Nous vous parlions de Karen Berger dernièrement - et ce, sans le moindre détail réel sur ce qu'aura été Vertigo Comics au départ. En dehors de la mention suggested for mature readers, l'implication de scénaristes britanniques (pour la plupart) débutants, et la réinterprétation de personnages classiques ou oubliés de la continuité, l'imprint de l'éditrice était aussi connu pour être bâti sur les fondations de Swamp Thing, et à travers lui et d'autres séries, les personnages de la ligne occulte de DC.
Or, parmi celles-ci on retrouvait des anthologies d'horreur, telles que les maisons d'Abel et Caïn, la House of Secrets et la House of Mystery. Évoquer le concept de ces deux propositions revient à évoquer Chair de Poule, le récent Black Museum de Black Mirror, Les Contes de la Crypte et compagnie : plus qu'une anthologie épisodique où chaque récit est différent, on préfère ici mettre en scène des épisodes introduits par un narrateur, un personnage, un host, qui matérialise par la même l'idée que ce qui est évoqué s'assume comme une pure fiction.
C'est le cas de cet Hungry Ghosts #1, premier des Berger Books édité chez Dark Horse dans les kiosques depuis mercredi. Très vite, le numéro se heurte à la petitesse de pages qui ne développent pas grand chose, et aux limites de son propre concept. Là où l'intérêt du Crypt Keeper est utile, puisqu'il nous rappelle l'époque où autour d'un feu de camp ou d'une lampe torche on aimait s'effrayer de ces récits, qu'on savait pourtant n'être que des inventions, rendant ainsi le procédé universel et acceptable par tous. De l'autre côté, en revanche, le fait de savoir que ce qui est raconté est raconté, et donc, intentionnellement fictionnel, met plus l'accent sur le récit, sa morale, son déroulé, que sur ses personnages ou une envie de construction.
Ça peut être bien fait, ça peut être mal fait aussi, et en l'occurrence, on est aujourd'hui devant un échec du genre. Hungry Ghosts est le récit d'une nuit, où une troupe de cuisiniers d'exception embauchée par un riche mafieux russe est invitée à rejoindre les convives à table. Le brave hôte propose un jeu, inspiré d'une vieille légende japonaise (qui inspire la superbe couverture de Paul Pope et la première page du numéro) : se raconter des histoires terrifiantes, autour d'un bon cigare et d'un cognac napoléonien. S'engagent deux premières dans cette entrée en matière, sensée évoluer autour de la thématique culinaire.
Pourquoi ? Parce que l'auteur est Anthony Bourdain, un chef décoré et célèbre qui travaille ici avec Joel Rose. On doit à ce duo la formidablement folle Get Jiro, dystopie culinaire où l'obsession du peuple pour la cuisine aura mené les restaurants étoilés à devenir les méga-corpo' cyberpunks de demain. Tous deux rentrent de plain-pied dans les codes : la première page a son Crypt Keeper, l'introduction présente dans un gaufrier les protagoniste, en sous-entendant leurs cultures, différences, caractères, etc. On sent ici que chaque récit d'horreur conté par les héros est censé représenter leur psychée individuelle, avec plus ou moins de réussite.
L'ensemble est affreusement désincarné : le récit se cogne à son nombre de pages, restreint, ne développe pas plus que ça les personnages, les histoires sont banales et ne font pas peur. On se retrouve face à des récits d'horreur plate, où les figures convoquées avancent sans malice, sans dialogues recherchés : tout est dit et surligné. Un pirate dit, en voyant une femme qui se noie dans les vagues déchaînés "nous allons la secourir, et puis nous pourrons ensuite la violer" - sans la moindre espèce de tournure. Il en va de même pour le segment japonais : aucun enjeu n'est développé, l'ambiance évolue plus par le trait que par le texte, souvent joli.
La seconde histoire est la plus intéressante : sa narratrice ne manque pas d'esprit, se développe une idée d'horreur féministe pas du tout malvenue, quoi que très gratuite et en deça du potentiel esthétique de la talentueuse Vanesa Del Rey. S'écrit aussi dans l'introduction un sous-texte sur la haute cuisine réservée aux riches, aux dictateurs et aux puissants capitalistes. Le scénario ira vraisemblablement vers les origines du mafieux Russe, l'ennui étant qu'on n'a pas le temps de s'intéresser à lui et que tout ça semble généralement dépourvu d'envie et de conviction. Tout ne se vaut pas dans les dessins, et en réalité, la série elle-même ne s'annonce pas comme follement prometteuse.
En réalité, on ne parlerait sans doute pas de Hungry Ghosts sans le label Berger Books associé. Les comics en général regorgent d'anthologies d'horreur, le genre remonte même à l'origine du medium et aura en partie forgé son histoire et l'instauration du Comics Code il y a des décennies de cela. On n'aura donc aucun mal à décrire en quoi ce premier numéro n'est pas à niveau, déjà des ambitions éditoriales de sa chef de file, du précédent travail de Bourdain et Rose dans la bande-dessinée, ou d'une tradition d'écriture qui n'imite ici que la surface des codes. Hungry Ghosts #1 est à l'image d'un plat au nom aguicheur sur le menu, décevant dans l'assiette. Fade, sans subtilité, on attendait mieux d'un chef étoilé. A voir si Berger a mieux à proposer sur les prochaines séries.