L'enfer est pavé de bonnes intentions, et Scott Snyder a dû le comprendre. Quoi qu'on pense de son run sur Batman et de ce qu'il a apporté chez DC ces dernières années (avec ce qui semble être son point d'apogée dans Dark Nights : Metal), on pourra lui reconnaître une certaine tenacité à vouloir imposer ses propres jouets dans ses séries. Sauf que ça ne fonctionne pas.
Remettons un brin de contexte. Après l'échec d'Harper Row, Snyder a retenté le coup d'imposer un nouveau sidekick à Batman (comme s'il en avait encore besoin), mais de façon plus posée, réfléchie sur un long terme qu'on avait pas forcément vu venir. D'abord en caméo dans le premier chapitre de Zero Year, Duke Thomas est ensuite réapparu dans End Game. Victime des agissements du Joker et privé de famille, il est pris sous l'aile de Bruce Wayne, et après la disparition temporaire de ce dernier (vous savez, quand Gordon portait un iroquois dans une armure de lapin géant), on le retrouvera notamment en tant que porteur du symbole de Robin (avec une autre bande de jeunes désoeuvrés) dans le titre We Are Robin de Lee Bermejo. Puis viendront les retrouvailles avec Bruce Wayne et les débuts d'une nouvelle phase dans All-Star Batman avec un costume jaune, et le surnom "Lark". Et Duke d'écoper de nouveaux pouvoirs dans Dark Days avant d'aboutir à cette mini-série en trois numéros.
Petit détail d'ailleurs, si la couverture annonce un tie-in à Metal, les décalages de publication (de mémoire, liés aux dégâts causés par les ouragans aux US) font que la pertinence vi-à-vis de la publication de l'event en cours est complètement ratée. Batman est toujours là, Gotham tient en place, et pour vous remettre dans le bain on vous conseillera de reprendre à partir de Dark Days.
Maintenant voyons ce que la chose nous raconte. Et c'est assez maigre. L'introduction vise à imposer Duke avec ce nouveau surnom, avec une intrigue sous fond de jeune méta-humains apparaissant dans Gotham City (avec l'activation d'un méta-gène qui rappelle forcément les X-Men d'un côté, mais ferait aussi allusion à des faits relatés dans Dark Days par le Joker, et à d'autres évoqués récemment dans Doomsday Clock), et un affrontement avec Null, personnage aux dialogues incompréhensibles et lourdingues qui tient son nom d'un ennemi apparu dans les années 1990, ce qui n'aide pas. L'intrigue est cousue de fil blanc, puisque les jeunes en question sont placés dans le "Arkham Juvenile Dtention Center" dont le nom n'est pas du tout explicite, et l'on peine à s'intéresser à quoi qu'il se passe.
Pourquoi ? Premièrement parce que donner des pouvoirs, aussi intéressants soient-ils dans une brève phase de détective, était la dernière des idées à avoir pour le personnage. Mais c'est surtout dans les discours envoyés que le numéro en devient énervant. Dès l'ouverture, Snyder (qui laisse le script aux soins d'un nouveau venu chez l'éditeur, Tony Patrick) se moque de ce que tout le monde pense. Oui, la Bat-Family est assez fournie, et il n'y a pas besoin de sidekick supplémentaires, pas dans cette forme en tout cas. Et les propositions d'originalité ne sont en fait pas de bonnes idées. Si on s'attache à Gotham et ses héros, c'est justement que la plupart n'ont pas de super-pouvoirs (en tout cas, pas du côté du Chevalier Noir) et c'est là son intérêt. De l'autre, l'idée du "agir du jour" n'est pas un argument de vente suffisant - parce qu'il n'y a rien qui justifie que Tim, Stephanie, Damian ou Dick ne puisse agir de jour, et c'est encore plus ridicule quand des habitants de Gotham le disent à Duke "mais normalement il n'y a pas de crime le jour, que fais-tu là ?", comme si de jour, la ville était tranquille en tous points.
Pire encore, c'est par le script et les dialogues que Batman lui-même enfonce le clou du forcing, assurant qu'il avait de très grands plans pour Duke depuis leur première rencontre (le mec lui fabrique son propre repaire, rien que pour lui, tu parles de favoritisme), et qu'il lui faut absolument un sidekick qui soit à l'opposé de tout ce qui compose sa bat-famille... Bien qu'il porte un emblème de chauve-souris sur son costume (qui a une étiquette ???) et que son surnom soit basé sur l'un des outils du Chevalier Noir. On attend le prochain allié, Batarang ou The Belt, pour voir si ça fonctionne aussi bien. Entre lourdeurs et rajouts franchement mal vus (ha ? Duke a un oncle maintenant ? Et il faisait quoi depuis quatre ans ?), la seule consolation sera de retrouver quelques personnages de l'époque We Are Robin (la meilleure pour le personnage, disons le clairement), mais que ceux qui n'ont pas connu le titre ne reconnaîtront pas et donc, passeront à côté. Reste à mentionner le travail de Cully Hamner, plutôt plaisant dans son ensemble (les allures de certains personnages sont assez sympathiques), dont la composition tente de rendre vivant l'action dépeinte, bien que le tout ne soit pas assez renversant pour empêcher de s'ennuyer sec.
Accumulation d'idées qui n'auraient pas dû passer le stade d'idée, résultante d'un forcing continu passé à côté de ses meilleures propositions, Batman and the Signal allie à un timing manqué (okay, c'est pas de leur faute) une proposition vide de sens et d'intérêt, tout en allant en opposition à ce qui fait le charme de Gotham. Difficile de croire qu'en trois numéros, Snyder va réussir à imposer Duke Thomas qui mériterait bien mieux. Un titre qu'on vous conseillera d'ignorer, il y a bien mieux à lire du côté du Bat-verse en ce moment.