériorité de ce qu'on appelle désormais les CBM, ou Comic Book Movies.
Voyez-vous, The Lego Batman Movie n'est pas un CBM comme les autres. Et pourtant, il commence comme le meilleur d'entre-eux. Un team-up dantesque de vilains, mené par un Joker hilarant incarné par Zack Galifianakis, s'en prend à la centrale électrique de Gotham. Un déluge de références - aux antagonistes les plus loufoques de Batman notamment - vient alors flatter les plus connaisseurs d'entre vous, tandis que le public le moins averti est forcé de rire aux éclats devant des méchants ridicules comme Condiment King. S'en suit une scène d'action spectaculaire, où notre croisé en briques fait montre de ses talents martiaux et musicaux grâce à l'épatante animation d'Animal Logic et la réalisation hyper-dynamique de Chris McKay. Plus de doutes possibles : nous sommes montés dans le plus fou des grands-huit.
Ce sera d'ailleurs l'un des seuls défauts du film : ses premières minutes étant parfaites, on arrive très, mais alors très vite dans une intrigue principale qu'on espère au moins aussi explosive, variée et amusante que l'introduction. Hélas, le film se contente de rester fidèle à sa proposition de départ : un team-up de vilains à défaire pour Batman et ses amis, bien que les deux camps augmentent en nombre et en folie au fil de la pellicule. Là où The Lego Movie ralentissait parfois le rythme pour mieux appuyer le sous-texte de Lord et Miller, son spin-off consacré à Batman avance ainsi à la cadence d'une guitare électrique saturée : Chris Mckay a assurément peur du ventre mou - pas étonnant, puisqu'il ne cesse de nous parler des abdos de Batman - et conçoit son film comme une gigantesque attraction, qui nous arrose de gags, de références et d'action.
Un cadence qui finit par peser sur le spectateur, mais jamais sur le film. Certes, même Flash aurait du mal à suivre, mais le scénario imaginé par Seth Grahame-Smith, anciennement attaché au film The Flash d'ailleurs, dispose d'assez d'inventivité et de folie pour nous surprendre à chaque scène. Il faut dire que l'équipe créative a tout l'univers DC à sa disposition - et plus encore - et compte bien s'en servir. Dans son humour méta, le film se montre d'ailleurs plutôt généreux, en proposant assez de références pointues pour une avalanche de passages un peu obligés : on pense notamment aux nombreux gags basés sur le Batman des années 1960, générateur de gags inépuisable. Personne ne devrait donc se sentir floué par l'approche de McKay et de ses scénaristes. D'autant qu'ils proposent un regard assez frais sur l'univers de Batman, et DC en général.
Comme The Lego Movie avant lui, le spin-off vous propose en effet de passer un contrat tacite avec la marque qui donne son nom au film. Dans le film de Lord et Miller, on acceptait de troquer notre amour des licences contre la simple mais pure créativité, en devenant des master builders. Dans celui de McKay, on apprend à rire de Batman, de ses paradoxes et de son univers plus grand que nature. Et en nous poussant vers cette dédramatisation, le réalisateur nous place face à notre amour souvent démesuré et parfois maladif même, de Batman. Une approche qui nous ramène à nos plus jeunes années, à notre découverte du personnage, et qui provoque une sincère et vive émotion chez le spectateur.
Et justement, ne reconnait-on pas un grand film d'animation à sa capacité à transformer les adultes voire les parents en enfants, et les enfants en adultes, eux qui en apprennent plus en assistant aux aventures de leurs personnages préférés ? On vous laisse libre de juger les métrages animés comme vous l'entendez. Mais si vous partagez cet avis, vous n'aurez aucun mal à trouver ce Lego Batman au mieux excellent, au pire rafraîchissant. Intelligent et varié dans son humour, inspiré du côté de son casting vocal - on vous recommande évidemment la V.O - et plus fin qu'il n'y paraît dans son approche du matériau de base, aussi bien tourné au ridicule que vénéré avec sincérité, le travail de Chris McKay et de ses scénaristes force le respect.
D'autant que le métrage réussit l'exploit, malgré son focus sur Batman et l'univers DC au sens large, de proposer presque autant de références à la marque Lego que son aîné. Tout dans l'animation, le choix des briques utilisées et le design des personnages et autres véhicules transpire l'amour pour la marque danoise. Jusqu'à la résolution du troisième acte, tout droit tirée d'un geste que tous les enfants ayant grandi avec des Lego ont un jour commis. Et en ce sens, le film n'oublie pas les valeurs et les souvenirs qu'on associe au fabricant, qui est plus que jamais un moteur à bonnes histoires. Celles qu'inventent des malades comme McKay, Lord et Miller, mais surtout celles que vous vous racontiez en jouant, et celles que se raconteront vos enfants en héritant de vos ensembles les plus chers.
Bien plus qu'une exploitation bête et méchante de la hype super-héroïque et de l'univers du chevalier noir mais un peu moins que la lettre d'amour à la créativité qu'était son aîné, The Lego Batman Movie s'impose toutefois comme un excellent film d'animation, qui parlera aux petits, aux grands, aux fans comme aux sceptiques, aux constructeurs mais aussi aux cinéphiles. En ce sens, le pari est tenu, et la folie de Chris McKay et du scénariste Seth Grahame-Smith fait le reste en nous mettant face à notre amour parfois presque maladif du personnage. On pensait que la team Lord et Miller se casserait les dents sur un métrage qui allait devoir gérer les licences Lego et Batman, mais une fois de plus, les deux lurons et leur entourage nous prouvent qu'ils sont insubmersibles, même dans un paysage hollywoodien des plus houleux. A ne pas manquer !