Dans les back ups de son événement Milk Wars, Young Animal préparait le terrain à l'une de ses nouvelles entrantes, la série Eternity Girl. Une héroïne qui vient, après Forager et sa question de la rêverie et de l'au-delà, inscrire l'imprint comme un intermède costumé vers des concepts profondément humains - la dépression et la mort, en l'occurrence. Habillés, déguisés, derrière ce que la bande dessinée de là-bas sait faire, ces personnages à pouvoirs se font le médian d'idées plus tristes que leurs pendant mainstream, moins directs ou expansifs sur l'universalité de ce type de thématiques.
Eternity Girl est un personnage fictif dans un monde fictif au sein d'un monde fictif. Ecole Young Animal oblige, il s'agit une fois de plus de l'un de ces héros qui longent le quatrième mur et se permettent parfois de l'enjamber - on l'aura découverte dans une sorte d'hommage au trois grands âges des comics en fil rouge sur les séries de Milk Wars. Quelques clins d'oeils sont à nouveau présents dans ce premier numéro, et si vous aviez raté ça, on peut la résumer en une sorte de Dr Manhattan sans l'envie de créer. Une héroïne devenue par accident toute puissante, trop puissante, et coupée de ses sentiments et perceptions d'humaine, avec en prime une immortalité qui l’embarrasse bien.
Eternity Girl ne recherche qu'une chose : mettre fin à sa vie. Traumatisée par une mission qui s'est mal déroulée, le personnage se sent piégé dans un corps qui ne lui ressemble pas, des sentiments qu'elle ne comprend plus. Ce monde lui paraît bien froid et hostile et un mystère général sur ce qui s'est réellement passé sous-tend l'intrigue (on imagine, à long terme). Pour le moment, l'aspect expérimental du titre ouvre une porte vers la mise en abyme du lecteur, avec un propos doux amer sur la dépression nerveuse.
Puisque voilà. Eternity Girl est un personnage qui aura toute sa vie cherché à exceller, et c'est au détriment de son propre bien être qu'elle aura tout sacrifié pour son employeur, Alpha 13. Son apparence, ses pouvoirs, le traumatisme qui en découle ? Une parabole. Une parabole sur le burn-out, la déprime au quotidien, la psychanalyse, le suicide ou l'incapacité à sauter le pas, voilà ce qui occupe les pages de cette nouvelle série plutôt très persuasive dans ce qu'elle décrit sur cet amer sentiment d'échec et de vide perpétuel.
Eternity Girl est raconté avec les mêmes accents trippy que toutes les parutions de l'éditeur, avec cette fois un dosage bien plus réussi entre l'expérience narrative et le propos palpable. Les textes et le point de vue interne fonctionnent efficacement, la métaphore est sous-tendue par de belles images et l'imaginaire que permet ce monde de super-héros. On trouve des scènes assez poignantes, comme la défragmentation du personnage qui ne trouve que dans ce bref instant le répit auquel elle aspire. Une héroïne en thérapie, qui recherche la mort, une relation difficile au travail et une idée depuis les couleurs jusqu'aux designs sur la dépression nerveuse, loin du psychédélisme habituel de Young Animal.
Le titre affiche une promesse forte et actuelle, pour peu qu'on veuille le lire entre les lignes : comment un patron se couvre quand, après avoir trop demandé à son employée, celle-ci se retrouve brisée et incapable de reprendre un rythme serein ? Comment le travail ou le traumatisme peuvent déconstruire l'identité, orchestrer un sentiment de mal être et de dissociation ? Les réponses sont généralement à retrouver dans une sphère plus indé' de la BD américaine, et la voir ici exposée dans une série qui reste mine de rien brandée DC Comics rappelle l'utilité d'un sous imprint avec ces ambitions là.
Puisque, là où Bug pouvait se lire comme une série méta-fictive sur les origines éditoriales de tel personnage, voire le souvenir de l'héritage Kirby, la série avait pour attrait son aspect nonsensique. On pouvait mettre bien des choses sur les pérégrinations de l'insecte New God, les principaux éléments étant le fait d'appréhender la vie après la mort, ou la transe qui la précède (comme un purgatoire). Ici, moins confus, moins brumeux, moins bizarre pour le bizarre, Eternity Girl est une jolie fable sur le présent qui agglomère tout ce que Young Animal fait de bien. Le quatrième mur, des références à l'histoire des comics, un propos humain et réussi, des expérimentations graphiques - qui, comme d'habitude, s'apprécieront différemment selon vos goûts. En somme un bon numéro #1 de Magdalene Visaggio et Sonny Liew, assorti d'un éditorial de Gerard Way pour refaire un point sur le nouveau Young Animal.
Puisque, comme on a pu le voir avec Shade the Changing Woman #1 - un numéro trop similaire à son précédent run pour mériter qu'on s'y attarde outre mesure (on aurait pu, mais en gros, ce n'est ni plus moins que la suite de ce qui s'est fait avant), l'éditeur n'a pas tant changé pour le moment. Et au fond, en avait il besoin ? Si le lectorat n'est pas au rendez vous à chaque fois, on imagine qu'il est plus difficile de vendre ces séries marginales sur des marginaux (de la culture comics et de leur propre monde inventé), ce qui ne veut pas dire que leur présence n'est pas utile voire indispensable. Une sorte de contre-culture un peu folle, parfois maladroite, mais qui offre parfois de bien belles lectures, à l'image de celle-ci.