Si vous demandez à un lecteur assidu de vous expliquer les différences fondamentales entre Marvel et DC, pourquoi lui préfère l'un à l'autre, ce qu'il trouve chez le premier qu'il n'a pas chez le second, les réponses pourront varier. D'aucuns seront cependant assez à l'aise avec la question, puisque chacun des deux éditeurs a son propre style, sa propre école de pensée.
Du côté de Dark Horse, c'est en revanche du domaine de l'évidence : l'univers, les créations, le tronc commun de séries portées par un certain diable rouge, ce qu'aura posé Mike Mignola comme un Jack Kirby des folklores et de l'occulte aura posé une base exemplaire à laquelle on aime (parce qu'on aime) revenir périodiquement. Une critique d'une série Hellboy pourra systématiquement pointer les mêmes forces et faiblesses qu'une autre, parce que Mignola fonctionne ainsi. La seule réelle différence serait, maintenant qu'il s'est éloigné de ses planches à dessins, du côté du trait - mais de ce côté là, on se rassure, l'auteur aura au préalable formé une armée de copycats pour prendre sa suite.
Koshchei the Deathless s'adresse donc au même parterre de fans usuels, les adorateurs du monde Lovecraftien d'Anung Un Rama, son obsession pour les mythes et légendes, les contes, les déités obscures et la magie. On y retrouve le héros taiseux aux cornes limées en pleine bagarre avec un certain Koshchei, guerrier médiéval entre les mains de la Baba Yaga, une sorcière malfaisante bien connue des mythes nordiques.
Après la bataille, Hellboy et Koshchei, libéré de son étreinte psychique, s'asseyent autour d'une noble pinte de brune et échangent quelques mots d'amitiés. Le guerrier va alors raconter son histoire, en six parties. Le récit prend la forme d'une sorte de chanson épique, ou de conte de fée macabre où se mêlent violence, fantasy et magie. On retrouve des codes d'écritures typiques d'une forte simplicité : la fameuse morale du héros servi par ses actes, injustement trahi, en quête de vengeance et systématiquement ramené sur le chemin d'une destinée scabreuse.
Mignola s'y fait assez plaisir, en profitant de l'enrobage d'un récit narré pour s'épargner un amas de dialogues (art qui ne l'a jamais autant intéressé que d'autres) ou une construction narrative échelonnée. L'histoire va vite, on y avance avec une certaine envie, comme un bon bouquin sur un guerrier désolé. Koshchei est à ce titre un personnage intéressant dans sa posture de héros dramatique et valeureux, tout en étant assez prévisible, guidé par une morale qui ne lui laisse pas beaucoup de choix.
Pour revenir aux dessins - c'est en soi une sorte de micro-problème. A la fois, comment imaginer les séries Hellboy sans ce qu'aura proposé Mignola depuis les débuts ? Un trait simple, sobre, à l'encrage vif et qui s'épanouit dans des contours suggérés par des jeux d'ombres et d'atmosphères. Ben Stenbeck, héritier spirituel du maître qu'on aura notamment retrouvé dans l'excellente Frankenstein Underground, applique cette tradition avec respect. On retrouve tout, un découpage classique, les regards vides et colorés des créatures macabres, et une certaine économie de moyens dans les fonds.
Paradoxalement, les cases les plus réussies sont justement celles où Steinbeck fait du Mignola. Et on aurait envie de se dire, comme Adam Hughes sur Krampusnacht, que les séries Hellboy gagneraient à être mises entre d'autres mains, sous un angle nouveau. Pourquoi pas entre celles d'un Ben Templesmith, d'un Juan Ferreyra ? Il y aurait sans doute matière à amener davantages d'artistes étrangers aux habitudes de trait du père d'Anung Un Rama, et en même temps, à l'image de ceux qui auront récupéré le style de Kirby à l'époque, on est en droit de se dire que le lecteur a justement cette exigence d'habitude sur le style de cet univers si particulier.
Koshchei est donc un énième bon titre de la famille Hellboy. Promise comme une mini en six dont le trade viendra compléter une bibliothèque déjà fournie, l'entrée en matière fait le job mais ne surprend pas - en soi, elle est donc aussi bien une respiration bienvenue entre deux séries de super-héros pour qui voudrait découvrir cet univers, et d'un autre côté, un complément dispensable aux fans de longue date qui attendraient un nouvel Hellboy in Hell, plus événementiel. Mais la qualité est là, et c'est toujours avec plaisir qu'on remet le nez et quatre dollars dans les sorties de Dark Horse, impressionnés par l'infatigable endurance d'un auteur qui connaît son sujet.