Comme quoi, l'équilibre est parfois précaire quand un éditeur sort un peu trop de bonnes séries. God Complex #1, création de Paul Jenkins avec Hendry Prasetya et Jessica Kholinne aux dessins et aux couleurs, est un essai de science-fiction cyberpunk matinée de religion, une sorte de Deus Ex bâtie sur des modèles esthétiques japonais. Ce n'était pas vraiment extraordinaire, mais ce qui est bien, c'est qu'on voit vite pourquoi. La série part apparemment du principe d'adapter une ligne de jouets représentant des dieux cybernétiques dominant notre monde. Comme quoi, le pitch n'était pourtant pas si mal.

L'ouverture porte le regard du lecteur sur le personnage de Seneca, inspecteur dans la cité de Delphi, un genre d'avatar de la ville futuriste de votre choix dans une société fictive bâtie sur un conflit religieux. D'un côté, l'église de la Trinité (pas celle-là mais une autre) et la caste des Rulers, sortes d'hybrides transhumains encore bien mystérieux avec des noms de divinités grecques. Jenkins semble tenir à son analogie sur le monde antique - si on traduit les noms propres, on tombe sur Sénèque et Delphes - et à l'idée de donner aussi peu de détails que possible sur le contexte qu'il établit (ou n'établit pas) - puisque : pourquoi s'en faire, en définitive c'est plus simple de bazarder l'excuse d'une société à ce point peu définie qu'elle évoque la notre, faute d'autre point d'ancrage.
Problème, tout se résume à ça. Le scénariste ne crée pas un monde original, ne prend pas de point de vue sur les questions transhumanistes, sur la surveillance, le big data, les 1%, tout ce qui est abordé dans ce numéro, qui n'a en définitive aucune personnalité. On se trouve devant une oeuvre qui colle des bouts de réel à des bouts d'autres œuvres - ce que fait souvent la science-fiction, mais avec l'effort minimum de trouver une accroche innovante. Même dans des oeuvres qui se cherchent. Ici, cette sorte de scénario clés en mains évoque tout et rien à la fois, en plus d'être mal introduit (parce que, la flemme), de ne pas se poser de questions de contexte et d'être en fait une mauvaise entrée en matière.
Rien qui ne puisse être corrigé dans un second numéro sans doute excellent - dans le cas contraire, on ne s'explique pas l'intérêt d'Image à publier quelque chose de si automatique, à moins qu'ils ne touchent des royalties sur les figurines originales. L'esthétique portera aussi à débat, quoique la chose soit forcément plus subjective. Dans des touches de violet et un ancrage parfois épais, on retrouve des influences japonaises dans les designs ou le masque d'Hermes, mais l'ensemble reste assez froid et on peine une fois de plus à voir ce qui distingue ce monde pourpre de notre monde gris.
Peut-être que le propos est là, à l'image de Mr. Robot, de trouver tellement d'accents cyberpunks à notre monde que la parabole demande à ce point de faire peu d'efforts. Sans prise de parti claire et avec pour seule originalité de représenter le data comme une dimension physique à part entière (et encore, Black Mirror était là avant), on se demande ce que la série met sur la table, exception faite de remplir une case dans un tableur d'éditeur en mal de projets innovants. Les Rulers auraient pu être l'argument de vente, s'ils ne se présentaient pas au final, comme un gros agglomérat de Matrix, La Trilogie Nikopol, et allez, on va être sympas et ne pas mentionner Stargate comme une influence probable. Parce que, tout ne se fait pas.
God Complex #1 n'est pas une déception, compte tenue des dernières productions de Paul Jenkins, mais pas non plus un achat indispensable ou utile à votre pile pour le moment. Si aucune série n'est à enterrer avant la parution du numéro final, on vous conseille d'attendre celui-là pour feuilleter l'ensemble, mais pas forcément de gâcher le temps (rapide !) de lecture de cette entrée en matière, loin d'être alléchante, surprenante ou de se mettre à niveau par rapport à ce que le comics peut offrir en terme de vision futuriste du monde à l'heure actuelle. Et puis c'est tout.