Venom Inc, Eddie Brock, Venomverse et anniversaire, tout le blabla. On se résume : Marvel Legacy ? L'envie de reprendre des personnages classiques dans les costumes classiques ? Pourquoi pas. Jason Aaron y arrive, après tout. Mais, après avoir consulté bien des oracles, interrogé la forme des nuages et consulté un shaman de la lointaine Cordillère des Andes, tous les avis convergent : Dan Slott n'est pas Jason Aaron, et à l'image d'autres découvertes de pareille importance, on se demande comment on ne l'avait pas remarqué avant.
L'arc présenté entre les séries Spider-Man et Venom, introduit et clôturé par deux numéros spéciaux, est l'exemple type d'une méthode réussie, pour une idée ratée. En définitive, oui, Eddie Brock est de retour dans le costume. Non, Flash Thompson n'est pas rendu à l'invalidité et au statut de civil pour autant, et oui, oui, bien suû, on est ravis d'apprendre que cette boucle vers le retour au classique mènera au prochain arc indispensable du grand plan de Marvel pour rendre hommage à son symbiote préféré. Derrière, l'éditeur exprime ses envies par la voix de deux scénaristes démotivés, qui glissent derrière l'effort automatique quelques bonnes punchlines, une bromance qui fait parfois effet, et un festival d'erreurs ou de fautes de goût. A commencer par la première : c'est quoi Venom, et pourquoi on a eu tort dès Carnage de voir l'idée se multiplier ?
Vous avez grandi avec le dessin animé Spider-Man (bravo, vous avez eu là une bien bonne idée). Le symbiote y était terrifiant, impressionnant. Designé par le bon McFarlane, le personnage a toujours cette envergure de contre-Spidey, brillant dans ses postures, pouvoirs, son éternel rictus hilare aux crocs carnassiers et une langue à faire baver. Ensuite, il y a eu la planète des symbiotes, Carnage, Toxin, un bon millier de déclinaisons peu ou prou utiles, sur le prince des Ghost Racers, du Spider-verse et de la fameuse promesse que, par A + B, un truc qui fonctionne, si on le multiplie par dix, c'est encore meilleur.
Là où le concept a de la valeur chez un héros, et avec assez de talent dans l'exécution, on peut se retrouver à interroger la validité d'un personnage en le transposant dans différents contextes. Ca fonctionne avec Spider-Man - prenez Spider-Gwen, pas avec Venom. Parce que c'était la capacité d'être unique proposée par le monstre qui marchait, et marchait d'autant mieux qu'en en faisant un anti-héros puis un sympathique gaillard pour répondre à sa popularité, Marvel aura fait rebondir le tisseur maléfique vers Flash Thompson, et le run merveilleux de Rick Remender où se mêle un confluent d'idées. Parabole sur la drogue et l'alcoolisme, stress post-traumatique et difficulté pour l'ex soldat de se réinsérer. Une parenthèse enchantée qui prend (enfin ?) fin.
Revenons à Venom Inc. Devant la recrudescence d'un vilain capable de manipuler son monde en projetant des morceaux de symbiotes sur ses adversaires, Spider-Man enquête avec Flash Thompson à ses côtés. Tous deux découvrent qu'Eddie Brock fait son retour dans le costume de Venom, mais que dans son ombre, un véritable ennemi se dresse, prêt à utiliser un prétexte scénaristique quelconque à la mise en place des enjeux et que, donc, on doit à tout prix l'arrêter. L'arc évolue sur le point de vue croisé du vilain, de Venom et du duo de héros, dans lequel Thompson devient vite Anti-Venom pour éviter de devenir un poids mort.
Le décor change plutôt vite dans un récit dynamique qui se laisse la place d'évoquer la relation Peter/Flash, avec un ton de bromance sincère qui fait effet malgré de grosses lourdeurs. Sans finesse, sans subtilité, chaque rebondissement sent bon l'automatisme, la paresse et le désintérêt des scénaristes sur ce vilain prétexte qui, non content de tuer l'iconographie d'habitude efficace des symbiotes, est un repoussoir à charisme de grande intensité. La présence de Black Cat n'aide pas non plus l'arc à se densifier. Chaque personnage est verbeux, de nombreux temps morts peuplent des scènes d'action plutôt figées, jusqu'au climax du dernier numéro qui nous rappelle que pour rendre un truc plus menacant, il faut surtout le rendre plus gros. Mais si, regardez les Power Rangers.
En définitive, au devant de toutes les critiques que l'on pourrait faire, l'arc n'est pas assez mauvais ou bon pour s'y appesantir. L'opération a en revanche grand intérêt si on prend un peu de recul. En interrogeant la continuité, on trouve en fait assez peu de réels moments de bravoure impliquant les symbiotes, le concept sera vite devenu ringard par sa capacité à ne pas surprendre. Le Venom lui-même aura plus été attaché à une imagerie, une manière de s'exprimer, moins à une richesse scénaristique folle durant ses décennies d'existence. Condamné à ne tourner qu'en vase clos, dans d'éternelles rencontres symbiotiques, ou à interroger la notion d'addiction pour le porteur du costume en éternel repli personnel.
Une fois tout ça posé, que reste-t-il à cette tâche de pétrole dentée en dehors de son étonnant appendice gustatif ? Et bien, on se demande. Les idées des nouveaux scénaristes ayant peiné à mettre un coup réel dans la fourmilière de l'innovation, l'envie de ramener Venom sur le devant de la scène, l'envie de remettre Brock dans le costume, de multiplier les arcs à son effigie jusqu'à en faire un pivot des publications en cette année 2018, on ne l'explique pas. On l'expliquera peut-être face aux chiffres de vente, mais le personnage n'est pas Deadpool ou Harley. Alors, à quoi bon ?
Capitaliser sur l'anniversaire, anticiper le film, croire arbitrairement que ce héros a une quelconque place ou valeur pour les lecteurs de Spider-Man ? A l'heure actuelle, Mysterio apparaîtrait comme un monstre de potentiel, une fois le dernier numéro de Venom Inc. reposé. Bref, si vous vous demandiez comment gâcher une bonne idée, c'est simple : faites la passer pour meilleure qu'elle n'est, et essayez de la vendre. En masse.
Et c'est un joli loupé pour tonton Slott, mais le plus drôle (au delà de l'absence totale de surprise que revêt ce triste début de phrase), c'est qu'on aurait tort de s'en inquiéter. En réalité, en dehors d'une cohorte de fans obtus qui espèrent sans doute un bon film, ou continuent de penser que le potentiel est là si on le laisse entre de bonnes mains - oui, je vous communique mon propre avis en me cachant derrière la masse - Venom, pour être parfaitement sincère, n'a plus grand intérêt aujourd'hui. Le personnage est rangé dans le carton des séries d'exploitation, incapable dans le climat d'anniversaire actuel de proposer autre chose qu'une avalanche de fanservice, et de ce que Marvel considère sans doute comme des idées super géniales. Dommage, il paraît pourtant que c'est un vrai métier, éditeur.