Dans deux jours, et même dès demain soir pour ceux qui auront la chance de découvrir le film en avant-première, Logan sera sur nos écrans. Dernier chapitre de la saga Wolverine et immense au revoir à un rôle que Hugh Jackman a tenu pendant 17 ans, le film de James Mangold symbolise aussi autre chose : le célèbre adage anglo-saxon selon lequel "less is more" qui n'a pas de parfait équivalent français mais qui en gros, nous explique que plus la chose est légère, plus elle est pertinente. Une maxime qu'on aimerait savoir dans la tête de tous les réalisateur de Comic Book Movies - comme on les appelle désormais - à l'heure où nombreux sont les réalisateurs, artistes et spectateurs à se poser des questions sur l'avenir du genre.
Mais n'ayez crainte, ce n'est pas parce que j'utilise Logan comme exemple principal que je révélerai ici les tenants et aboutissants du métrage. C'est plutôt sa construction et ses choix qui m'intéressent aujourd'hui, aussi êtes-vous à l'abri des spoilers. Mais revenons à nos gloutons. Comme vous avez pu le comprendre au regard des deux bandes-annonce du film, Logan est un film X-Men et Wolverine dépouillé et humain, qui s'intéresse avant tout à la famille composée par Hugh Jackman en griffu, Sir Patrick Stewart en Charles Xavier et Dafne Keen en X-23. Le tout, dans une sorte de road movie qui n'est effectivement pas sans rappeler Little Miss Sunshine, comme Mangold l'a souvent souligné lui-même.
Pourtant, son dernier film n'a jamais le goût d'une recette toute prête. Son sujet, ses thèmes et sa construction ne sont pas dirigés par l'idée de faire un "road movie familial avec Wolverine dedans". Une approche qui est plus ou moins celle de Marvel Studios, que je respecte, mais qui trop souvent, part d'un genre et de ses codes pour construire une histoire. Par exemple, Ant-Man est un film de braquage, Captain America : Winter Soldier un thriller politique, etc. Et cela permet aux métrages de l'écurie Feige de s'assurer un minimum de qualité et une première orientation créative, c'est certain, mais la technique se transforme parfois en une cage qui finit par contraindre le film, voire l'étouffer.
Or, Logan s'approprie les codes qui l'inspirent au lieu de les appliquer. Et ça fait toute la différence dans le film de Mangold, où la forme et le fond sont globalement indissociables. Ce qui conduit d'ailleurs ce Wolverine à toujours sonner juste, dans ses foisonnements de violence comme dans ses moments les plus intimes, pour un résultat impressionnant, du moins à mon sens. Et pourtant, la ligne qui sépare Logan des films de Marvel Studios ou même de Warner Bros est très fine. Simplement, on ressent à chaque scène et presque à chaque plan que tout a été pesé, mesuré, jugé. Un travail d'orfèvre pour une histoire pourtant simple et racontée à l'échelle humaine.
Une autre des qualités de Logan est en effet de rester, même si on frôle par moments le pur spectacle, très terre à terre. Et encore une fois, tout semble avoir été réfléchi à l'avance : quel mutant utiliser ? Dans quel décor ? Comment représenter ses pouvoirs ? Pourquoi ce personnage à ce moment précis ? Et surtout, qu'est-ce que cet ajout va apporter au récit ? Loin des doses de références assommantes qui font les beaux jours de la concurrence - et de Deadpool d'ailleurs - Logan se contente de peu et rend par conséquent le moindre clin d'œil plus charmant. Prenons pour exemple la référence la plus utilisée du film, le western classique Shane (sorti en 1953), dont l'utilisation change au fil de la pellicule, comme si Logan s’appropriait la citation, là où sa concurrence se serait contenté de la prononcer.
L'approche de James Mangold, visiblement soutenu à 100% par son studio - c'est assez rare pour être souligné - force ainsi le respect et nous pousse même à accepter certains choix plus forts que d'autres. Un exemple tout bête : les sauts câblés qui nous gênaient tant dans les trailers du film finissent par être cohérents avec le récit développé, et on reconnaît volontiers qu'un Wolverine numérique aurait assurément juré avec le reste du métrage.
A l'heure où nombreux sont ceux qui réfléchissent aux évolutions des Comic Book Movies, à leur suprématie et l'élaboration progressive de leurs propres codes, il convient aussi de noter que Logan évite de tomber dans des travers bien connus pour pleinement tenir sa promesse. Dans le film de Mangold, les personnages sont ainsi vulnérables. Les barrières plus résistantes qu'il n'y paraît et même les batteries de téléphone subissent les défauts qui les atteignent dans notre monde. Et avec subtilité et minimalisme, le réalisateur et son équipe finissent par imposer une diégèse finalement très réaliste et en tous cas crédible : un cadre parfait pour l'histoire qui encore une fois, se veut simple et humaine. Des efforts qu'on avait pu voir dans d'autres films de la concurrence, mais qui avait toujours fini gâchés par l'un des deux types de troisième acte les plus en vogue: la Faceless Army (Age of Ultron, c'est toi que je vise) ou le Giant Laser Beam (Man of Steel, Fantastic Four, Suicide Squad), qui ne contaminent heureusement pas Logan.
Pour tenir la promesse à l'origine de leur film et sans pouvoir recourir à ses archétypes, James Mangold, Hugh Jackman et la Fox ont donc dû se creuser les méninges. Et même lorsque les scènes, les dialogues ou les rebondissements ne sont pas parfaits, on sent qu'ils ont été bossés, peu importe ce qui (ou ceux qui) se trouve(nt) dans le cadre. Une forme de respect à l'égard de l'idée de base et du spectateur, qui se sentira assurément plus choyé que dans les productions super-héroïques récentes, qui insistaient surtout sur des résolutions à grands coups d'effets spéciaux ou de fonds verts, à quelques exceptions près.
En étant un peu optimistes, on pourrait en effet affirmer qu'un vent de changement souffle déjà sur les productions super-héroïques. Le final de Doctor Strange et son fameux "I've come to bargain" étaient par exemple une audacieuse manière de conclure le film de Scott Derrickson. Si elle n'avait pas été sacrifiée au montage, la première partie de Suicide Squad, sensée nous faire ressentir de l'empathie pour les vilains maltraités de la prison de Belle Reve, aurait aussi apporter une dimension plus intimiste et complexe au métrage. Et plus récemment, l'arrivée de Drew Goddard et de Joe Carnahan sur l'univers cinématographique X-Men nous prouve que la Fox veut banquer sur des films adultes - d'après leur classification dans les salles en tous cas - et mieux construits. Ce qui n'empêchera pas le studio de lancer deux nouveaux films d'équipe sur les mutants les plus connus, mais à la rigueur, tant que tout le monde y trouve son compte, pourquoi pas ?
Apparu en 1979, le concept de Décroissance, incite les peuples du monde entier à revoir leurs objectifs, en ne plaçant plus l'envie de grossir, économiquement, devant tout le reste. Et en choisissant de rester intime, humain et terre à terre pour Logan, James Mangold offre au cinéma adapté de comic books un équivalant artistique au concept de Décroissance. En revoyant leurs objectifs et leurs habitudes pour Logan, le réalisateur et la Fox sont sortis des sentiers battus et par conséquent des critiques habituellement faites au genre, pour mieux surprendre et séduire. Et à en croire les premiers retours de nos confrères et le succès de Deadpool - sans qui rien n'aurait été possible - l'année dernière, cette approche qui contourne les bonnes comme les mauvaises habitudes des Comic Book Movies reste une affaire particulièrement lucrative. Alors si comme toujours, l'industrie doit copier une stratégie à succès pour aller de l'avant, on espère vivement que son choix se portera sur celle de Logan, à découvrir dès le mercredi premier mars dans les salles.