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Milk Wars  : la contre culture dans le mainstream est-elle possible  ?

Milk Wars : la contre culture dans le mainstream est-elle possible ?

chronique

Arrivée en bout de course, la ligne éditoriale actuelle de Young Animal se repense en un relaunch qui démarrera dès la semaine prochaine. L'idée sera de repréciser l'importance de cette enclave aux publications DC, pour éventuellement glaner de nouveaux lecteurs à ajouter à ceux déjà en poste chaque mercredi devant le kiosque à journaux (enfin, sur Comixology quoi). 

Pour ce faire, l'accolade aux héros classiques a été proposée dans l'arc Milk Wars, où le lait coule à flots. L'avalanche de calcium et de produits fromagers devient la symbolique d'une Amérique puritaine, en parabole à l'histoire de la BD sur le nouveau continent. Censure, bien-pensance, mécanique de Crisis et jeu sur les réalités alternatives où les parodies de héros, un joli programme qui n'aura contre lui que sa propre envie de trop en faire. Comme souvent. Comme d'habitude. Pas de surprises. On en parle ?

 

Milk Wars s'ouvrait avec la Justice League et la Doom Patrol. Le pitch était simple, limpide : une société de courtage immobilier supra-dimensionnel, Retconn, vend au vieux vilain Manga Khan la Terre Prime. Autrement dit, celle habitée par les héros classiques de DC Comics. Khan a un employeur, qui ne souhaite pas investir dans un produit risqué, ou pour pousser l'idée plus loin, dans un coloris qui ne lui plaît pas - la solution sera alors de repeindre, de redécorer la réalité. S'articule vite l'idée que Retconn et ses clients savent que les super-héros sont des êtres purement fictifs : des histoires, qu'on peut réécrire, corriger, comme le fait un éditeur. 

Gerard Way recoupe avec l'habituelle farandole de méta-fiction chère empruntée à Morrison : les héros qui s'aperçoivent qu'ils n'existent que sur le papier, ou dans l'imaginaire de X ou Y auteurs, et le changement de règles qui accompagne cette découverte. Mais en bon fan, l'auteur s'attaque à ce qu'on pourrait appeler le méta-héros post-moderne. En résumé, là où Animal Man jouait avec la découverte et où la Doom Patrol de Vertigo jouait avec les limites de ce monde en deux dimensions, les publications Young Animal jouent ici la carte du plus grand des possibles - comment utiliser, sans retenue, la capacité des personnages à savoir qu'ils existent en BD sans rentrer dans les routines de type Deadpool ou Harley

La réponse trouvée est simple : on ne mettra pas ici le héros face à son créateur, mais on va fictionnaliser le rapport réalité/fiction. En résumé ? Retconn est dans le monde fictif de DC Comics la société responsable des changements de continuité - les retcons, tout simplement - et ce ne sont pas des auteurs de notre monde réel qui ont créé les héros mais une sorte de concept divin inventé pour l'occasion. En somme, les frontières sont plus floues, plus bizarres, moins évidentes que le simple gimmick du héros qui s'adresse au lecteur. Ce-dernier n'est même jamais mentionné.


 
Le scénariste est rejoint dans ses thématiques par Jody Houser, Steve Orlando, Cecil Castellucci et John Rivera, qui assurent de leur côté chaque facette de cet étrange métissage. Tout n'est pas équivalent sur le plan du psychédélique, mais se recoupent des thèmes communs : le lait, les références à l'âge d'or, la mise en abyme des héros de DC par leurs équivalents hallucinés. Les trois se rejoignent, puisque l'idée est de proposer une sorte de relecture de ce que les comics seraient devenus s'ils avaient suivi l'esprit de l'après Guerre et les directives du Comics Code. On repeint un monde plus sage, plus auto-censeur. En face, les héros colorés de Young Animal passent donc pour d'affreux déviants sans queue ni tête.


Généralement, le message est que les personnages de la Doom Patrol méritent leur place dans les publications DC, voire méritent simplement d'exister en général. On leur oppose cette société lactée, qui suit la philosophie de Wertham. D'aucuns diraient que celle-ci n'a jamais réellement disparu, puisqu'à l'ombre d'oeuvres cultes ou de bouleversements sociaux accompagnés par la BD de super-héros, l'éditeur obéit encore aujourd'hui aux mêmes impératifs tous publics que la moindre marque franchisée. Young Animal défend à l'inverse le droit à la différence et à la non-correspondance aux normes. Comme les personnages Vertigo à une époque, l'intérêt est moins de savoir si cette BD a une place à trouver dans les étals que de répondre à une culture dominante proprette.

La symbolique laitière répond de manière variable à l'exercice, et comme d'habitude, difficile de se demander si la confusion est volontaire ou involontaire avec un éditeur qui cherche toujours le bizarre au détriment de l'utilité. On tombe ici sur la religion (le miel et le lait), la maternité et l'érotisme pour d'évidentes raisons, et la dominance d'une sorte d'esprit normé d'entreprise - c'est léger, et assez absurde dans le dernier cas. Tous ou presque se rejoignent cependant sur la critique faite à l'évolution des comics depuis le Golden Age jusqu'à aujourd'hui, avec une certaine ironie parfois brillante, parfois moins.


Le Milkman Man est l'idée phare de l'arc. Création consciente, fils d'une autre création consciente à qui il a été retiré, le héros est la parabole de l'auteur et de son personnage, aussi bien que la censure sur la violence et la frustration de dissimuler derrière des idéaux supposément sains. Retconn est DC Comics, celui qui arrache une idée à son auteur pour la déformer selon son intérêt éditorial. Placé dans un job qui évoque le paysage doré des années 1950, le livreur de lait fait partie de l'icônographie typique de l'Amérique passée, évoquant un sentiment du quotidien rassurant et régulier des banlieues blanches du pays.

Une sorte de renvoi au rôle de Superman, plus pertinent que la parodie religieuse de Bruce Wayne qui ne fonctionne pas, tandis que Wonder Wife emporte l'adhésion pour son portrait irrascible de la conception traditionnaliste de la femme au foyer. Ce numéro en crossover avec Shade est l'un des plus dérangeants et des plus curieux, Castellucci ne fait aucun effort pour rendre ses idées simples d'accès et joue sur un décalage de réalité où seules les toutes dernières pages renouent avec le récit. Il en ressort un exercice de style particulier, mais intéressant.

Plus généralement, on résumera l'événement à cette ouverture d'esprit attendue du lectorat, ou plus généralement, à un besoin d'auto-justifier sa présence et son utilité. L'ensemble fonctionne, quoi que le mélange avec le DC classique ne prend pas toujours. Plus critique que compagnon, Milk Wars pose surtout la question du besoin de lier les deux univers pour récolter abusivement un peu d'attention médiatique, là où les bonnes séries de l'éditeur ont peut-être simplement atteint un plafond de verre, mais restent appréciées par des lecteurs fidèles. 

Les clins d'oeils à la continuité sont nombreux, à l'imagerie classique de la trinité également, et le foutoir méta-fictif va si loin qu'on apprécie mine de rien cet ovni parfait dans les parutions de la maison. Avec la patine d'usage, l'honnêteté de Way le pousse à matérialiser le reboot de façon concrète, à interpréter à nouveau comme le killswitch d'éditeurs qui relaunchent constamment pour le plaisir du banquier. Problème, l'idée aurait plus de pertinence si elle n'était pas commandée par les mêmes impératifs - et puis, à quoi bon ? Si la prochaine vague de titres Young Animal fonctionne mieux, Batman ou Wonder Woman ne seront de toutes façons pas là pour donner une tape monétaire dans le dos à chaque nouveau numéro, il est donc probable que l'exercice périclite une seconde fois.


C'est là le problème d'ailleurs : d'une part, Gerard Way crie à quel point une contre-culture est importante dans les comics ou ailleurs. Il prend en exemple le Golden Age, où tout était lissé, affiné, jusqu'à piller les héros de base de leur message profond, et où les valeurs portées auront été réduites au silence pendant des décennies. Mais, de l'autre côté, le scénariste a quelque part conscience du besoin de profiter de l'image de marque déployée par cette concurrence de surface pour avoir le droit de continuer son oeuvre, certes utile, certes intéressante, mais perdante face à la même économie qui pousse les Big Two à relauncher constamment. En somme, un message à relativiser, éparpillé entre de très bons numéros fidèles à eux-mêmes, mais pas forcément gagnants dans la rencontre proposée.

Corentin
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