Comment orchestrer le retour de Jean Grey ? La question est moins de savoir si le numéro est bon que de comprendre l'intention éditoriale. On a constaté chez Marvel dernièrement l'apparition cyclique du retour au "steak frites" - une expression prêtée à Dan Didio qui représente (symboliquement ?) l'idée du classique, le complet jambon fromage du paysage comics habituel, dirions nous sous nos latitudes gustatives. Chez les X-Men, les formes prises sont étonnamment intéressantes, et pas nécessairement dans le texte, mais davantage dans les intentions, justement.
Puisque, après des années de litige avec la 20th Century Fox, détentrice des droits, la Maison des Idées aura fait une part relativement moindre à cette équipe, pourtant capitale de l'univers. Ce n'est qu'une partie du problème, l'autre concerne aussi certaines idées curieuses de Bendis. Après des années en automatique, l'auteur aura poussé pour avoir son équipe de jeunes mutants, bombardés depuis le timestream, et accordés autour de prouesses éditoriales de faible envergure (telles que Trial of Jean Grey).
Aujourd'hui, la hache de guerre s'enterre progressivement - et c'est normal - tout en n'oubliant pas les sales manies d'un éditeur qui n'omet jamais de capitaliser sur la promotion anté ou post-posée d'un film dans les salles : or, vous êtes peut-être passés à côté vu la petitesse de la hype, mais le Phoenix fera aussi son retour au cinéma. D'où un certain alignement des planètes pour ramener cette idée sempiternelle, qui se manifeste dans un premier numéro pour le moment pas transcendant.
On retrouve dans les pages de Matthew Rosenberg une certaine emphase sur l'idée que tout ça est très important, capital, sans vraiment arriver à prendre. Le numéro s'ouvre sur quelques pages sobres, économes, où se met plus l'accent sur le besoin de poser un enjeu que sur les échanges entre personnages. Ce qui ressemble à une introduction mystère avant qu'une double page ne titre le numéro et son équipe pour sanctifier l'idée de ce petit évent relatif aux séries X-Men.
Le reste du numéro joue sur ce même sentiment, et reste assez construit dans la forme. On part d'un événement anodin, on accompagne les mutants pendant quelques pages, et là où on s'attendrait à un cliffhanger abrupt, on reste finalement plus longtemps que prévu sur un personnage en particulier. Problème, ce mystère posé n'est pas efficace : d'abord, parce que si Rosenberg tente de la jouer fine, on entend à des kilomètres les sabots de l'éditeur qui pousse pour boucler en cinq numéros ce qui pourrait ou devrait aller moins vite en plus longtemps.
L'esprit d'ensemble est fantomatique. Les héros se déplacent dans l'intrigue, portés par le mystère d'enjeux que le lecteur aura de toute façon deviné (parce que ce n'est pas si compliqué, et l'enrobage ne marche pas quand l'issue est si prévisible), d'un point A à un point B dans de faibles interactions où aucun dialogue ou sentiment d'implication ne se dégage. Seules les quelques pages donnent envie, à l'exception de la dernière qui semble arriver trop vite dans l'histoire.
Rosenberg pose de son côté une introduction correcte, qui s'écrase sur les rochers d'un manque général d'envie. La plupart des dialogues sont vides, certains sont juste ratés, et ce n'est pas du côté du nom ronflant de Lenil Yu que la réussite du numéro est à retrouver. L'artiste donne le minimum, c'est même plutôt déplaisant par endroits, et rien dans tout ce premier numéro ne donne le sentiment d'ampleur qu'on attendrait pourtant.
C'est un souci général à appliquer aux séries Marvel dans cette quête du jambon fromage. Au lieu de faire avancer de concert des initiatives croisées, la Maison des Idées placent des billes isolées sur un grand tout où on se demande ce qui fait partie de l'envie annoncée de retourner à l'ancienne manière de penser la continuité et l'événementiel, et de l'autre, tout ce qui est juste du ressort des résurrections obligatoires, du gimmick Phoenix ou de la proximité du cinéma. Même un excellent numéro poserait ce type de problèmes, et malheureux on n'est pas ici face à un excellent numéro.
Au mieux correct, ces quelques pages donnent surtout le sentiment d'avancer dans la besogne vers des points de passages obligés dans le grand feuilleton des mutants. On ne s'en souviendra probablement pas à terme, et avec une fin d'arc déjà spoilée par l'annonce de X-Men Red, on se demande s'il n'aurait pas été plus simple de commencer par cette nouvelle équipe et de raconter le retour de Jean par des flashbacks elliptiques. À la place, nous voilà en face d'un énième arc transitif dont l'issue est connue, avec peut être une ou deux morts mystères (qui tiendraient aussi lieu de gimmick forcé pour densifier les enjeux).
En définitive, le bilan n'est pas si mauvais. Mais après X-Men : Grand Design #1 où on sent qu'une partie de l'édito de Marvel travaille le retour des mutants de manière intelligente, se retrouver face à ce genre de numéros fait se demander à quelle échelle la société pense la répartition de ses talents. On retrouve une introduction pas loupée, mais fade, qui n'engage pas et où l'intrigue est à la hauteur des attentes - faible - là où de plus petits projets déploient un talent d'un autre niveau. En définitive, ça a peut-être même toujours été le cas.