L'événement Damnation vient caler un creux, celui du mystique, de ces personnages estampillés horreur, monstres, enfers et menaces d'un autre ressort que les brigands des rues ou les hordes d'extra-terrestres malfaisants. C'est autour du Sorcier Suprême que s'ouvre l'arc, complété par une série de tie-ins où les différents invités auront l'opportunité de se démarquer, avec comme attraction principale le retour du Ghost Rider classique.
Marvel semble vouloir faire grand cas de cette semi-résurrection, Johnny Blaze ayant depuis un certain temps disparu des étals mais ce n'est pas pour autant que Nick Spencer et Donny Cates (dont la présence se fait moins ressentir) se mettent à l'unisson de ces directives éditoriales. Puisqu'il serait assez surprenant que l'auteur ait lui-même commandé cette rencontre de héros, tant il met peu de cœur à l'ouvrage, quitte à casser toutes ses habitudes formelles. Se lit en filigrane l'impression d'une marche forcée, et le teasing déployé par l'éditeur pour survendre ce micro-événement est tout sauf un signe encourageant. Puisque, pour aller vite, ce premier numéro est beau et mauvais.
Après un événement survenu dans les pages de The Mighty Thor, la cité de Las Vegas est en ruines. C'est de ce chantier que l'artisan Dr Strange veut s'occuper, ouvrier du bâtiment depuis qu'un nouvel échelon s'est rajouté avec plus ou moins de malice à son immense courbe de croissance mystique. Armé tel l'enfer des meilleures intentions, le sorcier fait repousser depuis les briques et gravas le terrain de jeu de l'Amérique pour le plaisir des locaux, des touristes et des assurances, ce qui attire involontairement les Enfers et Mephisto dans cette part du réel d'où il devrait être logiquement exclu.
Tout va très vite, trop vite : dès le départ, à peine a-t-on le temps de comprendre la situation de la cité que s'enchaîne déjà un début d'arc rapide, éclair, qui ne se prend pas le temps de creuser la moindre note d'exposition. Les dialogues sont bêtes de facilité, on se retrouve en face de personnages qui expliquent les enjeux à haute voix au cas où le lecteur perdu aurait besoin d'un point d'aiguillage, et l'ensemble semble dispersé sans finesse par un duo de scénaristes qu'on connaît généralement plus compétents.
Strange lui-même semble paumé, prêt à risquer le destin du monde et sa propre âme sur un coup de tête, tandis que Mephisto joue ici la contrepartie démoniaque d'un Joker en parodie de capitaliste cocasse. Si la mise en scène de Rod Reis est efficace autour de ce vilain parachuté, les dialogues sonnent comme forcés. On se demande vraiment quelle part de liberté a été laissée à Cates et Spencer au vu des dernières pages, où les auteurs semblent ironiser sur cet arc et trouvent en clôture de numéro un peu d'honnêteté. L'épilogue est presque un aveu d'échec dans son ironie et son incapacité à prendre le sujet au sérieux.
On n'en dira pas autant de Rod Reis, lâché dans cette histoire sans saveur de manière criminelle. Brillant, l'artiste sauve le numéro grâce à son style de peintures superbes, en particulier dans les premières pages où la cité repousse sous l'action de Strange, mais aussi dans le briefing de Mephisto à son antagoniste sorcier. L'artiste aime illustrer son héros en utilisant le haut de sa cape comme point de repère, et donner un sentiment organique à des planches peuplées, fouillées.
La mise en scène du vilain est un contrepoint à la platitude des textes. On se plairait à ce que Marvel réalise la vacuité de réaliser périodiquement ce genre de rencontres indispensables, et il est difficile de dire si le but recherché ici est de contenter un fandom affamé ou d'événementialiser une série en perte de vitesse. Quoi qu'il en soit, il serait préférable de ramener directement le Rider ou un autre personnage mystique avec Reis et des scénaristes plus motivés plutôt que cet ensemble boîteux, qui ne donne réellement pas envie d'aller vers la suite.
Doctor Strange : Damnation #1, un rappel à l'image de Phoenix Resurrection que tous les événements n'ont pas le même enjeu au sein de la Maison des Idées. Si Gerry Duggan semble s'amuser à imiter Hickman sur Infinity Countdown, Cates et Spencer baillent et allument le pilote très automatique tandis que son artiste, lui, met les plein gazs. Par respect pour le boulot de Reis, le scénario devrait tout de même être un peu plus travaillé, et derrière un éditorial qui ne fait pas d'efforts, la moindre des choses serait au moins de proposer un récit qui ne soit pas aussi évident sur son aspect forcé.