La question revient souvent : case par case ou vision novatrice, quand vient le temps d'adapter ? Ce genre de dilemmes se font au cas par cas, et pour cette seconde saison de Preacher, on est en droit de se le redemander. Difficile d'accepter renoncer à la lecture (très) différente proposée par Seth Rogen et ses acolytes Sam Caitlin et Evan Goldberg, même si, au cumul, elle amène avec elle une couche d'imperfections absente du chef d'oeuvre de Garth Ennis et Steve Dillon, l'histoire d'un prêtre lancé avec son buddy vampire et son ex sur les routes d'Amérique en quête de réponses, de whisky, et de Dieu.
Cette deuxième saison reprend avec un entrain que la première mettait plus de temps à trouver. Tout de suite lancée sur la piste d'un road movie qui finira par se stabiliser rapidement, l'entente et les dialogues proposés par le trio de personnages principaux fonctionne avec justesse. Le ciment de cette saison sera d'ailleurs l'interprétation de Josh Gilgun en Cassidy, impeccable, touchant, drôle et à ce point proche de l'écriture d'Ennis dans sa posture d'Irlandais alcoolo' avec pas mal de profondeur. Son arc est le plus abouti des trois personnages principaux, et l'acteur réussit à osciller entre la déconne (troquant son obsession pour le Big Lebowski contre un complot de prépuce lacté hilarant) et de vrais beaux moments dramatiques.
De façon générale, les acteurs sont souvent bien dirigés, quoi que Dominic Cooper compose parfois avec un rôle de personnage paumé qu'il ne semble lui-même pas toujours bien appréhender. Ruth Negga est elle aussi irréprochable, et le Herr Starr de Pip Torrens est sans doute la déclinaison la plus parfaite qu'on pouvait espérer, extraordinaire dans sa posture de salaud impitoyable et déviant qui reflète le mieux l'amour des auteurs pour le matériau de base. C'est dans cette capacité à faire rire avec des figures absurdes teintées d'humanités qu'on retrouve l'authenticité de la BD, derrière les nombreux écarts narratifs.
La série est aussi riche de moments d'expérimentations, s'autorisant au moins une idée par épisode dans les choix de structure narrative et de composition des plans. Si tout n'accroche pas l'oeil avec la même capacité, l'aspect "fausse piste" développé dans la première saison se retrouve ici par une envie de renverser ou de perdre le spectateur avec adresse - l'épisode des âmes, par exemple, fonctionne complètement sur cette idée, en plus de développer en fil rouge un microcosme dans le monde "réel" de Preacher sur tout un underground mystique et religieux bien trouvé.
Le fonctionnement de l'enfer donne lieu à un joli boulot de montage, en plus d'être une peinture plutôt marrante du concept, ultra humanisée ramenée à un au-delà administratif. Idem pour le segment Ganesh, où les équipes poussent des idées plutôt simples à l'excellence avec un montage mis à bon escient.
Rogen surprend dans cette posture de réalisateur à la hauteur de ce qui se fait dans la télévision moderne, étonnamment plus exigeant qu'avec ses comédies d'équipe au cinéma. Le boulot est bien fait, référencé (on avait pas mal parlé de Tarantino dans la première saison, ici deux trois hommages continuent de passer par le géant, assez évidents, on peut aussi citer Las Vegas Parano) et bon dans la capacité à structurer des ambiances, servis par des choix de musiques variés et apposés à des training montage saccadés hyper ludiques.
Problème, AMC semble avoir serré les boulons du budget, et les équipes doivent hésiter entre les moments où il est nécessaire de faire chauffer la carte et des efforts moins grands à d'autres. Là-encore, l'exemple de l'enfer : une photographie baveuse, des décors rudimentaires où les fonds verts ne font pas le boulot, et le défaut principal, s'y attarder trop quand les idées artistiques mériteraient qu'on y passe moins de temps. Peut-être la faute à un trop plein d'épisodes.
Parce que si la série n'est pas votre random AMC production, on se heurte pourtant à une méthode de création labellisée : le rythme chancelle souvent (avec des bosses un peu partout), une attention prêtée à des personnages secondaires superflus, une esthétique qui peine parfois et un développement en dents de scie. La saison démarre fort par des moments impressionnants puis passe sur une routine d'épisodes moins axés sur le développement des faits et plus celui des personnages, tout en se permettant autant de moments de génies, mais dans un registre plus tranquille, voire parfois assez lent.
L'écriture est aussi à certains moments moins évidente à cerner - difficile de savoir si la série rit d'elle même ou ne fait qu'amorcer un énorme pay off ironique avec le personnage d'Hitler par exemple, beaucoup trop long ou appuyé et pas forcément clair dans ses intentions (ni vraiment pertinent), ou d'une manière générale la rédemption d'Arseface qui donne surtout l'impression d'avoir été posée là pour offrir des scènes de coupes et densifier les points de vues.
Finalement, Preacher se regarde comme un boulot de fans créatifs. On retrouve des moments plans par plans de cases de comics, en surimpression d'une autre histoire, ou d'une histoire lue différemment. Ce qui peut dérouter les fans (parce que le matériau de base aurait pu se prêter à quelque chose de plus fidèle), ou offrir un complément vraiment ingénieux à l'oeuvre d'origine, voire mieux, une bonne série TV.
A l'ombre des commandes façon Inhumans ou même des adaptations foireuses de bons comics indé' comme Lucifer ou iZombie, Preacher renoue en quelque sorte avec l'esprit de Vertigo ou de l'édition indépendante en générale : autoriser un auteur (ou trois) à faire son propre truc dans son coin. Rien n'est violé par rapport à l'esprit qu'Ennis et Dillon mettaient dans leur bébé, la série est bien réalisée, les acteurs sont bons et immédiatement attachants et certains épisodes sont d'authentiques moments de plaisir.