Dans un milieu où l'on semble parfois se polariser entre la hype et le désintérêt total, l'arrivée de Black Panther en ce début d'année 2018 pourrait être l'évènement culturel le plus marquant de l'année, ou du moins l'un deux, pour toute la sphère de la pop culture.
L'importance de la diversité (ethnique, sociale, sexuelle, etc) dans les oeuvres culturelles et de leur représentation n'a jamais été plus importante qu'à l'heure d'aujourd'hui, alors que cette même diversité est exploitée par beaucoup pour justifier de politiques haineuses et attises les tensions entre personnes au quotidien. A son statut de super-héros noir, Black Panther n'est pas le premier à faire son entrée au cinéma, et il est hors de question d'oublier d'autres rôles des dernières décennies, dans l'inspiration directement de comic books (le Blade de Wisley Snipes) ou d'une même thématique (Hancock, incarné par Will Smith). Et si Black Panther, sur le papier, est le premier super-héros noir publié chez un gros éditeur de comics, le film de Ryan Coogler va également être le premier à avoir pour tête d'affiche un super-héros noir, dans une franchise hyper grand public, avec des possibilités de portée immenses (là où, par exemple, Blade se heurtait à son Rated-R et que Hancock ne jouissait pas de la popularité d'un MCU solidement établi dans le paysage culturel).
Sans vouloir verser dans la hype démesurée, ou juger le film avant de l'avoir vu, on se rend compte de la mise en place d'un véritable phénomène culturel, liée (en partie ?) à cette question de représentativité. De nos yeux d'observateurs européens, on a peut-être du mal à s'en rendre compte de l'importance d'un personnage tel que Black Panther. La communauté afro-américaine représente 13% des habitants des Etats-Unis, un pays pour lequel la figure du super-héros est ancrée profondément dans l'imaginaire de tous. L'importance aussi de T'Challa se situe en tant que souverain d'un pays d'Afrique, qui porte fièrement les tributs d'une culture dont de nombreux éléments ont été apportés aux US, et en font maintenant partie intégrante, au fil d'un processus dont l'Histoire se souvient, et qui reste encore douloureux et pas totalement effacé dans certains états.
J'ose croire dès lors, que dans un pays où avoir une autre couleur de peau est synonyme de balle (plus ou moins) perdue, que voir de gigantesques affiches de Black Panther donne une dimension symbolique au film plus importante que l'énième arrivée d'un blockbuster super-héroïque dans les salles de cinéma. Black Panther, à mon sens, va dans la continuité d'une tendance, encore assez lente, du genre super-héroïque qui essaie enfin de faire mieux dans la question de la représentativité. On peut même se demander comment un tel film n'a pu voir le jour plus tôt, tout comme on se demande ce qui a fait attendre à un film Wonder Woman de voir le jour.
Comme le succès spectaculaire de ce dernier l'année passée (qui, toute qualité mise à part, montrait l'appétence du public pour avoir une super-héroïne en tête d'affiche, contrairement aux croyances des producteurs), Black Panther semble aller vers un succès au delà de toutes les attentes. Si on en croit le système de pré-ventes de tickets aux US, le film pourrait surpasser les meilleurs chiffres jamais enregistrés pour un premier film solo consacré à un super-héros. En effet, si 13% de la population d'un pays se décide à aller voir un film en masse, le résultat peut être spectaculaire.
Bien entendu, on peut se cacher derrière un certain cynisme pour acter qu'un résultat au Box-Office n'est pas synonyme de qualité, et que malgré sa posture symbolique, les critiques jusqu'à présent dithyrambiques (pour un grand nombre) de Black Panther ne le sont pas pour les "bonnes" raisons. Et il se peut qu'au delà de son personnage principal, le film de Ryan Coogler accumule des poncifs propres à ce genre de cinéma, ou à la fameuse formule Marvel Studios, qui empêchera Black Panther de transcender son genre jusqu'à devenir un game changer.
De même, il faut rester conscient qu'on se retrouve face à un produit d'un énorme studio et que, malgré toutes les intentions affichées dans la production du film (du choix de Coogler, d'un cast majoritairement noir, jusqu'à la bande-son de Kendrick Lamar qui est allé s'associer à des artistes africains), la représentation de l'Afrique ou de la culture du Wakanda risque d'être biaisée voire transformée par un modèle américain qui reste dominant.
Je parlais de game changer quelques lignes plus tôt, et cette notion n'est pas innocente, car elle pourrait amener par la suite une diversité encore plus importante (et : en tête d'affiche) dans cette pop culture du grand écran, encore bien en retard par rapport à son support papier - où là aussi, tout est loin d'être parfait. C'est en tout cas ce que je souhaite.
J'ai envie de voir plus de films de super-héros avec des têtes d'affiche qui ne me ressemblent pas, car c'est là aussi une façon de s'ouvrir aux autres personnes, et à d'autres cultures, à d'autres modèles que celui affiché la plupart du temps. Ca fera peut-être naïf à lire (ou démago pour certains), et s'il faudra rester honnête sur les qualités de Black Panther en tant que film, je crois sincèrement à son importance symbolique. Pour le cinéma super-héroïque de cette année, et de celles à venir.