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Captain America est-il un personnage de propagande ?

Captain America est-il un personnage de propagande ?

chronique

Alors que les Etats-Unis vivent des heures assez sombres, l'une des figures les plus connues de leur culture populaire en prend plein la tronche. En tous cas, on connaît quelques réalisateurs qui profitent de leur exposition pour tirer, parfois à boulets rouges, sur Steve Rogers, alias Captain America

C'était le cas du français Luc Besson, qui déclarait il y a peu, à propos des films mettant en scène l'alter-ego de Chris Evans, qu'ils étaient "là pour montrer la suprématie de l'Amérique et à quel point ils sont super. Enfin, quel pays dans le monde aurait le cran d'appeler un film Captain Brésil ou Captain France ? Personne ! On aurait honte et on se dirait qu'on ne peut pas faire ça. Mais eux ils peuvent. Ils peuvent appeler un film Captain American et tout le monde trouve ça normal. Je ne suis pas là pour la propagande, je suis là pour raconter une histoire."

Mais notre Besson national n'est pas le seul à donner de la voix contre la figure de Captain America. John McTiernan exposait lui aussi ses griefs envers le personnage et les films de super-héros l'été dernier, lords d'un passage à Nantes : "Il y a de l’action mais pas d’êtres humains, ce sont des films faits par des fascistes. Ils font croire à tous les gamins de la planète qu’ils ne seront jamais assez importants pour qu’on fasse un scénario de leur vie (…) Captain America, sans rire… Le culte de l'hyper-masculinité américaine est l’une des pires choses qui soient arrivées au monde durant les cinquante dernières années. Des centaines de milliers de personnes sont mortes à cause de cette illusion débile. Donc comment est-il possible de regarder un film qui s’appelle Captain America ?"


Des déclarations plutôt hostiles à Captain America et son univers, qui virent parfois à l'hypocrisie, tant le cinéma de Besson ou McTiernan - j'apprécie pourtant les deux, pour ceux qui se poseraient la question - peuvent aussi se montrer problématiques : côté hyper-masculinité, Die Hard et Predator se posent là, par exemple. Mais à la rigueur, je n'ai pas pris mon clavier pour comparer les filmographies et les torts de plusieurs réalisateurs. Simplement, les mots de Besson et de McTiernan m'ont renvoyé à une question toute simple : Captain America est-il vraiment un personnage de propagande ? 

Si on devait se baser sur sa première apparition au début des années 1940, la réponse serait oui. A l'heure où nous fêtons le centenaire de la naissance de Jack Kirby, il est de bon ton de rappeler que le King of Comics et son confrère Joe Simon ont créé le héros pour inciter les (jeunes) américains à ne pas fermer les yeux sur les horreurs de la seconde guerre mondiale, dans laquelle les Etats-Unis ne sont pas encore impliqués. Fondamentalement, Captain America était donc un outil de propagande comme un autre, à l'heure où les comic books, de manière générale, étaient d'ailleurs un excellent moyen de toucher des millions de jeunes lecteurs, ceux-là même qui partiront sur les fronts de l'Europe et du Pacifique quelques mois plus tard. Il ne m'appartient pas de juger la pertinence ou la légitimité de l'opération, mais c'est factuel : Captain America est - ou plutôt - était un symbole qui rappellait les américains à leur patriotisme, voire à leur nationalisme.


Mais à la rigueur, lorsque Besson et McTiernan parlent du personnage, ils ne pensent sans doute pas à sa première apparition dans Captain America Comics #1, mais plutôt dans le Marvel Cinematic Universe, qui l'introduisait dans The First Avenger, de Joe Johnston. Et en l'occurrence, l'arc narratif du héros, tel que présenté par sa trilogie de films, ne pourrait être plus éloigné de l'idée de la propagande. Qu'on aime ou non le travail de l'écurie Marvel Studios, il faut même lui reconnaître une vraie intelligence dans le traitement d'un personnage, qui peut très vite virer à la polémique, comme nous l'a rappelé l'année dernière le "Hail Hydra" placé dans la bouche de Steve Rogers.

Revenons à The First Avenger. Le premier film de la trilogie de Captain America, qui est d'ailleurs intégralement écrit par les scénariste Christopher Markus et Stephen McFeely - ils ne sont sans doute pas pour rien dans le succès de ce trio de métrages - voit Steve Rogers prendre petit à petit conscience de son statut de héros de propagande. Comme si le personnage des comics des années 1940 sortait d'une planche pour aller combattre à la place des jeunes lecteurs qu'il incite à partir au combat. Une approche assez brillante, quand on y pense, et d'autant plus que le film de Joe Johnston aurait très bien pu se contenter de l'origin story d'un super-soldat. Mais non, First Avenger va plus loin et nous montre comment Steve Rogers entend transcander son statut de symbole et d'outil de propagande pour accomplir de grandes choses. Et si c'est un peu naïf, on nous explique que ce n'est pas le sur-homme qui fait Captain America, mais bien le petit kid de Brooklyn qui fait le héros.


Dans The Winter Soldier, les scénaristes que sont Markus et McFeely poursuivaient d'ailleurs cette idée, en séparant une nouvelle fois le symbole de son pays lorsque Captain America se rendait compte qu'il obéissait à une agence gouvernementale corrompue et contrôlée par des néo-nazis - une trouvaille incongrue en 2014 mais qui a hélas fait du chemin depuis. Cette fois, Captain America alertait le monde entier sur le côté (très) obscur de la fameuse War on Terror et la surveillance de masse, qui en est l'arme la plus dangereuse. A nouveau, on est loin du tableau propagandiste dépeint par Besson et McTiernan : le personnage s'opppose à ses supérieurs et à l'agence gouvernementale la plus importante de l'univers Marvel. Et même si la présence de l'Hydra brouille un peu les pistes et simplifie à l'extrême un sujet très complexe, elle n'annule pas pour autant l'arc narratif de Captain America, qui fait une fois de plus un pas de côté en préférant défendre le peuple américain et non les agences qui justement, sont sensées le protéger.

Un choix qui s'est renforcé à la sortie de Civil War l'année dernière, puisqu'on y voit le personnage divorcer, non seulement avec son pays, mais aussi le monde entier. Bien entendu, il ne compte pas laisser les innocents souffrir pour autant : Steve Rogers reste un héros. Mais il préfère le faire sans passer par les agendas, comme il le dit si bien, d'organisations et de gouvernements. En ce sens, le héros perpétue un mythe américain, celui du rebelle qui s'oppose à l'empire. Point d'anglais à affronter cette fois, mais bien un empire d'organisations rongées par la bureaucratie, ou pire, la corruption. Mais l'idée est la même : un groupe déterminé pourra toujours tenir tête à l'impérialisme. Qu'il soit américain ou non d'ailleurs ! En termes de propagande, on a connu des figures plus inflexibles et moins rongées par le doute.


Et c'est là toute la beauté de l'arc narratif de Captain America dans le cadre du Marvel Cinematic Universe. Marvel Studios n'a jamais eu peur de renommer le personnage ou de changer son histoire. Mais les scénariste de l'écurie Feige ont pris soin d'instaurer une distance entre Steve Rogers et son pays natal pour mieux interroger le public sur la réalité des Etats-Unis, d'abord, et pour faire renaître une mythologie typiquement américaine, celle du renégat, ensuite. S'il on devait qualifier ce Captain America-là de propagande, on serait donc dans le faux. Il suffit de (re)voir les trois films mettant en scène Chris Evans pour comprendre que Captain America n'est plus un outil de propagande, mais plutôt un lanceur d'alerte. Un titre qui en 2017, est peut-être synonyme de patriotisme, mais ne sera jamais synonyme de propagande. 

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