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Aquaman, petit poisson dans une grosse marre ?

Aquaman, petit poisson dans une grosse marre ?

chronique

Aquaman voit le jour en novembre 1941, des mains d'un auteur dont je vous ai déjà parlé en amont de cette semaine spéciale. Mort Weisinger n'est à l'époque pas encore devenu la tête pensante des publications DC, et si ses convictions sur la morale ou le rôle du medium sont sans doute déjà là, son héros se contente pourtant de tâches simples. Couler des sous-marins nazis, secourir des naufragés de la noyade, interagir avec une ou deux peuplades aquatiques - un produit de son époque, simple, facile d'accès, un brin ringard aujourd'hui, à l'image du Sub-Mariner de Timely.
 
Bien plus tard, au firmament du Silver Age, d'autres codes se mettent en place. L'ensemble DC Comics passera assez mal cette période, et tout ou presque a déjà été dit sur le sujet : le costume rose de Batman, le cheval domestique de Supergirl, la Jokermobile - pourtant, Arthur Curry aura plus de mal que ses collègues encapés à se relever de cette période, délicieusement kitsch si on la regarde maintenant. Amputé d'un réel rôle au sein des publications DC, avec une batterie de clichés à la peau plus dure que les écailles de son armure orange, et plus directement, à cause du souvenir (douloureux) du dessin animé SuperFriends d'Hanna-Barbera.

  

Parodié dans Robot Chicken, South Park, The Big Bang Theory et consorts, l'impopularité du Roi des Mers se joue à toute une batterie de niveaux. Il parle aux poissons, a un pull orange, porte le nom d'une savoureuse aromate, et reste au fond assez peu utile si Darkseid et sa clique décidaient de venir envahir notre monde dans l'après-midi. Le schéma se répète : un bateau coule, un raz-de-marrée menace, et subitement : c'est un bateau ? C'est un poisson ? C'est Aquaman, et tout le monde s'en tape. La difficulté de créer des enjeux chez un personnage qui se cantonne au monde marin aura été un énorme problème pour DC. Avoir dans ses rangs un maître nageur de luxe n'étant apparemment pas une priorité pour l'éditeur, ce dernier aura accepté de se passer de lui à de nombreuses reprises.
 
Contrairement à beaucoup de héros au sein de l'éditeur, Aquaman totalise huit volumes, chiffre énorme qui s'explique par la récurrence de mini-séries post-Crisis qui ne seront jamais réellement parvenues à imposer le personnage durablement (on se demande même si certaines n'ont pas été tentées pour garder le copyright). Malgré ce statut de mal-aimé, il est pourtant assez simple de voir en quoi Aquaman a du potentiel. On peut même regarder de près le boulot d'auteurs comme Peter David ou Geoff Johns pour le comprendre : beaucoup d'auteurs auront apporté de l'eau (de mer) à ce moulin, en réinventant Curry et sa bande vers des axes plus royaux, plus sombres, plus cools parfois. Johns y était d'ailleurs joliment parvenu, ou avant lui Peter David, mais c'est sans doute grâce à la version New 52 que le héros se retrouve aujourd'hui dans les productions Warner.


 
Pourquoi Aquaman serait il aujourd'hui un héros dépourvu de potentiel ? Dans un monde ravagé par les désastres écologiques, il est contrairement à beaucoup au premier plan de l'impact global de l'activité humaine sur les océans. Ce sera une des répliques les plus justes prononcées par Jason Momoa dans le film Justice League : Aquaman est le premier concerné par la montée du niveau des mers. Les ravages sur la faune et la flore causés depuis des décennies par l'homme, l'enfouissement de déchets, les marées noires ou la fonte des calottes polaires, un terrain qui aura d'ailleurs été exploré par quelques uns à travers l'histoire.
 
Puisqu'en définitive, Arthur Curry est un renvoi à l'inconnu sous la surface. Cet autre monde que l'Homme pille au point d'assécher les espèces, et si le cliché du héros qui parle aux poissons amuse encore, imaginer que le monde des animaux marins soit sous sa responsabilité est un enjeu de poids hélas trop peu abordé. Parce que DC peine à faire dans le comics écolo', en dehors de quelques tentatives comme celle proposée par Morrison sur Animal Man, de petits héros comme Swamp Thing ou le vociférant cliché éco-terroriste proposé par Poison Ivy. Là où on imagine plutôt bien un message engagé, où le chef Atlante irait couler du balainier sans vergognes, arrêter un forage ou combattre les nations qui continuent leurs essais nucléaires dont le résultat finit généralement au fond des mers.  


Il ne s'agit cependant que d'un angle, et l'aspect fascinant du héros réside dans cette capacité à être une gigantesque feuille blanche aux idées (souvent réduites) des scénaristes. Au fond, si on regarde ses différents runs, Aquaman aura été Shakespearien, dans son rapport à son frère Ocean Master, médiéval dans cette fantasy sous-marine en décalage temporel avec la surface, et où peuvent être inventées factions, guerres et luttes de clans, politique dans la peinture d'une nation écartée du monde qui doit finalement s'y confronter, où verser dans le simple récit d'aventure quand Curry part affronter Black Mantha ou un autre de ses vilains palmés.
 
Et voilà la force d'un héros jugé ridicule par certains : on peut en faire ce qu'on veut. Là où Batman reste codifié par les attentes du lecteur, là où Superman ne peut se départir de sa caractérisation classique, Arthur Curry n'aura cessé de changer, devant le mépris général de DC Comics qui ne semble pas vraiment inquiet de savoir si le personnage est fidèle à ce qu'on attend de lui. Johns en aura fait un héros d'aventure et l'aura (ré)intégré à la Justice League, Abnett s'en sera servi pour une thématique politisée avant de revenir à un style littéraire typée chevaleresque de son côté.
 
On peut en dire autant du choix de Jason Momoa, qui aura fait parler les quelques fans du personnage. L'acteur ne ressemble en rien au Curry des comics, et ceux qui ont découvert Justice League n'auront sans doute pas reconnu l'écriture ou la caractérisation prêtée au héros dans ses runs marquants. Pourtant, là où le fandom s'enflammait il y a quelques années en apprenant que Ben Affleck serait le Batman d'une nouvelle génération, les libertés (énormes) prises sur ce choix d'interprète n'auront pas fait grand bruit. 

 
 
Aujourd'hui même, on surprend un public impatient de découvrir le Aquaman de James Wan. Un film qui aura en plus pour lui de ne pas avoir été éclaboussé par les habitudes scabreuses de Warner Bros. à la production, et semble même se dérouler calmement. Personne n'attend une oeuvre fidèle - on a vu dans Justice League une première trahison, sur la façon dont les Atlantes semblement communiquer - mais le film reste une curiosité. Comment mettre en scène ce monde sous-marin, sa civilisation ? Quelle facette des BD le film choisira-t-il d'adopter ? Moins que le héros, c'est tout l'univers qui l'accompagne et le défi de réalisation suscité qui intéresse, attire le regard.
 
En définitive, le ridicule d'Aquaman en aura fait une bizarrerie telle qu'il demeure une sorte de challenge scénaristique et visuel permanent. On aura vu Johns, Kurt Busiek ou Peter David livrer des copies plus qu'honorables du personnage, mais en cherchant de loin en loin, on peine encore à nommer le Year One ou le DKR du héros. Il reste encore beaucoup à faire avec le  brave Arthur Curry. Gageons que le cinéma saura effacer l'affront SuperFriends, et remettre à flot un héros qui mérite sa place dans le panthéon DC.

Corentin
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