Le cinéma a envahi les comics, à moins que ce ne soient les comics qui aient envahi le cinéma. L'un dans l'autre, si on parle énormément de réalisateurs, de producteurs, de scénaristes et d'interprètes depuis quelques années, on aurait tort d'oublier le medium d'origine, vecteur de bien des idées aujourd'hui reprises par notre bon septième art.
En comics, par exemple, ce ne sont pas les héros DC Comics qui marchent dans les pas de Marvel pour s'assembler et former une équipe, appelés par le chant tentateur des pétro-dollars de Disney. La proposition est inversée si on regarde de près l'histoire des deux équipes, la Justice League et sa grande sœur plus âgée ayant précédé de beaucoup l'assemblage des Vengeurs, et posé un précédent qui resservira ensuite à toute l'industrie.
On va donc parler de vieilles BD, de vieux héros et d'auteurs oubliés dans un diptyque vous présentant l'origine éditoriale de la première des équipes dans les manuels d'histoire, entre 1940 et 1960 - histoire que vous soyez prêts à coucher tous vos potes sur de folles anecdotes dans les dîners mondains ou à la sortie de projection du Justice League de Snyder et Whedon !
Dans les années 1930, l'âge des comics, les thèmes, les personnages, les codes n'existent pas encore. Tout reste à écrire, et en parallèle des premières publications Timely, le major Malcolm Wheeler-Nicholson, un entrepreneur du pulp et du comic strip, lance en 1935 le magazine New Fun : The Big Comic Magazine, une publication qui allait plus loin en terme de taille, de contenu et d'agencement publicitaire que tous les tabloids des années précédentes.
C'est sur New Fun que Jerry Siegel et Joe Shuster se feront la main avec le Dr Occult (Richard de son prénom), et c'est pour publier ce magazine que Wheeler formera la National Allied Publications. En 1937, il fondera une autre parution historique, Detective Comics, dont le numéro #27 devait accueillir deux années plus tard les aventures d'une certaine chauve-souris.
L'heure est alors à l'éclatement des séries. Superman est arrivé, révélant au marché l'appel d'air formé par des millions de gamins avec quinze cents en poche, qui ne demandent qu'à accueillir les publications de ce genre nouveau qu'est le super-héros. Une folie d'édition donne lieu à tout un tas de magazines éparpillés, parmi lesquels l'immense Max Gaines (plus tard fondateur de la controversée EC Comics) crée All-American, une société parallèle où verront le jour une série de petits noms tels que Green Lantern ou Wonder Woman.
L'histoire est en marche, les sociétés accordent leurs violons entre inspirations, plagiats et thèmes clés, et avant que la première bombe ne s'écrase sur les porte-avions de Pearl Harbour, le super-héros est là, porteur des fières valeurs d'une Amérique naïve en quête d'idéal.
A l'été 1940, All-American et National s'associent sur l'idée d'une publication trimestrielle où chacun ramène ses têtes d'affiches. D'un côté, le Flash, Hawkman, Ultra-Man et consorts, et de l'autre, le Sandman du Golden Age, Hour-Man et le Spectre. L'idée est de publier une anthologie de reprints des grands héros pour proposer au lecteur à boire et à manger, en une seule publication au contenu gargantuesque pour l'époque.
Les scénarios sont encore simplistes - on s'adresse à des enfants - mais l'éditeur Sheldon Mayer, un vétéran de National qui aura accompagné Wheeler dès la fondation de la société - et découvert Siegel & Shuster après que la presse leur ait maintes fois claqué la porte au nez - n'interdit pas l'innovation. Il va fomenter avec le scénariste Gardner Fox une idée à l'époque inédite : puisque All-Star est elle-même une entreprise inter-éditeurs, pourquoi ne pas proposer un titre inter-héros ? La Justice Society est présentée dès le troisième numéro, à l'hiver 1940.
On retrouve à l'époque des concepts - extrêmement - basiques. L'écriture de groupe n'existe pas encore au sein des super-héros, tout juste cantonnés à interagir avec un sidekick pour rythmer une narration parfois aux fraises. Alors, on donne un point de départ et une conclusion à chaque numéro, et dans l'intervalle des péripéties, chacun des personnages part de son côté affronter la menace d'ensemble à son petit niveau.
Une narration sélective qui met chacun des personnages en vedette, mais ne pense pas encore la Society comme un ensemble groupé et plus comme différentes vedettes du genre tapant sur le même ennemi à différents endroits. On parle à l'époque de vils gredins, d'extra-terrestres belliqueux, de kangourous (oui) et autres fantaisies propres à l'époque, l'apocalypse n'est pas encore à l'ordre du jour et les ruptures de réalité non plus - le titre reste un pur produit de son temps.
En 1945, un conflit éclate entre National et All-American. C'est à cette date que le plus fort des deux rachète l'autre, et se compose avec Detective Comics rassemblé sous la même bannière un trio de front qui formera le gros des publications DC Comics. Finalement, c'est à travers la série All-Star Comics que les deux compagnies se sont approchées à l'époque, et à travers la Justice Society qu'elles sont devenus indissociables - en somme, difficile d'imaginer le DC moderne sans cette énorme première pierre.
Dans les faits d'armes notables de la série, on ne peut évidemment passer sous silence l'introduction de Wonder Woman par le professeur William Moulton Marston au huitième numéro - un fait d'ampleur, qui se suivra par l'introduction de l'héroïne dans les rangs de la Society presque immédiatement. Avec le temps, Gardner Fox cède la main à d'autre scénaristes, dont John Broome ou Robert Kanigher, qui devront faire face à un nombre de pages réduit et repenseront la narration pour faire agir de concert l'équipe de héros.
On entre enfin vers l'esprit de collectif qui fera le sel des publications inter-personnages dans toute l'histoire de la BD, tandis que Kanigher posera de son côté d'autres concepts - comme l'Injustice Society, fameux miroir déformant de l'équipe d'origine, ou Black Canary déjà apparue dans Flash, et intégrée à l'équipe au numéro #41, devenant ainsi le second membre féminin de la Society qui fera elle-aussi date à un moindre niveau.
On peut s'amuser de constater l'absence notable de Batman et Superman dans les rangs des aventures traditionnelles de la Society, cantonnée à des têtes d'affiches célèbres (pour l'époque), mais loin du raz-de-marée kryto-chiroptèrien. L'explication est simple et donnée telle quelle par les éditeurs : quand un personnage devenait assez populaire pour mériter son propre titre, il devait quitter l'équipe - ce qui sera le cas de Flash et Green Lantern assez rapidement.
Les deux figures de proue de Detective et Action Comics ayant eu droit à leurs propres aventures avant même l'invention de l'équipe, on ne les retrouvera que par des interventions sporadiques, pour filer un coup de pouce dans les ventes. Ca sert à ça, les copains.
La paix revenue, l'Amérique rappelle ses soldats à la maison et contemple d'un regard assez dédaigneux les costumés loufoques en deux dimensions. Ils ont fait leur boulot, insufflé espoir, justice et amour vrai du drapeau aux jeunes générations, vendu suffisamment de bonds au trésor pour meriter eux aussi leur retraite.
Le super-héros décline dès 1946, l'imaginaire outre-Atlantique résonnant moins au besoin de combattre le crime dans son essor optimiste et triomphal : on a déjà battu les méchants en Europe, la victoire est là, pourquoi s'embêter à ressasser. La série Justice Society décline peu à peu au milieu de bien d'autres. Dès 1951, le désormais nommé DC Comics remplace après le numéro #57 la série par All-Star Western, publication qui comme son nom l'indique s'intéresse à des histoires de cowboys et d'indiens, revenus à la mode à l'époque aux côtés des récits de romances un chouilla neuneus. A noter pour éviter toute confusion : le personnage de Jonah Hex n'est à l'époque pas présent.
All-Star Comics #57 fait date dans les publications DC, puisque le numéro signe à sa façon la mort du Golden Age onze années après la première réunion de la Justice Society. C'est en effet dans ce numéro que disparaîssent les personnages de Flash, Green Lantern, Hawkman, Atom et Black Canary, que l'on retrouvera plus tard sous d'autres noms avec d'autres pouvoirs une fois le Silver Age venu pour ramener le super-héros à la mode.
En définitive, si la première Justice League ne s'appelle pas Justice League, elle pose un concept innovant, des personnages qui rentreront dans l'histoire et instaure une manière de faire qui marquera durablement l'industrie. L'origine du concept est étroitement lié à celui du personnage de Wonder Woman, et étonnamment décorellé de celle de Batman et Superman, qui faisaient des trucs dans la Bat-Cave avec Robin ou dans les bureaux du Daily avec Jimmy de leur côté, et dans la série World's Finest, autre titre crucial aux publications de l'éditeur. Mais ceci est une autre histoire !
Chapitre suivant >Justice League : entre époques et réalitésEn 1954, l'édition toute entière tremble face aux propos d'un conservateur très ancré à l’extrême des valeurs morales. La Séduction des Innocents de Frederic Wertham jette un pavé dans la marre tranquille des comics d'horreur du fils Gaines, et une fronde aux dernières parutions vivantes de super-héros.
S'instaure auprès des éditeurs encore debout un code d'auto-censure comparable au code Hays du cinéma. Le Comics Code va retarder l'avancée en maturité et en réflexion du medium comics vers une stagnation accrue du côté de DC. L'éditeur va cependant rebondir sur ce qu'on lui demande : une science-fiction loufoque, des concepts d'imaginaire ne mettant pas en jeu l'esprit malléable des têtes blondes, et surtout, surtout, ni violence, ni sexe.
C'est dans ce contexte que la création des auteurs de la Justice Society va s'épanouir, puisqu'on retrouve une seconde fois Kanigher, Broome et Gardner Fox cinq ans après l'arrêt effectif des héros de la première heure. En 1956, DC présente aux yeux du monde le Flash deuxième mouture, un scientifique dont les pouvoirs naissent d'un accident de labo', concept que reprendra maintes et maintes fois le bon Stan Lee dans la maison d'en face.
L'apparition du Flash sous la plume de Kanigher et Carmine Infantino dans le Showcase #4 donne lieu à ce que les historiens de la BD appellent le Silver Age, une ère marquée par les interdictions du Comics Code et un certain goût pour l'appareil scientifique, porté par les découvertes en laboratoire, la peur de la Bombe et la course à l'Espace qui se développent à l'époque aux Etats-Unis.
Les auteurs de DC s'attacheront alors à prouver qu'une bonne idée peut servir deux fois, en réintroduisant les héros de l'âge d'or et beaucoup d'inédits dans un nouvel élan éditorial. Alors que Green Lantern troque sa tunique rouge pour un pyjama noir, que le Flash court plus vite et que Superman vole plus haut, la Justice Society devient la Justice League en mars 1960.
Après son succès pendant l'âge d'or, Sheldon Mayer a pris ses distances avec le monde de l'édition pour reprendre une activité de scénariste/dessinateur sur la série Sugar & Spike. Ses remplaçants se nomment Mort Weisinger, chef de file des publication DC à l'époque, et Julius Schwartz, sorte d'Eddie Berganza de son temps, en plus doué ou en plus discret.
Tous deux vont s'attacher à proposer aux auteurs originaux les relances des différents personnages. C'est ainsi que reviendront Robet Kanigher, John Broome (qui créera le personnage d'Hal Jordan), certains des dessinateurs originaux comme Joe Kubert ou Sheldon Moldoff, et bien entendu, le brave Gardner Fox, qui pourra plus tard raconter à ses petits enfants comment il a inventé le concept d'équipes de héros, la Justice Society, et la Justice League. Son éditeur lui assigne pour toute la durée de son run, qui durera soixante-cinq numéros, le dessinateur Mike Sekowsky.
C'est Schwartz lui-même qui choisit l'appelation de Justice League, l'éditeur voyant comme un effet de mode dans la popularité des leagues américaines de baseball (comme quoi). Une fois baptisée, l'équipe est présentée aux lecteurs dans Brave & the Bold #28, avant d'obtenir son propre titre quelques mois plus tard, en octobre 1960.
Fox va à l'époque réitérer son écriture des premiers pas de la Society : un adversaire qui opère à différents niveaux, et des héros qui ne se croisent qu'au début et à la fin de chaque numéro. Si la JSA opérait depuis la suite d'un hôtel côtier, on monte ici en gamme puisque l'équipe a le droit à sa propre base secrète, une cave dans l'état de Rhode Island.
Cette fois, on insère dès le départ les personnages de Batman et Superman. Les autres membres sont connus et feront date dans l'histoire de l'éditeur : Wonder Woman, Green Lantern, le Flash, Aquaman et le Martian Manhunter, une invention d'entre deux proposée en 1955 dans les pages de Detective Comics. Ce-dernier restera d'ailleurs pendant les décennies à venir comme le membre le plus essentiel de l'équipe jusqu'à la Justice League International, encore bien loin de nous.
Rejoints plus tard par les personnages de Hawkman, Atom et Green Arrow, les héros des premiers temps ont aussi droit à leur sidekick rigolo, un jeune garçon s'exprimant dans un argot de jeune garçon, nommé Lucas Carr, ou "Snapper", surnom donné par sa tendance à claquer des doigts dès qu'il est content ("hey, mais c'est cool !", pensèrent les jeunes lecteurs des années soixante).
Dans les autres trouvailles de l'époque, citons une incapacité générale des numéros à incarner l'adversité. Le premier numéro, notoirement connu pour sa couverture plusieurs fois swippée ouvre sur Staro, le Conquérant, un super-vilain fidèle aux codes de l'époque dont le principal mérite sera d'avoir su anticiper pas moins de deux pokémons trente ans avant la version rouge, mais qui reste finalement assez emblématique de toute une période au sein de l'éditeur.
La période Silver Age de DC Comics aura en effet particulièrement mal vieilli. Tenue par la main de fer de Mort Weisinger, l'éditeur continue à cibler en priorité les très jeunes lecteurs en se calant sur une tranche d'imaginaire propre à la science-fiction et au fantastique des années '50 et '60, chère au cinéma de Roger Corman, au goût pour les hommes des cavernes et des monstres plus grotesques que dangereux.
La Justice League est cependant lancée, trois ans avant que Marvel ne suivre le mouvement en septembre 1963. En 1961, un autre concept apparaît dans les parutions DC une fois encore sous la plume émérite de Gardner Fox. Dans le Flash #123, Barry Allen utilise son pouvoir de vibration molléculaire pendant un tour de magie, et se retrouve transporté sur une planète étrange où rien ne lui est familier.
Le personnage vient de poser le pied sur Terre-2 (à l'époque pas encore aussi clairement définie) où il fera la rencontre du Flash de l'âge d'or, Jay Garrick. Le multivers est né, et la Justice Society ramenée d'entre les morts refait son apparition dans les numéros du Bolide Ecarlate, soutenue par un courrier des lecteurs enthousiastes qui appelle au retour des héros de jadis.
En 1963, un crossover en deux numéros s'établit alors : Crisis on Earth-One et Crisis on Earth-Two dans les pages de Justice League of America #22 et #23, première mention d'un mot qu'on retrouvera maintes et maintes fois chez DC et qui crée au sein des comics l'idée des rencontres de Terres parallèles, là-encore une première, précurseure à tel point que le cinéma lui-même n'a pas encore osé. Le chantier est achevée lorsque Terre-3 introduit l'année suivante le Crime Syndicate.
Aujourd'hui, la Justice League aura vécu en parallèle de ses héros emblématiques comme une anomalie fondatrice dans les publications DC. Lors du relaunch des New 52 en 2011, Geof Johns la pense comme une porte d'entrée idéale aux nouveaux lecteurs, et l'arborescence de faits qui vont déterminer le destin de l'ensemble de l'unviers DC autour de grands événements éditoriaux.
A défaut d'avoir su comme Marvel Studios comprendre l'intérêt de porter le premier le concept à l'écran, l'éditeur aura en tout cas été le pionnier d'une façon de faire et de penser les super-héros comme un tout où idées et personnages entrent et sortent au gré des époques historiquement inestimable, complété par ce que seront plus tard les Crisis événementielles. D'ailleurs, en définitive, ça aussi c'est une autre histoire.
< Chapitre précédentJustice Society : assembler pour mieux régnerDans les années 1930, l'âge des comics, les thèmes, les personnages, les codes n'existent pas encore. Tout reste à écrire, et en parallèle des premières publications Timely, le major Malcolm Wheeler-Nicholson, un entrepreneur du pulp et du comic strip, lance en 1935 le magazine New Fun : The Big Comic Magazine, une publication qui allait plus loin en terme de taille, de contenu et d'agencement publicitaire que tous les tabloids des années précédentes.
C'est sur New Fun que Jerry Siegel et Joe Shuster se feront la main avec le Dr Occult (Richard de son prénom), et c'est pour publier ce magazine que Wheeler formera la National Allied Publications. En 1937, il fondera une autre parution historique, Detective Comics, dont le numéro #27 devait accueillir deux années plus tard les aventures d'une certaine chauve-souris.
L'heure est alors à l'éclatement des séries. Superman est arrivé, révélant au marché l'appel d'air formé par des millions de gamins avec quinze cents en poche, qui ne demandent qu'à accueillir les publications de ce genre nouveau qu'est le super-héros. Une folie d'édition donne lieu à tout un tas de magazines éparpillés, parmi lesquels l'immense Max Gaines (plus tard fondateur de la controversée EC Comics) crée All-American, une société parallèle où verront le jour une série de petits noms tels que Green Lantern ou Wonder Woman.
L'histoire est en marche, les sociétés accordent leurs violons entre inspirations, plagiats et thèmes clés, et avant que la première bombe ne s'écrase sur les porte-avions de Pearl Harbour, le super-héros est là, porteur des fières valeurs d'une Amérique naïve en quête d'idéal.
A l'été 1940, All-American et National s'associent sur l'idée d'une publication trimestrielle où chacun ramène ses têtes d'affiches. D'un côté, le Flash, Hawkman, Ultra-Man et consorts, et de l'autre, le Sandman du Golden Age, Hour-Man et le Spectre. L'idée est de publier une anthologie de reprints des grands héros pour proposer au lecteur à boire et à manger, en une seule publication au contenu gargantuesque pour l'époque.
Les scénarios sont encore simplistes - on s'adresse à des enfants - mais l'éditeur Sheldon Mayer, un vétéran de National qui aura accompagné Wheeler dès la fondation de la société - et découvert Siegel & Shuster après que la presse leur ait maintes fois claqué la porte au nez - n'interdit pas l'innovation. Il va fomenter avec le scénariste Gardner Fox une idée à l'époque inédite : puisque All-Star est elle-même une entreprise inter-éditeurs, pourquoi ne pas proposer un titre inter-héros ? La Justice Society est présentée dès le troisième numéro, à l'hiver 1940.
On retrouve à l'époque des concepts - extrêmement - basiques. L'écriture de groupe n'existe pas encore au sein des super-héros, tout juste cantonnés à interagir avec un sidekick pour rythmer une narration parfois aux fraises. Alors, on donne un point de départ et une conclusion à chaque numéro, et dans l'intervalle des péripéties, chacun des personnages part de son côté affronter la menace d'ensemble à son petit niveau.
Une narration sélective qui met chacun des personnages en vedette, mais ne pense pas encore la Society comme un ensemble groupé et plus comme différentes vedettes du genre tapant sur le même ennemi à différents endroits. On parle à l'époque de vils gredins, d'extra-terrestres belliqueux, de kangourous (oui) et autres fantaisies propres à l'époque, l'apocalypse n'est pas encore à l'ordre du jour et les ruptures de réalité non plus - le titre reste un pur produit de son temps.
En 1945, un conflit éclate entre National et All-American. C'est à cette date que le plus fort des deux rachète l'autre, et se compose avec Detective Comics rassemblé sous la même bannière un trio de front qui formera le gros des publications DC Comics. Finalement, c'est à travers la série All-Star Comics que les deux compagnies se sont approchées à l'époque, et à travers la Justice Society qu'elles sont devenus indissociables - en somme, difficile d'imaginer le DC moderne sans cette énorme première pierre.
Dans les faits d'armes notables de la série, on ne peut évidemment passer sous silence l'introduction de Wonder Woman par le professeur William Moulton Marston au huitième numéro - un fait d'ampleur, qui se suivra par l'introduction de l'héroïne dans les rangs de la Society presque immédiatement. Avec le temps, Gardner Fox cède la main à d'autre scénaristes, dont John Broome ou Robert Kanigher, qui devront faire face à un nombre de pages réduit et repenseront la narration pour faire agir de concert l'équipe de héros.
On entre enfin vers l'esprit de collectif qui fera le sel des publications inter-personnages dans toute l'histoire de la BD, tandis que Kanigher posera de son côté d'autres concepts - comme l'Injustice Society, fameux miroir déformant de l'équipe d'origine, ou Black Canary déjà apparue dans Flash, et intégrée à l'équipe au numéro #41, devenant ainsi le second membre féminin de la Society qui fera elle-aussi date à un moindre niveau.
On peut s'amuser de constater l'absence notable de Batman et Superman dans les rangs des aventures traditionnelles de la Society, cantonnée à des têtes d'affiches célèbres (pour l'époque), mais loin du raz-de-marée kryto-chiroptèrien. L'explication est simple et donnée telle quelle par les éditeurs : quand un personnage devenait assez populaire pour mériter son propre titre, il devait quitter l'équipe - ce qui sera le cas de Flash et Green Lantern assez rapidement.
Les deux figures de proue de Detective et Action Comics ayant eu droit à leurs propres aventures avant même l'invention de l'équipe, on ne les retrouvera que par des interventions sporadiques, pour filer un coup de pouce dans les ventes. Ca sert à ça, les copains.
La paix revenue, l'Amérique rappelle ses soldats à la maison et contemple d'un regard assez dédaigneux les costumés loufoques en deux dimensions. Ils ont fait leur boulot, insufflé espoir, justice et amour vrai du drapeau aux jeunes générations, vendu suffisamment de bonds au trésor pour meriter eux aussi leur retraite.
Le super-héros décline dès 1946, l'imaginaire outre-Atlantique résonnant moins au besoin de combattre le crime dans son essor optimiste et triomphal : on a déjà battu les méchants en Europe, la victoire est là, pourquoi s'embêter à ressasser. La série Justice Society décline peu à peu au milieu de bien d'autres. Dès 1951, le désormais nommé DC Comics remplace après le numéro #57 la série par All-Star Western, publication qui comme son nom l'indique s'intéresse à des histoires de cowboys et d'indiens, revenus à la mode à l'époque aux côtés des récits de romances un chouilla neuneus. A noter pour éviter toute confusion : le personnage de Jonah Hex n'est à l'époque pas présent.
All-Star Comics #57 fait date dans les publications DC, puisque le numéro signe à sa façon la mort du Golden Age onze années après la première réunion de la Justice Society. C'est en effet dans ce numéro que disparaîssent les personnages de Flash, Green Lantern, Hawkman, Atom et Black Canary, que l'on retrouvera plus tard sous d'autres noms avec d'autres pouvoirs une fois le Silver Age venu pour ramener le super-héros à la mode.
En définitive, si la première Justice League ne s'appelle pas Justice League, elle pose un concept innovant, des personnages qui rentreront dans l'histoire et instaure une manière de faire qui marquera durablement l'industrie. L'origine du concept est étroitement lié à celui du personnage de Wonder Woman, et étonnamment décorellé de celle de Batman et Superman, qui faisaient des trucs dans la Bat-Cave avec Robin ou dans les bureaux du Daily avec Jimmy de leur côté, et dans la série World's Finest, autre titre crucial aux publications de l'éditeur. Mais ceci est une autre histoire !
Chapitre suivant >Justice League : entre époques et réalités